UNITÉ DES SCIENCES HUMAINES
DE STRASBOURG
Thèse présentée en vue de l’obtention
du doctorat délivré par
l’Université des sciences humaines de Strasbourg
(diplôme national)
préparée sous la
direction de mademoiselle N. HEPP, professeur
à l’Université des sciences
humaines de Strasbourg
par Marie-Christine PETIT
FRANÇOIS DU
SOUHAIT
Polygraphe du début du XVIIème siècle
FRANÇOIS DU
SOUHAIT
Polygraphe du
début du XVIIème siècle
A mes enfants,
Qu'ils sachent que tout homme, si humble soit‑il, peut,
s'il vit complètement l'authenticité de sa vocation d'homme,
être à la fois un pilote et un fier témoin de son temps.
Jouy en Josas, juin 1985
Il passa, plut... déplut et disparut.
Il passa, plut, déplut et disparut.
Tel fut le sort de François du Souhait. Sa vie politique le mène de la carrière de secrétaire du duc Charles III de Lorraine, au bannissement pour neuf ans du royaume de France[1]. Sa vie intellectuelle lui fait produire entre 1599 et 1614 trente et une œuvres dont plusieurs connaissent des rééditions tant à Paris qu'en province : trente et une œuvres très diverses allant du roman sentimental au roman de chevalerie, des œuvres morales ‑dont l'orthodoxie est cautionnée par les autorités ecclésiastiques[2]‑ aux contes comiques parfois gaillards. Poète au service des princes, il se met également à la dévotion des dames. Dramaturge à ses heures, il se fait aussi traducteur de l'Iliade. François du Souhait apparaît donc comme un personnage protéiforme, d'autant plus difficile à cerner que ce "gentilhomme champenois" a laissé peu de traces de ses origines.
Si cette prolixité et cette diversité justifient peut‑être ses succès de librairie au dix septième siècle, elles piquent la curiosité d'un lecteur qui s'intéresse aux premières années de notre grand siècle, années longtemps méprisées ‑sans doute parce que mal connues ‑.
Pourtant, "rien de plus varié, rien de plus vivant que cette société de transition où l'unité est loin d'être faite et où s'opposent, sans se nuire, l'imagination la plus hardie et le bon sens le plus positif"[3]. Dans cette vivante période de mutation, de fermentation, qui se souvient du foisonnement créateur de la Renaissance, mais qui a été marquée par les déchirements malheureux des guerres civiles qui bouleversèrent la paix intime d'un pays et de ses habitants, Du Souhait passa et plut.
Probablement sans fortune, il accepta les servitudes d'une vie à la charge des puissants de son temps. Avec un petit bagage de talent, une rage d'écrire et d'être publié, un humour certain, il eut le courage de tenter d'ouvrir des voies nouvelles, dans le roman par exemple, ou de faire œuvre de lettré pour traduire Homère, alors même que la connaissance directe de ce dernier "s'étiolait", pour reprendre une expression de N. Hepp[4].
Il mérite donc qu'on lui rende hommage en s'intéressant à son œuvre, alors qu'il fut décrié par des générations de bibliographes. Ceux‑ci se rangèrent à l'avis de Boileau, qui affirmait qu'on ne saurait plus lire un aussi "froid écrivain"[5].
Du Souhait n'est certainement pas un génie, mais s'il passa et plut dans cette époque héritière d'un riche passé , en voie d'enfanter les grands de la fin du siècle, n'est-ce ‑pas signe qu'il était profondément enraciné dans son temps, en symbiose totale en matière de goût, de thèmes et de style, avec son public.
On peut, après tout, s'interroger sur la faculté qu'ont les génies de refléter leur époque. Du Souhait n'est pas de ces phares qui dominent les êtres, il est proche des gens de sa condition, des écrivains enrôlés au service des grands, des gens du peuple dont il semble bien connaître les aspirations, des grands qu'il côtoie et qu'il voudrait faire accéder à une "politesse" nouvelle.
LES PREMIÈRES ANNÉES DU DIX‑SEPTIÈME SIÈCLE :
UNE OUVERTURE SUR LA PAIX
I. Le royaume de France.
II. La cour de Lorraine.
III. Le livre et l'écrivain.
des nécessités plus urgentes que le
développement de la vie mondaine.
Si l'on jette un bref regard sur la France au lendemain de l'assassinat d'Henri III en 1589, la situation du pays n'est guère brillante: Henri de Bourbon n'est qu'un "hérétique, excommunié, réduit à la condition de chef de bande ; Charles, cardinal de Bourbon, roi de la Sainte Ligue, reconnu par les deux tiers des Français, est prisonnier de son neveu et rival", la famille des Guises est "installée sur les marches du trône sans parvenir à y monter"[6]. Henri IV devait donc, avant tout, asseoir son autorité, réunifier une France déchirée, "effondrée, moribonde"[7]. Il y réussit, semble ‑t'il, mais il lui fallut le temps d'un règne, écourté par un nouvel assassinat. Philippe Erlanger écrit qu'enfin, en 1610, "on avait songé à la beauté, à l'ornement des maisons plutôt qu'aux moyens de les défendre"[8].
Qu'est devenue la vie de cour, hier si florissante, si propice à l'éclosion de la vie littéraire ? Elle n'est pas morte dans les souvenirs. La cour de Charles IX et d'Henri III reste dans les mémoires. Henri IV, quant à lui, ne se préoccupera de la faire revivre que dès lors qu'il en sentira "la nécessité politique"[9]. On peut d'ailleurs se demander si la personnalité même d'Henri IV était un bon catalyseur de talents. Le roi de France n'était certes pas l'homme rude et grossier dont l'imagination populaire a conservé la mémoire. La connaissance que nous avons de certaines circonstances de sa vie amoureuse nous montre de lui l'image d'un véritable homme du monde. Ainsi, la passion qui le lia plusieurs années à Diane de La Guiche, comtesse de Grammont[10], dite "la belle Corisande", nous révèle Henri IV sous les traits d'un amoureux zélé, dont les élans ne manquent pas de panache : ne déroba‑t‑il pas au siège du Catelet les drapeaux pris devant cette ville pour les remettre à l'élue de son cœur? n'alla‑t‑il pas jusqu'à lui signer de son sang une promesse de mariage ? Il lui écrivit des lettres composées dans le "langage galant de cette époque". Trente‑sept de celles‑ci nous restent encore[11]. Il écrivit par ailleurs des lettres à Gabrielle d'Estrées, émaillées de formules fort jolies. Il reste que, même si à la cour d'Henri IV se succèdent "les collations, les banquets et les mascarades"[12], le roi apprécie davantage la chasse et les jeux d'action que les bals et les cercles mondains. Une dame disait de lui: "J'ai vu le roi, je n'ai pas vu Sa Majesté"[13]. Pierre de l'Estoile ajoute qu'il est "aussi monstrueux de voir un roi docte, qu'il était du temps de Rabelais, un moine savant"[14].
Henri IV mort, Marie de Médicis assura la régence. La fille du grand duc de Toscane avait épousé le roi de France en 1600. Elle protégea en France les arts dont elle avait rapporté de sa patrie d'origine un goût éclairé. Elle sut s'entourer de grands noms de l'art comme Philippe de Champaigne, s'intéressa à l'architecture, donna des fêtes brillantes, tâta elle‑même de la gravure sur bois [15]. Cependant, le goût pour l'intrigue et le pouvoir ont davantage lié la renommée de Marie aux complots et aux luttes d'influence des clans politiques, qu'aux cercles mondains.
En résumé, sans qu'on puisse véritablement parler de carence de la cour ‑ Malherbe n'y fut‑il pas introduit en 1605 par le duc de Bellegarde[16]‑, dans le Paris des débuts du XVIIème siècle, sous le règne d'Henri IV et la régence de Marie de Médicis, d'autres foyers, d'autres refuges que la cour s'offrent aux lettres[17].
Le plus actif de ces salons fut, sans conteste, en ce début du XVIIème siècle, celui de la reine Marguerite qui constitua "une manière de cour où se prolongent quelques unes des traditions de celle des Valois. Véritable princesse de la Renaissance, la reine Margot rachète les scandales de sa vie privée par l'étendue de sa culture et la protection qu'elle accorde aux gens de lettres et aux hommes de savoir"[18]. Marguerite de Valois était en effet une personne fort habile et cultivée, ne dit‑on pas que "lorsque l'évêque de Cracovie vint à Paris annoncer au duc d'Anjou son élection au trône de Pologne, il adressa à Marguerite un discours en latin auquel elle répondit sur le champ dans la même langue, reprenant avec une sagacité admirable chaque article de la harangue du prélat[19]. Répudiée, elle revint à Paris en 1605, y organisa des fêtes, transforma l'Hôtel de Sens en un lieu de "rendez‑vous de tous les beaux esprits"[20]. Elle‑même écrivit des poésies et composa ses mémoires. Elle avait de la femme une très haute idée, affirmant que cette dernière "surpasse l'homme en toute sorte d'excellence de perfection et de dignité"[21]. L'influence de Marguerite de Navarre fut profonde. "Pour lui plaire, des moralistes, des romanciers, des poètes s'emploient à propager ces nouveautés séduisantes"[22] concernant la préexcellence du sexe féminin. Richelieu dira d'elle qu'elle fut le "refuge des hommes de lettres"[23]. On vit, dans son salon, de fort brillantes compagnies: Vital d'Audiguier[24], Vincent de Paul s'y retrouvèrent, ainsi que Jacques Corbin[25], un ami de François du Souhait. On peut donc dire, qu'au moins indirectement, notre auteur gravita dans ce milieu mondain.
Comme Marguerite de Valois, de nombreuses dames firent naître autour d'elles des cercles, moins brillants sans doute, mais animés du même esprit. Leurs noms sont restés à la postérité grâce aux dédicaces que les écrivains leur prodiguent. François du Souhait a rendu hommage à nombre d'entre elles dans ses ouvrages, en particulier dans Les Pourtraits des Chastes Dames, paru en 1600. Ces grandes dames ont laissé le souvenir de véritables "femmes savantes". Ainsi, la duchesse de Retz, Claude Catherine de Clermont,"joignait à une rare beauté beaucoup d'esprit et de savoir... (Elle) pouvait s'entretenir en latin avec des ambassadeurs, savait aussi le Grec et composait en vers et en prose"[26]. La duchesse Anne de Rohan, pour sa part, "faisait des vers d'une manière très distinguée pour son temps"[27]. D'Aubigné disait d'elle qu'elle avait "l'esprit trié entre les délices du miel". Elle connaissait d'ailleurs parfaitement l'Hébreu. Elle lisait l'Ancien Testament dans cette langue et, au lieu de chanter les Psaumes en français dans le temple, elle les méditait dans le texte original[28]. Catherine de Clèves, pour sa part, duchesse de Guise, était née en 1547. Elle avait épousé en secondes noces Henri 1er, duc de Guise et gagna la confiance d'Henri IV. "Son esprit était fin et délié, sa conversation agréable et semée de réparties piquantes". Sully, qui voyait souvent cette dame, disait qu'on la trouvait en même temps douce et vive, tranquille et gaie et toujours d'une humeur charmante"[29]. Quant à Marguerite de Lorraine, la fille du duc François de Lorraine, on sait qu'elle écrivit des lettres entre 1637 et 1643[30]. En outre, Du Souhait évoque souvent le nom de mademoiselle de Longueville, Catherine d'Orléans, fille aînée du duc de Longueville et de Marie de Bourbon, cofondatrice du couvent des carmélites du faubourg Saint Jacques, elle mourut sans alliance en 1638 [31]. Bassompierre dit avoir dansé avec elle à l'occasion du mariage du duc de Bar le 30 janvier 1599 [32].
Parlons encore brièvement de la Princesse de Conti, Louise Marguerite de Lorraine, qui, si elle figure parmi les "chastes dames" connues de Du Souhait, n'en avait pas moins "le diable au corps", aux dires de ses biographes[33]. La fille du Balafré fit tourner plus d'une tête. Elle fut recherchée en mariage par Henri IV (la belle Gabrielle sut faire changer d'avis le monarque). Elle eut une intrigue avec le grand écuyer Bellegarde. Cette princesse de fort tempérament avait aussi "infiniment d'esprit naturel et avait pris soin de l'orner par la lecture et par la conversation habituelle des gens instruits[34]. Bassompierre rapporte comment, à la fin de l'année 1612, la reine Marie de Médicis qui venait de perdre et son mari et son second fils "n'osait faire des assemblées et toutefois se voulait resjouir". Il raconte: "(elle) nous commanda à Monsieur de Vendosme, Monsieur de Chevreuse et à moy de luy faire des ballets, toutes les démarches ce que nous fismes, partageant les frais entre nous trois. Le premier se dansa en la chambre de Madame la princesse de Conty quy donna à souper à la reine où il n'y avait que les dames mandées et des princes comme Monsieur de Guyse, de Nevers, de Reims et quelques seigneurs particuliers à le voir danser..."[35].
On s'apercevra aisément que toutes ces nobles dames ont en commun, outre une haute origine, le fait que leur vie a été étroitement mêlée aux affaires politiques et sociales de leur temps. On voit combien leur renommée est liée à la profonde culture de leur esprit et au rayonnement de leur personnalité.
Parmi les salons tenus par les dames de la haute société française de cette époque celui de la marquise de Rambouillet connut un vif succès. Maurice Magendie considère la marquise comme "très supérieure à son entourage"[36],et lui reconnaît le mérite d'avoir tenté "de purifier l'amour, de le dégager des jouissances matérielles, auxquelles le réduit le vulgaire, de donner aux seigneurs, aux dames, aux écrivains qu'elle recevait chez elle, le sentiment de la décence, la conviction que les hommes et les femmes peuvent goûter ensemble des plaisirs plus relevés, plus délicats, plus durables que ceux du corps. Elle fortifiait de son exemple et réalisait autour d'elle les théories que répandaient la plupart des romans à la mode. Elle reprenait sans s'en douter, la tradition raffinée du Moyen Age courtois"[37].
Tels qu'ils viennent d'être rapidement dépeints, les salons du début du dix‑septième siècle consacrent l'influence prépondérante de la femme sur la vie intellectuelle de cette époque.
Féminins, ces salons vont tout d'abord aider "la société nouvelle à se dépouiller de ce qu'elle avait encore de rude et de brutal, à se modérer, à se régler par une discipline unanimement consentie"[38]. Le commerce des dames pouvait espérer transformer les "héroïques soudards"[39] qu'étaient encore bien des gentilshommes de cette époque, en aimables compagnons de salons. Les cercles mondains deviennent de véritables écoles de politesse et d'art de vivre que décrit fort justement Pierre Villey: "On s'étudia(...) à se rendre agréable en société, on se demanda quelles étaient les qualités qui permettraient de plaire (...). On se demanda encore quels étaient les sujets qu'on devait aborder dans les conversations, comment on devait converser, comment il convenait de se comporter avec les dames, quels jeux pouvaient se jouer en société. De ces besoins est née toute une littérature qui a eu pour objet de faciliter la vie mondaine, de l'épurer et d'en faire, en quelque sorte la théorie"[40]. C'est ainsi que François de la Noue écrit ses Discours politiques et militaires dès 1587, que Du Souhait, Nervèze, De Refuge, De Laval donnent leurs œuvres morales entre 1600 et 1616 environ, que François de Sales et le cardinal de Berulle trouvent un accueil favorable à leurs écrits spirituels et moraux[41].
Féminins, ces salons vont, d'autre part, contribuer à privilégier dans la littérature de cette époque, des thèmes et des modes d'expression artistique propres à plaire aux dames. L'amour, ses modalités, ses rites, sera au cœur des préoccupations, au centre des conversations, à une place de choix dans toute œuvre littéraire. Les poètes règnent en maîtres dans ces milieux où les femmes sont reines. Même les plus inexpérimentés des gentilshommes cherchent à "apprendre l'art des vers pour essayer de donner plus de prix à leurs hommages"[42].
Véritable "matière vivante"[43], la poésie est composée pour les salons. Elle est également expérimentée bien souvent à l'intérieur du cénacle, récitée plus que lue, destinée à exprimer les sentiments amoureux. Tous les petits riens de la vie sociale quotidienne sont prétextes à rimer. Qu'advienne un événement aussi important pour la vie du pays que le mariage de son roi, et se déclenche un véritable "concert de louanges. Chaque étape de la venue de la future reine de France, chaque journée du royal fiancé dans son voyage vers Lyon sont marquées par des cérémonies et des fêtes et il n'est poète ni orateur à travers le pays qui n'entreprenne à cette occasion de célébrer les mérites du souverain"[44]. Lorsque Marie de Médicis arriva en France pour épouser Henri IV, Jean Bertaut, Passerat, Deimier, Du Souhait donnèrent quelques vers, Malherbe en profita pour se faire connaître du roi et se trouva proclamé par Du Perron, à la suite de ce véritable concours poétique, le "meilleur poète de France"[45]. Si le poète est l'homme recherché des salons de cette époque, le romancier est, lui aussi, bien accueilli : n'offre‑t'il pas à ces lecteurs et surtout à ces lectrices l'occasion de vivre, par héros interposés, mille aventures galantes ? Ne permet‑il pas d'analyser sous de multiples facettes les méandres du cœur amoureux ? On sait l'immense succès remporté par L'Astrée, d'Honoré d'Urfé, dont la parution commença en 1605. L'Astrée venait en couronnement d'une floraison de romans sentimentaux dans lesquels s'illustrèrent aux côtés de Du Souhait, Nervèze, Des Escuteaux et bien d'autres. Sur un total d'une soixantaine de livres imprimés à Paris en 1599 dans la catégorie "Belles Lettres", il y avait deux romans. En 1600, sur un même nombre global d'ouvrages, il y aura quinze romans [46].
En ce début du dix‑septième siècle, le gentilhomme français se civilise peu à peu, il s'affine au contact de la vie intellectuelle pratiquée dans les milieux mondains animés par les grandes dames de l'époque. Rédacteurs de traités de morale, poètes, auteurs de romans sont recherchés, appréciés.
L'œuvre de François du Souhait qui donne dans tous les genres en vogue et voit ses livres réédités avec succès, sera dans ce contexte un bon révélateur de la naissance de la "politesse mondaine" en France.
François du Souhait servit Charles III (1543‑1608), duc de Lorraine et de Bar, puis d'autres membres de la Maison de Lorraine.
En 1595, à la paix de Folembray, l'alliance est scellée entre les chefs des maisons de Lorraine et de Bourbon, mettant fin à de longues années de querelles. Le mariage d'Henri II, fils aîné de Charles III avec Catherine de Bourbon, sœur d'Henri IV, consomme cette alliance que rend possible la conversion religieuse du souverain.
Dès 1734, le Père Dom Augustin Calmet, abbé de Senone écrivait dans son Abrégé de l'histoire de Lorraine, "la mémoire du grand duc Charles est en bénédiction en Lorraine et on le propose avec raison comme un modèle d'un prince accompli. Magnifique sans affectation, libéral par choix autant que par inclinaison, scachant allier les qualitez d'un guerrier avec celles d'un Prince Pacifique, grand dans ses entreprises, profond dans les vues de sa politique, constant et intrépide dans le danger, clément sans faiblesse, grand justicier, aimant tendrement son peuple, scachant parfaitement discerner et récompenser le vrai mérite et aussi incapable de promettre légèrement que de manquer à sa parole. Toute la province témoignera les plus sincères regrets de la personne d'un homme si bon et d'un si grand prince"[47].
On le voit, l'historien lorrain accumule les épithètes flatteuses pour désigner le duc de Lorraine. Sa personnalité, sa vie et son rôle apparaissent plus concrètement dans cet autre portrait que fait de lui Christian Pfister: "L'éducation du duc, achevée à la cour de Valois, a été soignée. Il savait goûter le charme des vers (...). Outre le français, il comprenait l'italien, lisait assez couramment, ce semble, la langue latine. Il avait aussi appris à aimer les Beaux‑Arts, il embellit le palais ducal qu'il acheva (...). Elevé sous les yeux du roi de France Henri II, il était imbu des idées absolutistes (...), mais, s'il voulait gouverner seul, il s'efforça de gouverner bien (...). C'est par les arts de la paix qu'il voulait surtout briller. Il s'efforçait de rendre la Lorraine plus prospère, il cherchait à tirer toutes les richesses qui étaient enfouies dans son sol, à développer l'industrie, à donner au commerce un essor plus grand. Il s'occupa aussi de lui donner les bienfaits de l'instruction et l'université de Pont à Mousson est son œuvre. Il réorganisa les tribunaux et commença la rédaction des coutumes du pays"[48].
La Maison de Lorraine comporte plusieurs branches : les ducs de Lorraine sont issus de la branche des comtes de Vaudémont, mais la branche des ducs de Guise, celle des ducs d'Elbeuf, celle des marquis de Moy ont donné à la France plusieurs figures marquantes et quelques uns de ses plus grands capitaines.
On trouvera en pages 20 et 21 un tableau généalogique de la Maison de Lorraine qui reprend le tableau extrêmement clair établi par monsieur Jean Serroy dans sa thèse. Ce tableau fait état des multiples dédicaces que Du Souhait s'employa à faire, tant à la branche aînée qu'aux branches cadettes de la prolifique Maison.[49]
Ceux qui s'occupent de l'administration du duché résident à Nancy, tous les ordres viennent du palais ducal, "cœur de la Lorraine. Là, siège le conseil d'Etat et privé qui comprend trois catégories de personnages : des gens d'épée et ecclésiastiques au nombre d'une vingtaine, des gens de robe longue (...), des individus dépendants du Conseil, secrétaires, agents, huissiers"[50]. Ainsi, les secrétaires vivaient‑ils dans les coulisses des activités de la famille ducale.
Grâce au rayonnement des initiatives de Charles III, l'imprimerie connaît un développement important. Quasiment inexistante à Nancy avant Charles III, elle prospère rapidement. Le premier imprimeur à s'installer à Nancy est Nicolas Jherosme en 1565, d'autres viennent ensuite: Jean Janson (puis sa veuve et son fils), Blaise Andréa ( La Plainte publique de Du Souhait paraît en 1608 chez cet imprimeur ), Jacob Garnich, Sébastien Philippe, Jean Savine[51].
Notons encore que la Lorraine de Charles III laisse à la postérité quelques grands noms, celui du graveur Jacques Callot (1592‑1635) et de Saint Pierre Fourier (1565‑1640), curé de Mattaincourt, pour ne citer qu'eux[52].
Le climat de la cour de Lorraine, tel que l'on vient de le peindre très rapidement, permet de penser qu'un écrivain, pour peu qu'il accepte loyalement de servir la cause des Grands ‑ et les nombreuses dédicaces de Du Souhait aux princes de la Maison de Lorraine prouvent qu'il s'y employa ‑ avait toutes les chances d'obtenir les moyens financiers et l'appui intellectuel nécessaires à tout écrivain de l'époque pour réussir.
M. Magendie montre combien, au début du règne d'Henri IV, l'ignorance reste profonde. Dans l'ensemble, la noblesse se considère "née surtout pour la gloire et les dangers de la carrière des armes"[53], et se risque peu à l'étude qui "abâtardit les courages"[54]. On rapporte d'ailleurs cette anecdote survenue à Antoine de Laval lui‑même, qui la consigne dans son œuvre[55]. Ayant reçu des étrangers dans son château, il leur aurait fait visiter sa bibliothèque, "le soir, les voyageurs rapportent leur visite dans une hôtellerie à un hobereau du voisinage et celui‑ci de s'écrier : "comment, messieurs, il a donc des livres, je croyais qu'il fût gentilhomme". Etre ignare ( et cette situation elle‑même est en pleine évolution à cette époque, comme le prouve la multiplication des collèges jésuites sur l'ensemble du territoire français[56]), ne signifie pourtant pas être hermétique à la culture ou dépourvu de goût et H.J. Martin note au sujet des gens d'épée : "s'ils ne sont que rarement passés par un collège ou une université, s'ils ne savent pas le latin et méprisent les livres, s'ils tiennent même leur ignorance à point d'honneur, s'ils écrivent parfois à peine le français, déjà du moins la vie de cour et les contacts mondains les incitent à acquérir une certaine culture romanesque et poétique et ils recourent pour cela à l'auteur à gage, l'ancêtre du bel esprit du milieu du siècle "[57].
Les nobles ne sont peut‑être pas des lecteurs avertis, mais ils ont envie de se frotter aux lettres. Etre cultivé et être noble cessent peu à peu d'être inconciliables, avant de devenir une association recherchée. Les écrivains trouvent ainsi une clientèle favorable, une clientèle de lecteurs et d'éventuels mécènes. Une sorte de nouvelle complicité s'instaure entre les auteurs et les gentilshommes, ainsi demande‑t‑on à un poème, non d'exprimer le souffle du génie, mais de tourner le plus galamment possible une déclaration d'amour. Si le grand n'est pas capable par lui‑même de composer un tel poème, il confiera cette tâche à un écrivain, lequel, pour vivre, doit accepter cette besogne rémunératrice. Relativement peu instruit, le noble veut acquérir une culture et s'intéresse d'abord, naturellement, aux œuvres d'accès commode, cherchant par exemple dans les romans une "lecture aimable et facile"[58].
L'évolution générale des mœurs permettra le développement et la diffusion du livre, et du livre de qualité. "Il est probable ‑ écrit M. Magendie ‑ que les salons, les romans, les traités, n'ont été nombreux et n'ont eu du succès que parce qu'ils répondaient aux aspirations du public. A leur tour, ils ont éclairé, fortifié des tendances encore faibles et confuses"[59]. Il y a là deux éléments qui sont à la fois des effets et des causes. D. Huet a eu cette belle expression pour qualifier les romans de cette époque : ce sont, dit‑il, des "précepteurs muets"[60].
Pour l'année 1599, sur un total de 152 à 161 ouvrages imprimés à Paris, entre 62 et 67 sont à classer parmi les "Belles Lettres"[61], et cette même année, Du Souhait fait paraître onze œuvres. En 1600, 13 à 15 romans sont imprimés à Paris, et Du Souhait en donne trois[62].
On le voit, l'œuvre de Du Souhait n'est pas négligeable dans la production littéraire quantifiée de son époque.
Alors que la propriété littéraire n'existe pas, vivre de sa plume n'est pas chose aisée. Si les nobles ont la fortune, il semble ‑ comme on vient de le voir ‑ qu'il soit alors mal séant d'être noble et écrivain. M. Magendie note : "les nobles doués d'un esprit distingué ont toujours hésité à écrire et à publier eux mêmes leurs œuvres", et il cite l'exemple de Georges de Scudéry, s'excusant d'écrire en ces termes: "La poésie me tient lieu de divertissement agréable et non d'occupation sérieuse, si je rime ce n'est qu'alors que je ne sais rien faire"[63].
Le cas le plus fréquemment rencontré est donc celui de l'écrivain au service du Grand par qui il aura été remarqué: "il fallait que le poète vécût, or il ne pouvait vivre sans pensions ou prébendes religieuses"[64].
Pour un petit "gentilhomme champenois", sans doute de modeste origine nobiliaire, où glaner la manne ? A la cour, où "un sourire royal suffit à changer le destin"[65], cour de France ou cour de Lorraine, dans les salons, partout où quelque Grand peut le remarquer et lui servir de mécène. Parvenir à obtenir une charge, c'est assurer sa subsistance. Telle est la condition de l'écrivain au service d'un Grand qui le fait vivre. Son talent, son génie personnel ne peuvent s'épanouir que dans les limites de temps, de liberté intellectuelle et d'autonomie financière qui lui restent. François du Souhait n'est pas seul dans cette catégorie, ils sont légion à tenter de "se hausser à quelque chose de grand, composer une ode malherbienne en l'honneur du roi ou de la reine et, quand ils se laissent aller à leur instinct, ajouter un sonnet galant et tourner un madrigal"[66].
Pour sa part, Du Souhait obtint la charge de secrétaire auprès de Charles III. Cette charge lui permit, comme à tout homme de lettres, "fidèle de quelque grand seigneur (...), de figurer dans les comptes, mais aussi d'avoir son couvert à l'une des tables de son protecteur, de s'introduire à la cour à la suite de celui‑ci et se tisser un réseau d'utiles relations garantes contre un retour de mauvais sort"[67].
Parmi ces secrétaires de grands personnages, nous est restée particulièrement la figure de Michel de la Huguerye qui fut, lui aussi, au service de la Maison de Lorraine en 1588. La description de son rôle et de son statut que nous donne le baron A. de Ruble, éditeur de ses mémoires, caractérise bien la fonction de tout secrétaire de grand personnage. " La Huguerye est le type de ces agents qui n'apparaissent jamais sur le devant de la scène, cachés au fond du cabinet d'un prince, une plume à la main, ils prennent part aux conférences les plus importantes et disparaissent dans l'ombre au moment de la conclusion (...) mais ils n'en obtiennent que plus d'influence. L'intimité de leurs fonctions leur permettait de convertir à leurs desseins l'esprit du maître. D'ailleurs dans un siècle de guerre, où le premier rang était tenu par des capitaines plus habiles à manier l'épée que la plume, les secrétaires rédigeaient et écrivaient les lettres ou les traités. Ils s'initiaient ainsi au plus profond des secrets diplomatiques"[68]. On le voit, le secrétaire d'un gentilhomme œuvrait dans le sillage de celui‑ci et pouvait même avoir un rôle non négligeable. Du Souhait à la cour de Lorraine, comme Nervèze auprès de Condé, comme Voiture auprès de Gaston d'Orléans, faisait partie de ceux que H.J. Martin appelle les "aventuriers des lettres"[69], dont le sort est étroitement lié à celui des clans des grands seigneurs.
En résumé, on peut dire que François du Souhait tente sa chance d'écrivain dans une période qui se remet des remous des guerres, s'apaise et prend le temps de polir ses mœurs, offrant aux littérateurs la possibilité de s'exprimer. Il a eu la chance et l'habileté de s'attacher à la Maison de Lorraine qui le fera vivre. Il assumera sa condition d'écrivain de service loyalement, en laissant s'exprimer, chaque fois qu'il lui sera possible de le faire, sinon son génie, du moins ses goûts et ses opinions, dans le style et les formes qui lui plaisent.
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Charles III 1543-1608 |
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Claude de France Fille de Henri
II et de Catherine de Médicis |
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duc de Lorraine et de Bar Arrière-petit-fils de René II (1473-1508) dédicace : Epitalame 1599 poèmes à son
Altesse de Lorraine dans Marqueteries 1601 |
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dédicace : sur la santé de Madame dans Marqueteries 1601 |
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Henri 1563-1624 |
Charles 1567-1607 |
François II 1572-1632 |
Antoinette 1568- ? |
Elisabeth 1574-1635 |
Christine 1565-1637 |
Anne 1569-1576 |
Claude 1574-1576 | |||||||||||||||||
duc de Lorraine et
de Bar |
cardinal de
Lorraine évêque de Metz et de Strasbourg |
duc de Lorraine et
de Bar comte de
Vaudémont |
mariée en 1599 au
duc de Clèves |
mariée en 1595 au duc de Bavière |
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dédicace : pièces de l’Epithalame 1599 poèmes de Marqueteries 1601 |
dédicace : A Mgr le cardinal de Lorraine sur sa maladie, sur les misères de l’homme dans Marqueteries 1601 |
dédicace : 1601 pièces de l’Epithalame 1599 poèmes dans le Plaidoyer 1599 poèmes dans Marqueteries |
dédicace : À madame la duchesse de Clèves, dans Marqueteries 1601 |
dédicace : À la duchesse de Bavière, dans Marqueteries 1601 |
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épouse le 30.1.1599 Catherine de
Bourbon, sœur d’Henri IV, qui meurt en 1604 dédicace : pièces de l’Epi-thalame 1599 poèmes de Mar-queteries 1601 épouse en 1606 à Mantoue Marguerite de
Gonzague |
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Duc Antoine 1489-1544 fils de René
II |
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Nicolas duc de Mercœur ? -1577 |
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Henri de Lorraine marquis de Moy et
comte de Chaligny ? -1601 |
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dédicace : sur la mort de Monsieur le comte de Chaligny dans Marqueteries 1601 |
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Claude de Lorraine 1er duc de
Guise 1496-1550 |
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Antoinette de Bourbon |
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fils de René II duc
de Lorraine
et de Bar |
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Huit fils |
dont : |
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François
de Lorraine 1519-1563 |
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René
de Lorraine |
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Huit enfants dont : |
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duc de Guise C’est l’homme du siège de Metz |
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marquis d’Elboeuf (voir
branche des ducs d’Elboeuf) | ||||||||||||||
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Charles
de Lorraine 1554-1611 |
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Henri 1er (Le Balafré) 1550-1588 |
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Louis de Lorraine 1555-1585 | ||||||||||||||
duc de Mayenne chef de la ligue à la mort du Balafré en 1588 vaincu à Arques et à Ivry par Henri IV se soumet en 1595 |
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duc de Guise mort assassiné six
fils dont : |
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Cardinal |
de Guise | ||||||||||||
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Charles
de Lorraine 1571-1640 |
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Louis 1585-1621 |
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Louise
de Lorraine |
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Louis
de Guise | |||||||||||
duc de Guise, prince de Joinville dédicace Poème dans le Plaidoyer 1599 Poème dans Marqueteries 1601 |
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Cardinal de Guise, archevêque de Reims dédicace la vérité de l’église 1609 |
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fille naturelle dédicace à Mlle de Guise, Louise de Lorraine dans Marqueteries 1601 |
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fils naturel baron d’Ancerville dédicace Le Ravissement d’Hélène 1614 | ||||||||||||
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René
de Lorraine |
marquis d’Elbeuf, petit-fils de René
II | ||
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Charles de Lorraine |
duc d’Elbeuf | |||
son deuxième |
fils |
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Henri de Lorraine |
comte de Brionne (1601-1666) comte d’Harcourt, d’Armagnac et de
Chauny | |||
« Le cadet à la perle » |
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prit comme secrétaire Faret en 1623 | ||||
dédicace Histoires comiques 1612 Suite
de l’Iliade 1614 |
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I. Méthodes de travail et remarques préliminaires.
II. L'œuvre de François du Souhait : état actuel de sa bibliographie.
III. La vie de François du Souhait : état actuel des connaissances de sa biographie.
Pour étudier l'œuvre de Du Souhait, j'ai consulté les diverses bibliographies et manuels de littérature spécialisés et j'ai pu constater combien pouvait peser lourd et longtemps une opinion, dès l'instant qu'elle émane d'une autorité établie.
Ainsi, depuis le dur jugement de Boileau à l'égard de Du Souhait, tous les adjectifs qui le qualifient sont plus ou moins synonymes de médiocre. Je ne citerai pour mémoire que ces quelques opinions :
‑"les romanciers de cette époque sont surtout des amateurs" dit G. Reynier, réservant à Du Souhait l'étiquette : "plus dépourvu de goût que d'idées"[70].
‑"un de ces féconds et médiocres écrivains qui, sans s'illustrer, peuplèrent le Parnasse à la fin du XVIème siècle"[71].
‑"type moderne du tâcheron de lettres qui accumule les livres, aborde tous les genres, attentif aux fluctuations de la mode et singulièrement habile à se régler sur elle"[72].
Rien de plus flatteur chez A. Collignon qui, pourtant, consacre à Du Souhait une dizaine de pages dans une revue lorraine en 1913 : "Du Souhait paraît bien avoir appartenu à cette légion d'écrivains besogneux qui, au XVIème et au XVIIème siècle prodiguèrent les flatteries les plus hyperboliques envers ceux dont ils tiraient les ressources et leur subsistance"[73], ou encore : "poète et prosateur profondément et justement oublié" dont la lecture est qualifiée d'"insipide".
Il faut attendre la bibliographie proposée par Roméo Arbour pour voir apparaître un état plus exact de l'ensemble de l'œuvre de Du Souhait. N'est‑ce pas d'ailleurs la fréquentation approfondie de "l'ère baroque en France" qui lui fait dire dans son introduction qu' "une époque littéraire ne se définit pas seulement par les œuvres majeures"[74] ?
Une seconde remarque, enfin, me paraît importante : les chercheurs qui, pour des raisons internes à leurs propres travaux, ont réellement lu et fréquenté une partie de l'œuvre de Du Souhait, ont à son égard des opinions beaucoup plus nuancées. C'est le cas de Noémie Hepp qui, dans sa thèse extrêmement complète sur Homère en France au XVIIème siècle, conteste la qualité de la traduction de l'Iliade par Du Souhait parce qu'il ne s'agit pas d'un ouvrage d'érudit, le traducteur s'intéressant à l'œuvre du "Prince des poètes grecs"[75] avant tout pour y trouver une caution à ses propres idées sur l'existence et sur les devoirs d'un gentilhomme. N. Hepp rend cependant hommage à Du Souhait pour avoir été l'un des seuls à traduire Homère et pour l'avoir fait de telle sorte que cette traduction fut rééditée : "cinq éditions en vingt ans, c'est assez brillant". Même si les défauts sont criants, l'auteur, pour N. Hepp, sait se montrer "un écrivain correct et même doué d'un certain souffle"[76]. C'est également le cas de Jean Serroy qui, dans sa thèse sur les histoires comiques au XVIIème siècle, s'est intéressé aux Histoires comiques de Du Souhait parues en 1612. Il le dit "sans talent", l'accuse de "se prendre pour un bel esprit", puis réhabilite sa mémoire en expliquant que "avant que les générations futures, méprisant le goût compliqué du début du siècle, rejettent Du Souhait dans les profondeurs de l'oubli, le poète était apparu comme un écrivain fort estimable aux yeux de ses contemporains"[77]. En outre, même si elles sont de médiocre venue, les Histoires comiques ont le mérite d'exister et Jean Serroy pense que l'Histoire comique de Francion n'a vu le jour que grâce à l'œuvre de notre champenois. Cette paternité "n'est pas négligeable"[78], selon le mot de Jean Serroy qui conclut : "Du Souhait transmet, il ne crée pas. Mais ce qu'il transmet est nécessaire à l'édification d'une nouvelle littérature narrative comique. C'est "à l'envy de Du Souhait" que Sorel va écrire son Francion. Rôle modeste donc que celui de cet écrivain‑charnière, mais rôle important"[79].
Que conclure de ces divers avis formulés sur l'œuvre de François du Souhait ? Il me semble qu'on a longtemps porté sur notre "gentilhomme champenois" un jugement‑couperet hérité très certainement de l'opinion émise par Boileau. Ce jugement négatif est révélateur d'ailleurs du quasi mépris manifesté, sans doute par ignorance, pour toute cette époque charnière de notre littérature, enfin remise en lumière depuis ces dernières années. Si ceux qui ont étudié ses livres ont eu de l'indulgence pour le prolixe tâcheron que fut Du Souhait, on peut penser qu'en approfondissant l'étude de l'ensemble de son œuvre et, tout d'abord, en établissant la bibliographie complète de ses ouvrages, on parviendra à mieux discerner la place exacte occupée dans la littérature de son temps par notre secrétaire des ducs de Lorraine.
Sans vouloir systématiquement induire l'étude de l'homme de l'étude de l'œuvre, il m'a cependant semblé logique de commencer par dresser la bibliographie des ouvrages avant même de parler de l'écrivain et ce, pour plusieurs raisons. La première d'entre elles est l'extrême pauvreté des résultats des enquêtes d'archives menées sur notre gentilhomme champenois lequel a, semble‑t'il laissé des traces, non pas négligeables certes, mais rares dans les documents de son temps. La seconde raison est le fait que, souvent dédicacées, les œuvres de François du Souhait permettent de le situer dans son cercle géographique, politique, idéologique et social, de connaissances et de relations.
Je terminerai ces quelques remarques en ajoutant combien je regrette les insuffisances de bien des bibliographies spécialisées qui signalent des ouvrages mais ne permettent ni de les localiser, ni même d'en vérifier l'existence[80]..
Il va de soi que ma recherche m'a fait consulter, pour chaque œuvre, l'ensemble des éditions connues et localisées disponibles dans nos bibliothèques. Pour les ouvrages conservés dans les bibliothèques étrangères, je dois à l'obligeance de leurs conservateurs, d'avoir pu disposer de descriptions bibliographiques précises et complètes, de microfilms, et souvent de photocopies de pages intéressantes[81].
LÉGENDE :
Nombre d'éditions connues : * : une seule
** : plusieurs
Type d'ouvrage :
P : poésies
D : œuvres dramatiques
T : traductions
R : romans
C : œuvres de circonstance
M : œuvres de moralité
Ph : œuvres pamphlétaires
< > cote ou, à défaut, indications bibliographiques
C
Le / bon ange / du Roy / Par le sieur du Souhait / (marque) / A
Paris, / chez Jacques Rezé, au mont sainct / Hilaire, en la cour d'Albret / 1599
/ Avec Privilège du roy / in 8°, 12 p.
chiff. et 2 ff. **
< B. M. Nancy 280432(2) ‑ B. N. Paris 8° Lb35745 ‑ The New York Library
ND0459106 >
C Le / Bon ange / du Roy / Par le sieur du Souhait / (marque) / A Lyon / Par Thibaud Ancelin, et Guichard Jullieron / imprimeurs ordinaires du roy / 1599 / Avec Permission, in 8°, 14 p. chiff. ** < B. N. Paris 8°Lb35745A ‑ B. M. Bordeaux H11059/6 >
(il n'y a pas de privilège; à quelques erreurs typographiques près cette édition est semblable à l'édition parisienne)
C Epithalame / sur le mariage de / Monseigneur le Prince / de Lorraine et de Madame soeur / unicque du roy, avec les sonnets / dédiez tant à sa majesté, qu'autres princes / par le sieur du Souhait / (marque) / A Paris / Par Jacques Rezé au / mont sainct Hilaire, en la / court d'Albret / 1599 / Avec Privilège du roy / in 8°, 16 p. chiff. ** < B. Ste Geneviève Paris Q8°22bis res inv 748, pièce 28 >
C Epithalame / sur le mariage de / Monseigneur le Prince / de Lorraine, et de Madame soeur / unicque du roy, avec des sonnets / dédiez tant à sa majesté, qu'autres / Princes. / Par le sieur du Souhait / (marque) / A Paris / Par Pierre Chevalier, au mont sainct Hilaire, en la cour d'Albret / 1599 / Avec Permission / in 8°, 16p. chiff. ** < B. Mazarine Paris 35262 13ème pièce et 35265 21ème pièce ‑ B. N. Paris in 8° Ye20941 ‑ B. M. Chalons sur Marne AF.19335 >
(il manque, dans l'exemplaire de la Mazarine les sonnets; édition identique à l'édition de J. Rezé)
M
Le vray Prince, / A très vertueux et magnanime Prince, / CHARLES
EMANUEL / Duc de Savoye. / Par le Sieur du Souhait. / ( marque : nascentes
morimur mors rediviva piis ) / A Lyon, / Par Thibaud Ancelin, / Imprimeur
ordinaire du Roy, / 1599 / Avec Privilège de sa majesté / in 12, VI 41ff. chiff
et 1ff. nonchiff. **
<Wolfenbüttel B 142.16 Pol(1) >
(au début, vers de Pierre de Deimier, de Philibert Plassard et de Jacques Corbin)
M
La Vraye / noblesse / dédiée à monsieur, monsieur d'Urfé / escuyer et chambellan ordinaire de S.A.
Colonel général de sa Cava / lerie et infanterie françoise et / Capitaine de
cent chevaux légers / de ses ordonnances / Par le Sieur du Souhait / ( marque :
nascentes morimur mors rediviva piis ) / A Lyon, Par Thibaud Ancelin, imprimeur
ordinaire du Roy / 1599 / Avec Privilège de sa majesté / in 12, VI 35ff.
chiff. *
< Wolfenbüttel B 142.16 Pol(2) >
(au début vers de Jacques Corbin et de Perussault )
M
le Parfait / Aage et heureuse / fin de l'homme, / dédié à
très‑vertueuse damoiselle / mademoiselle Clapisson / Par le Sieur du Souhait / (
marque : nascentes morimur mors rediviva piis ) / A Lyon / Par Thibaud Ancelin,
/ Imprimeur ordinaire du Roy / 1599 / Avec privilège de sa majesté / in 12,
18ff. chiff. ** < Wolfenbüttel B 142.16
Pol(3) >
P Les / Divers / souhaits / d'Amour / Par le S. du Souhait, gentil / homme Champenois. / Tout n'arrive à Souhait / ( marque ) / A Paris / chez Jacques Rezé au mont S / Hilaire, / en la cour d'Albret / 1599 / Avec Privilège du Roy / in 12, 6ff. 22ff. chiff. et 2 ff. ** < B. N. Paris Res pYe340(1) ‑ B. Arsenal Paris 8°B 12028 Res et 8°B 12029 Res(1) ‑ University of Pennsylvania Philadelphie ND0459108 ‑ B. M. Besançon 203797 >
P Les / neuf muses / françaises / Par le Sieur du Souhait, gentilhomme / champenois / A monseigneur le conte de Briene / ( marque ) / A Paris / chez Jacques Rezé, / au mont S / Hilaire, en la cour d'Albret / 1599 / Avec Privilège du Roy / in 12, 15ff. chiff et 2ff. blancs * < B. N. Paris Res pYe340(3) ‑ B. Arsenal Paris 8° B 12028 Res et 8° B 12029 Res ‑ B. M. Besançon 203797 >
P Le Plaidoyé / Et jugement des / trois graces / Françaises / Par le sieur du Souhait /, gentil-homme / champenois / A Monseigneur / le Comte de Brissac, / Mareschal de France. / ( marque ) / A Paris / Chez Jacques Rezé, au mont S / Hilaire, en la cour d'Albret / 1599 / Avec privilège du Roy / in 12, 27ff. chiff. et 3ff. blancs ** < B. N. Paris Res pYe340(4) ‑ B. Arsenal Paris 8° B 12028 Res et 8° B 12029 Res ‑ B.M. Besançon 203797 >
D Beauté et / amour / Pastou / relle / Par le S. Du Souhait, gentil / homme champenois / A Monseigneur le Grand / (marque) / A Paris / Chez Jacques Rezé au mont S. / Hilaire, en la cour d'Albret / 1599 / Avec Privilège du Roy / in 12, 24ff. chiff. ** < B. N. Paris Res pYe340(5) ‑ B. Arsenal Paris 8° B 12028 Res et 8° B 12029 Res ‑ B.M. Besançon 2775 >
D Les lois d'amour, comédie, 1599 *
(signalé sans autre indication bibliographique dans l'article d'A. Collignon p. 691)
D Tragédie / de Radegonde / Duchesse de Bourgongne, / Par le S. Du Souhait, gentil / homme Champenois. / A Monseigneur le Duc d'Espernon / ( marque ) / A Paris, / chez Jacques Rezé, au mont S. / Hilaire, en la cour d'Albret / 1599 / Avec Privilège du Roy / in 12, 33ff. chiff. et 1ff. ** < B. N. Paris Res pYe340(2) ‑ B. Arsenal Paris 8° B 12028 Res et 8° B 12029 Res ‑ B. M. Besançon 203797 >
R Les / Amours / de Poliphile / et Mellonimphe / Par le sieur du Souhait / ( marque ) / A Lyon, / Par Thibaud Ancelin, / Imprimeur ordinaire du roy / 1599 / Avec Privilège de sa majesté / in 12 **
(signalé par Lachèvre, au catalogue Techener, au n°2774 de Roméo ARBOUR, était au Musée Lorrain à Nancy en 1973, disparu (?) depuis)
R Les Amours de Palémon, suite de Poliphile et Mellonimphe par le Sieur du Souhait, Lyon, Thibaud Ancelin, 1599, in 12 **
(signalé dans Techener, Lachèvre, figure au n°2773 de Roméo ARBOUR)
C Discours sur / l'attentat / à la personne du roy / par Nicole Mignon / dédié à sa majesté / Par le sieur du Souhait / ( marque ) / A Paris / Pour Anthoine du Brueil / et Gilles Robinot / 1600 / Avec Privilège du Roy / in 8°, 15p. chiff. ** < B. N. Paris 8°Lb;35;750 ‑ B. Ste Geneviève Paris Q 8°36;bis;Res inv823, pièce 4 ‑ University of Wisconsin, Madison ND 0459107 >
C Discours sur / l'attentat à la personne du roy / Par Nicole Mignon / Dédié à sa majesté / Par le sieur du Souhait / ( marque ) / jouxte la copie imprimée / à Paris / Pour Anthoine du Brueil / et Gilles Robinot / 1600 / Avec Privilège du Roy / 8ff. ** < B. N. Paris 8°Lb;35;750 A >
(cette édition comporte le même texte mais la typographie est différente, la pagination non chiffrée)
C Discours sur l'attentat à la personne du roy par Nicole Mignon dédié à sa majesté par le sieur Du Souhait, Lyon, Thibaud Ancelin, 1600, in 8°, 14p. et 1ff. ** < B. Lyon Res 314955 et Res 325804 B. St Jean transférée, sur information de Madame de la Perrière, confirmée ensuite par Roméo ARBOUR n° 19313 >
C Le / Bonheur de la France, / nay au mariage du Roy. / Par le sieur du Souhait / A Paris / chez Jacques Rezé au mont / sainct Hilaire près la / court d'Albret / 1600 / avec permission / 16p. * < B. N. Paris Ye20942 >
M L'Académie / des vertueux / A Monseigneur / Monseigneur Philippes des Por / tes Abbé de Tiron / Par le Sieur du Souhait / ( marque ) / A Paris, / Pour Anthoine du Brueil, tenant sa / boutique sur les degréz de la / grande salle du Palais / 1600 / Avec Privilège du Roy / in 12, 63ff. ** < B. Arsenal Paris S2462 ‑8°SA2009 >
(dédicacé à Monseigneur Philippe des Portes, Abbé de Tiron, c'est, à peu de choses près ‑ pagination, orthographe, absence de quelques dédicaces ‑ le texte du Bonheur des sages et du Malheur des curieux réuni en un même volume divisé en deux "livres", 32ff. et 31ff.)
M Le Bonheur / des sages / a très vertueuse Dame, ma / dame de la Guiche / Par le sieur du Souhait / ( marque ) /A Lyon / par Jean Pillehotte / à l'enseigne du nom de Jésus / 1600 / Avec permission. / ( précédée d'une autre page de titre : Le Bonheur / des sages et / malheur des / curieux ) / in 12, 91p. ** < B. N. Paris R23996 et R23997 ‑ B. Mazarine Paris 27823 ‑ B. M. Bordeaux S5209 >
M Le Malheur / des curieux / ( marque ) / A Lyon / par Jean Pillehotte / A l'enseigne du nom de Jésus / 1600 / avec Permission / in 12, 81p. ** < B. N. Paris R23997 ‑ B. Mazarine Paris 27823 ‑ B. M. Bordeaux S5209 >
M Le / Parfaict / Gentilhomme / Par le sieur du Souhait / A Paris / chez Gilles Robinot, tenant sa / boutique au Palais en allant / à la chancellerie / 1600 / Avec Privilège du roy / in 4°, 70ff. ** < B. Mazarine Paris 28229 >
(privilège du 16 février 1599 donné à J. Rezé qui l'a cédé à G. Robinot et à A. du Brueil)
M Les / Pourtraits / des chastes / dames / Par le sieur du Souhait / Tout n'arrive à Souhait / ( marque ) / A Paris / chez Gilles Robinot / en sa boutique / au palais, en allant à la chancellerie / 1600 / avec Privilège du Roy / in 12, 2ff. et 148p. ** < B. Arsenal Paris 8° S3080 >
M Les / Poutraicts / des chastes / dames. / Par le sieur du Souhait / Dedyez a très ver / tueuse et chaste / damoiselle Madamoisel / le de Clapisson / A Lyon / Par les héritiers de Benoist Rigaud / 1600 / Avec permission / in 12, 5ff. et 156p. ** < B. N. Paris R23995 ‑ B. Arsenal Paris SA2426 ‑ B. M. Aix Res S.89 >
P Le Plaidoyé et Jugement des trois graces françaises par le sieur du Souhait, Lyon, les héritiers de B. Rigaud, 1600 **
(signalé p.691 dans l'article d'A. Collignon)
R Les / Amours / de Poliphile / et Melonimphe / Par le sieur du Souhait / ( marque ) / A Paris / Pour Gilles Robinot, tenant / sa boutique au Palais, / en allant / à la chancellerie / 1600 / Avec Privilège du roy / in 12, 6ff. et 95ff. chiff ** < B. Arsenal Paris 8° BL 21537 et 8° BL 21538 >
R Les Amours de Poliphile et Melonimphe par le sieur du Souhait, à Lyon, les héritiers de B. Rigaud **
(signalé par Jean SERROY et par A. Collignon p. 691)
R Les Amours de Palémon par du Souhait, Paris, Gilles Robinot, 1600 / in 12, 4f. et 72ff. **
(signalé dans Techener et figure au n°3022 de Roméo ARBOR)
R Les / Amours / de Glorian / et d'Ismène / Par le sieur du Souhait / ( marque ) / A Paris / chez la veufve Nicolas de / Louvain, tenant sa boutique / au Palais sur le perron de la grand' salle / 1600 / Avec Privilège du Roy / in 12, 6ff. et 95ff. chiff. ** < B. Arsenal Paris 8° BL 21101 et 8° BL 21102 ‑ B. Ste Geneviève Paris Y8°3313 inv 6001 res >
P Marqueteries / ou oeuvres / diverses / Par le sieur du Souhait /,secrétaire ordinaire de son altesse de Lorraine / A Paris / pour Jean Houzé, au Palais en la / galerie des prisonniers, allant à la chancellerie / 1601 / Avec privilège du roy / in 12, 59ff. chiff. et 1ff. * < B. Arsenal Paris 8° BL 8992 >
R Les / Propriétés / d'Amour, / et les Propretez / des Amans / Contenant une hystoire véri / table des Amours de Filine, / et de Polymante / Par le sieur du Souhait, secrétaire ordinai / re de son Altesse de Lorraine / ( marque ) / A Paris / Pour Jean Houzé, au Palais, en la / galerie des prisonniers, allant / à la chancellerie / 1601 / in 12, 73ff. chiff. * < B. Arsenal Paris 8° BL 21040 >
M (sans nom d'auteur) Le vray Prince, / avec son parfaict aage et son heureuse fin, / desdié a très‑illustre et magnanime Monseigneur, Auguste Duc de Lunebourg / Paris / Par Gabriel de la Marche / 1601 / in 12, 41ff. chiff. et 18ff. non chiff. ** < Wolfenbüttel 146 Pol. >
(dédicace signée A. D. Maucouvent)
P (collectif) Le / premier (second et troisiesme) / livre du La / byrinthe de / Recreation / recerché des plus beaux / esprits de ce temps / à Rouen / chez Claude Le Vilain, libraire / et relieur du roy, demeurant / à la rüe du bec, à la bonne / renommée / 1602 / * < B. N. Paris pYe409 Res >
(trois volumes de respectivement 143, 141 et 143 pages contenant 238 pièces; les dix pièces de du Souhait paraissent, anonymement, dans le second livre)
R
Amours / de Palémon / suitte / de Poliphile / Par le sieur du
Souhait / ( marque ) / A Lyon / Par Thibaud Ancelin / Imprimeur ordinaire du Roy
/ 1602 / Avec Privilège de sa majesté / in 12, 1ff. et 69ff. chiff. **
< B. N. Y275416 ‑ B. Arsenal Paris BL 16108 ‑ Yale
University New Haven Connecticut ND 049105 >
( date douteuse pour ces divers ouvrages, parus anonymement, reliés ensemble dans l'ouvrage coté à la Bibliothèque Nationale D17725 )
M L'exercice de la fidelle veuve ( 46ff. chiff. ) *
M Le sacrifice larmoiant du parfait héritier ( 36ff. chiff. ) *
M La Prudence de l'espoux advieilly ( 21ff. chiff. ) *
( Ces trois ouvrages, reliés ensemble, sont suivis d'un extrait du privilège du roi à Jacques Rezé du 16 février 1599, transmis à Gilles Robinot le 21 septembre 1599 )
M L'heureuse alliance (68ff. chiff. ) *
( dédicacé à Madame de la Guesle, avec le texte du privilège du roi )
M Le Glorieux contentement des ames (48ff. chiff. ) **
( avec un avis aux lecteurs signé : Tout n'arrive à Souhait )
Pp Le / Pacifique / ou l'anti‑soldat / François / A l'unique Uranie / 1604 / in 12, 139 pages ** < B. N. Paris 8°Lb35799B ‑ B. M. Lille God. Res Lilloise 2336(2) ‑ B. M. Lyon Res 801027 >
Pp Le / Pacifique / ou / l'antisoldat / François / ( marque ) / l'an de grâce / 1604 / in 12, 168 pages ** < B. Ste. Geneviève Paris Z8°1033 inv 3174 pièce 6 res ‑ B. Arsenal Paris 8°H6841 et 8°H6858/2 ‑ B. N. Paris 8°Lb35799A ‑ Newberry Library Case F39326‑1605L >
( texte identique à l'édition précédente mais précédé d'une introduction de l'auteur )
Pp Le / Pacifique / ou l'anti‑soldat François ( marque) / 1604 / in 12, 156 pages ** < B. N. Paris 8°Lb35799C ‑ B. M. Nancy 280434b sans page de titre ‑ B. Mazarine Paris 36605(2) ‑ B. M. Toulouse Res DXVII540(2) ‑ Wolfenbüttel B 142.12 Pol.(2) >
( texte identique à l'édition précédente mais avec une typographie différente )
Pp Le Pacifique ou l'antisoldat François s. l. 1604, in 12, 143 pages ** <B. M. Douai 1604‑14 >1605M L'Académie des vertueux, Lyon 1605 **
( ouvrage mentionné uniquement par A. Collignon, sans autre indication biliographique )
R Les / Amours / de Poliphile et / Mellonimphe / Par le sieur du Souhait / revües, corrigées, et augmentées de / nouveau par l'autheur, dernière édition / ( marque ) /A Lyon, par Thibaud Ancelin, / Imprimeur ordinaire du roy / 1605 / Avec Privilège de sa majesté / in 12, 6ff. et 84ff. chiff. ** < B. N. Paris Y275415 et Y275416 >
R Les / Amours / de Palémon / suite du / Poliphile / Par le Sieur du Souhait / ( marque ) / A Lyon / Par Thibaud Ancelin / Imprimeur ordinaire du Roy / 1605 / avec privilège de sa majesté / in 12, 69ff. chiff. et 1ff. ** ( B. Arsenal Paris BL21489 >
P Beauté / et amour, / pastourelle / Par le S. Du Souhait, gentil / homme champenois / A Monseigneur le Grand. / ( marque ) / A Rouen / Chez Claude le Villain, libraire et relieur / du Roy, demeurant à la rüe du Bec, / à la bonne Renommée / 1606 / ** < British Museum 163b45 >
D Tragédie de Radegonde / Duchesse de / Bourgongne. / Par le S. Du Souhait, gentil / homme champenois. / A Monseigneur le duc d'Espernon / ( marque ) / A Rouen / chez Claude le Villain, libraire et relieur / du Roy, demeurant à la rüe du Bec, / à la bonne Renommée / 1606 / ** < British Museum 163b46 >
P ( collectif ) Le Parnasse, tome second, à Paris chez Mathieu Guillemot, au pallais avec privilège du roy, in 12
( 3 pièces de Du Souhait parmi les 377 de ce recueil )
C Plainte Publique sur le trespas de son altesse par du Souhait, Nancy, Blaise Andrea, 1608, in 4° *
( signalé par Beaupré III, figure au n°5077 de Romeo Arbour )
M La / vérité / de l'Eglise, ou est representée / son excellence et / antiquité / Par le sieur du Souhait / A Paris / par François Huby, rüe S. Jacques au / soufflet verd devant le collège de Marmoutier / Et en sa boutique au Palais / devant la porte de la saincte chap / pelle, joignant la salle / des Merciers / 1609 / Avec Privilège du roy / 2ff. et 146ff. chiff. * < B. N. D33362 >
( ce livre comporte à la suite de La verité de l'Eglise 2ff. et 60ff. chiff. Le paradis des solitaires où est représenté le contentement de la solitude et le mespris des vanitez, jusqu'au ff.146 )
R Les / chastes / destinées / de Cloris ou / roman des Histoi / res de ce temps. / Dédié à Monsieur de Bassompierre. / Par le sieur du Souhait / ( marque ) / A Paris / Par François Huby, rüe S. Jacques / au Soufflet verd, devant le collège de / Marmoutier / Et en sa boutique au / Palais devant la porte de la saincte / chappelle, joignant la salle des Merciers / 1609 / avec privilège du roy / in 12, 4ff. et 158ff. chiff. * < British Museum O12551de.9 ‑ B. Arsenal Paris 8°BL20904 >
R Les / Amours / de Poliphile et Mellonimphe / Par le sieur du Souhait / reveües corrigées, et augmentées / de nouveau par l'autheur. / Dernière édition / ( marque ) / A Lyon, par Barthelemy Ancelin / Imprimeur ordinaire du Roy / 1610 / avec privilège de sa majesté / in 12 6ff. et 84 ff. chiff. ** < B. Arsenal Paris 8°BL21539 >
P ( collectif ) Le / Labyrinthe / d'amour / ou / suite des Muses / Françoises / recherchée des plus beaux / esprits de ce temps / par HFSDC / A Lyon / Par Barthélémy Ancelin / Imprimeur ordinaire du roy / 1611 / < B. Arsenal Paris 8°BL9944 >
( 306 pages ‑ un sonnet de Du Souhait p.304 ‑ un ballet pp.305‑306 )
R Histoires / Comiques, ou / entretiens facétieux / de l'invention d'un des beaux / esprits de ce temps / A Troyes et se vendent / à Paris / chez Toussaincts du Bray, rüe S. Jacques aux espics meurs, et au Palais en la / Galerie des prisonniers / 1612 / avec privilège du roy / in 12 * < B. Arsenal Paris 8°19528 >
R Le Romant d'Anacrine **
( F. Lachèvre pense que cette édition existe; je le suis dans cette idée du fait que le privilège du 16 octobre 1611 du verso de la première page des Histoires comiques le donne pour "deux petits livres, l'un intitulé le romant d'Anacrine et l'autre Histoires comiques " )
R Le / Romant / d'Anacrine, où / sont représentez / plusieurs combats, histoi / res véritables et amoureuses / De l'invention d'un des beaux esprits de ce temps / seconde édition reveüe et augmentée / ( marque ) / A Paris, chez Toussaints du Bray, rüe S. Jacques aux Espics meurs, et au / Palais à l'entrée de la gallerie / des prisonniers / 1613 / Avec Privilège du roy / in 12, 549 pages ** < B. Arsenal Paris 8°BL20561 et 8°BL20562 >
R Le Romant / de Gloriande / ou suitte du ro / man d'Anacrine, où / sont continuées les histoires du / premier volume : avec plusieurs / autres nouvelles, et forces bel / les aventures / De l'invention d'un des beaux es / prits de ce temps / ( marque ) / A Paris / De l'imprimerie de François Huby / rue S. Jacques au Soufflet vert, devant le / collège de Marmoutier et en sa / boutique au Palais en la gallerie / des Prisonniers / 1613 / Avec Privilège du roy / in 12, 2ff. et 471 pages < B. Arsenal Paris 8°BL21103 >
( Le privilège annoncé ne figure pas et quelques feuillets liminaires manquent )
P
( collectif ) Les marguerites Poétiques nées des plus fameux poètes
français. Lyon .B. Ancelin
/ 1613 / in 4°
T L'Iliade / d'Homère Prince / des Poètes grecs, avec / la suite d'icelle / Ensemble le ravissement / d'Hélène, subject de / l'histoire de Troie, / le tout de la traduction et / invention du sieur du / Souhait / 1614 / A Paris, chez Nicolas Buon, rüe sainct Jacques à l'enseigne st Claude, / et de l'Homme sauvage / 12ff. et 1248 pages et 30 pages de tables ** < B. M. Nancy 267007 >
T L'Iliade / d'Homère Prince / des Poètes grecs, avec / la suite d'icelle / Ensemble le ravissement / d'Hélène, subject de / l'histoire de Troie, / le tout de la traduction et / invention du sieur / du Souhait / 1614 / A Paris, chez Pierre Chevalier, rüe / Sainct Jacques à l'enseigne St / Pierre près les Mathurins / Avec privilège du roy / 12ff. et 1248 pages ** < B. Arsenal Paris BL3648 1‑2 >
( texte identique à l'édition ci‑dessus, mais les tables ne figurent pas )
P ( collectif ) Les / satyres / bastardes et / autres oeuvres / folastres du Cadet An / goulevent quatrain / quiconque aura le mal de ratte / Lisant ces vers gays et joyeux / je veux mourir s'il ne s'esclatte / de rire, et ne pleure des yeux / A Paris / 1615 / in 12 < B. Arsenal Paris Ye 3469 Res >
( un ballet de Du Souhait figure 68r°v° et 69r°v° )
T L'Iliade / d'Homère Prince / des Poètes grecs, avec / la suite d'icelle / ensemble le ravissement d'Hélène, suject de / l'Histoire de Troie / le tout de la traduction et / invention du sieur du / Souhait 1617 / A Paris / chez Nicolas Buon, rüe sainct / Jacques à l'enseigne st Claude, et de l'Homme sauvage / Avec privilège du roy / 12ff. et 1248 pages et 30 pages de tables ** < B. Arsenal Paris 8°BL3649 ‑ B. N. Yb1109 >
P ( collectif ) Le Cabinet / satyrique / ou / recueil parfaict / des vers piquans et / gaillards de ce temps / tiré des secrets cabinets des sieurs de Si / gognes / Regnier, Motin, Berthelot / Maynard et autres des plus signa / lez Poètes de ce siècle / A Paris / chez Anthoine Estoc, au Palais en la gal / lerie des prisonniers près la chancellerie / 1618 / avec privilege du roy / in 12, 10ff. et 1ff. nchiff. et 703 pages et 11ff. < B. N. Res pYe 1115 >
( un ballet signé de Du Souhait pp. 280‑281 )
T L'Iliade / d'Homère Prince / des Poètes Grecs avec la suite d'icelle / ensemble le Ravissement / d'Hélène suject / de l'histoire de Troye / le tout de la traduction et / invention du sieur du Souhait / 1620 / A Paris / chez Nicolas Büon rüe Sainct / Jacques à l'enseigne St. Claude, et de l'homme sauvage, / avec privilège du roy / 2 tomes, 16ff. et 1248 pages et 30 pages de tables ** < B. N. Yb1110‑Yb1111‑Yb1112 ‑ Illinois University x881H81.Fdu >
( semblable à l'édition de 1617 )
T L'Iliade / d'Homère Prince / des Poètes Grecs avec la suite d'icelle / ensemble le Ravissement / d'Hélène suject / de l'histoire de Troye / le Tout de la traduction et / invention du sieur du Souhait / dernière édition / 1627 / A Paris / chez Nicolas Gassé au mont Sainct Hilaire près la court d'Albret / 16ff. et 1248 pages et 30 pages de tables ** < B. Arsenal Paris 8°BL3689(1‑2)‑BL3690(1‑2) >
R Histoire / et Romant / de Cloriande / où plusieurs histoires de notre temps sont naÆfvement représentées / de l'invention de plusieurs beaux esprits de ce temps / ( marque ) / A Paris / chez Denis Thierry, rüe S / Jacques à l'image S. Denys / proche S. Benoist / 1630 / Avec Privilège du roy / 2ff. et 471 pages ** < B. Arsenal Paris 8°BL15672 >
( Il s'agit d'une nouvelle émission du texte de 1613 )
T L'Iliade / d'Homère Prince / des Poètes grecs avec la suite d'icelle / ensemble le ravissement / d'Hélène sugiect / de l'histoire de Troie / le tout de la traduction et / invention du sieur du Souhait / dernière édition 1634 / A Paris chez Nicolas Gassé au Mont Sainct Hilaire près la court d'Albret / ** < B. M. Rouen O187 ‑ B. M. Bordeaux ‑ B. M. Grenoble F288 ‑ Yale University ‑ B. N. Yb1113 >
T L'Iliade d'Homère. Paris Nicolas Gassé **
( édition signalée par F. Lachèvre, Bibliographie, page 210 )
T L'Iliade d'Homère. Paris Nicolas Gassé[82] **
( édition signalée par F. Lachèvre, Bibliographie, page 210 )
Deux ouvrages sont parus sans date :
P Les Divers souhaits d'amour par le sieur du Souhait, gentilhomme champenois, contenant diverses pièces fugitives, s.l.n.d., in 8°, **
( Cet ouvrage est signalé dans Le trésor des livres rares et précieux, tome VI, vente Filheul, n° 110 )
M Le Parfait Aage et heureuse fin de l'homme, Lyon, Thibaud Ancelin, s.d. **
Le vray Prince, Lyon, Thibaud Ancelin, s.d. **
La vray Noblesse, Lyon, Thibaud Ancelin, s.d. **
( Ces trois opuscules sont réunis en un volume in 12 dont A. Collignon signale l'existence p.691 de son article consacré à François du Souhait.)
Il n'a pas été possible de préciser les dates de parution de ces deux ouvrages.
Par ailleurs, le volume coté D17725 à la Bibliothèque Nationale nécessite un examen particulier. Ce volume contient, reliées ensemble, les œuvres suivantes :
M Le / séjour de / l'âme soli/ taire / dédié à mada / moiselle de mesmes / ( marque ) / à Paris / chez Gilles Robinot, tenant sa boutique au Palais, en la pe / tite galerie allant à la / chancellerie / 1603 / avec Privilège du Roy / 53 ff. chiff. < B. N. D17725(1) >
M L'exercice de la fidelle veuve / 46 ff. chiff. < B. N. D17725(2) >
M Le sacrifice larmoiant du parfaict héritier / 36 ff. chiff. < B. N D17725(3) >
M La Prudence de l'espoux advieilly / 21 ff. chiff. < B. N. D17715(4) >
Ces ouvrages, quoique reliés ensemble, me semblent provenir d'auteurs différents. La typographie, les bandeaux décoratifs de (2)(3)(4) sont semblables. A la suite de (2)(3)(4) se trouve une page où sont consignées les coquilles d'impression figurant dans ces trois récits, page à la suite de laquelle on peut lire le privilège du roi pour les œuvres de Du Souhait, donné à Jacques Rezé le 16 février 1599 et transporté à Gilles Robinot le 21 septembre 1599. Quant au style, celui du Séjour de l'âme solitaire est très différent de celui des autres récits que l'on peut, eux, attribuer à François du Souhait.
En < B. N. D17725(5) > on trouve :
M L'heureuse Alliance / 68ff. chiff. /
avec, de nouveau, le privilège du roi pour les œuvres de Du Souhait.
En < B. N. D17725(6) > on trouve :
M Le Glorieux contentement des âmes / 48ff. chiff. /
précédé d'une dédicace signée " Tout n'arrive à Souhait " et d'un avis au lecteur signé de la même devise. Enfin, au verso du feuillet 48 se trouve un extrait du privilège à J. Rezé du 16 février 1599 pour les oeuvres de Du Souhait, transporté à Gilles Robinot le 22 novembre 1599. Le texte de cet ouvrage reprend celui du Parfait aage de Du Souhait de 1599.
L'auteur du Séjour de l'âme solitaire est aisément identifiable. Il s'agit de Jean Jacques de Mesmes, champenois, conseiller d'état en 1600, fait comte d'Avaux en 1638[83].
Aucune étude de critique interne ni externe ne permet d'identifier ce personnage avec François du Souhait à qui, par contre la paternité de (2)(3)(4)(5)(6) est difficilement contestable.
Quant au problème de la date, j'ai retenu celle de 1603, date figurant sur la page de titre du Séjour de l'âme solitaire en formulant l'hypothèse que se trouvaient reliées des œuvres morales contemporaines mais, à vrai dire, aucune raison sérieuse ne me permet d'affirmer que les œuvres de Du Souhait datent de cette année.
R Histoire ionique des vertueuses et fidèles amours de Poliphile Pyrenoise et de Damis Clezomenien, paru chez Abel l'Angelier / 1602 /
Cet ouvrage est inséré dans un recueil de la Bibliothèque Nationale à la cote Y275417 à la suite des Amours de Poliphile et Mellonimphe < Y275415 > et des Amours de Palémon < Y275416 >.
G. Reynier n'hésite pas à l'inclure dans la bibliographie des ouvrages de Du Souhait[84]. Or si ce roman est bien dédicacé à Marguerite de Lorraine, Poliphile y est en fait un personnage féminin d'une part et, d'autre part, le climat strictement onirique dans lequel évoluent les personnages ne saurait venir de l'imagination de Du Souhait.
R Les Elégances Françoises accomodées au langage du temps par NN, çi‑devant non imprimées / Amsterdam, Louis Elzevier, / 1641 / in 12, 72 pages < B. N. Z4106(3) >
Cet ouvrage est attribué à Du Souhait par M. Magendie mais R. Arbour conteste cette attribution[85]. Je le suis d'autant plus volontiers que Du Souhait a vraisemblablement disparu à cette date.
Le Pacifique ou l'Antisoldat François est paru sans nom d'auteur, mais il fut attribué à Du Souhait à l'époque même de sa publication. Du Souhait fut pris à partie pour avoir défendu une politique pacifiste. L'avocat Pelée, en 1606 , dans son Chevalier François, injurie violemment l'auteur du Pacifique : " Souhait de nos bourreaux, caméléon, Janus à double face, charongne pourrie..."[86].
Les Histoires comiques
Sorel, en 1633, reconnaît à Du Souhait la paternité des Histoires comiques prétendant que le Francion était écrit par Moulinet du Parc "à l'envy de Du Souhait, champenois, et comme pour le braver, à cause qu'auparavant Du Souhait avait donné le mesme tiltre à quelques Contes qu'il avait ramassez "[87]. En outre, l'œuvre est dédiée au Comte de Brionne comme l'Iliade de 1614. Dans la dédicace de sa traduction, Du Souhait rappelle avoir déjà offert au Comte " quelque discours facétieux pour (lui) recréer l'esprit "[88].
Le cycle d'Anacrine
Le privilège qui figure dans les Histoires comiques est donné en 1611 pour deux petits livres, l'un intitulé le Romant d'Anacrine, l'autre Histoires Comiques ou entretiens facétieux[89]. De même, le privilège qui figure dans le Roman d'Anacrine[90] est donné pour l'ensemble des deux ouvrages. En conséquence, le Roman d'Anacrine et le Roman de Gloriande, sa suite, sont bien de la main de Du Souhait.
Quelques problèmes posés par le texte du roman de Gloriande
La bibliothèque de l'Arsenal possède (sous la cote 8° BL 15829) l'édition de 1613 du Romant de Gloriande. Dans cette édition, la page de titre est suivie d'une page où figure la dédicace à "très illustre et très vertueuse damoiselle, madamoiselle Renée de Mesdavy. Les feuillets liminaires suivants (au moins deux) ont été de toute évidence arrachés. La confrontation de cet exemplaire avec celui de 1630 permet de dire avec une quasi certitude que ces feuillets arrachés correspondent à l'avis au lecteur suivi du privilège.
En effet, la bibliothèque de l'Arsenal possède également (sous la cote 8° BL 15672) un ouvrage intitulé "Histoire et romant de Cloriande où plusieurs histoires de nostre temps sont naïfvement représentées De l'invention de plusieurs beaux esprits de ce temps". Cet exemplaire est rigoureusement identique, quant au texte du roman et de la dédicace, à l'exemplaire de 1613. Seule la page de titre diffère. Le libraire Denys Thierry n'a visiblement réalisé là qu'une simple émission de l'ouvrage de Du Souhait de 1613, en modifiant la page de titre. Or cet exemplaire comporte un avis au lecteur à la suite de la page de dédicace à Mademoiselle Renée de Mesdavy. Cet avis comporte quatre feuillets, ils sont disjoints et mal reliés dans le volume de l'Arsenal ( en effet, les deux premiers feuillets sont insérés entre la page 466 et la page 467 ). Au recto du dernier de ces feuillets apparaît le privilège accordé le 10 octobre 1612 à François Huby pour L'histoire et romant de Gloriande. Cet avis au lecteur s'est révélé intéressant par son contenu et son style et a fait l'objet de plusieurs remarques importantes de notre étude.
D'une part, la mention "gentilhomme champenois" ne figure que dans les œuvres parues en 1599. D'autre part, la fonction de "secrétaire ordinaire de son altesse de Lorraine" n'apparaît dans les titres d'ouvrages qu'en 1601, dans les Propriétés d'amour et dans les Marqueteries. Enfin, une devise apparaît de temps à autre : "Tout n'arrive a Souhait".
François du Souhait choisit l'anonymat pour Le Pacifique, le Roman d'Anacrine, les Histoires comiques, le Roman de Gloriande et pour quelques œuvres morales.
On note une très forte production dans le cours des deux années 1599 et 1600. La publication suit ensuite régulièrement, mais à un rythme moindre, jusqu'en 1614. On peut en conclure que des circonstances extérieures ont poussé François du Souhait sur le devant de la scène en 1599. Il a donc pu ensuite éditer des œuvres qu'il devait tenir en réserve. Après la parution de l'Iliade en 1614, aucune œuvre nouvelle ne paraît, sinon quelques tirages dans des recueils collectifs. Or, en 1614, Du Souhait semblait avoir encore des projets d'écriture. En effet, à la fin du Roman de Gloriande, François du Souhait annonce une "conclusion de (son) œuvre..."[91]. L'auteur envisageait ainsi, à la date de publication de ce roman, en 1613, de lui donner une suite, mettant en quelque sorte un terme à l'histoire d'Anacrine. De même, à la fin de l'Iliade, on trouve l'annonce suivante : "voulant suivre la piste d'Homère et l'opinion de Dictis de Crête et de Virgile (...) vous feray voir au retour des Grecs, leur disgrâce et la mort d'Hélène pour conclusion entière de l'histoire de Troye"[92]. Cette suite ne vint jamais. Enfin, aucune édition corrigée de la main de l'auteur n'est donnée, alors qu'il écrivait en 1614[93], à propos de l'édition de l'Iliade parue cette année là : "Je n'y mets point d'errata, parce que j'ay espérance de la corriger, Dieu aydant à la seconde édition". Or, l'édition de 1617 n'apporte aucune réelle modification au texte de 1614. Seul le destinataire de la dédicace change. En 1614, il s'agit de Jean des Porcelets[94] et, en 1617, de Louys de Guise[95]. Quant aux éditions postérieures que j'ai consultées, elles sont identiques à celles de 1617.
Il semble donc que dès 1617, et sans doute dès 1614, François du Souhait ne participe plus à la vie littéraire alors qu'il avait manifesté clairement l'intention contraire.
Deux dates au moins auraient dû, me semble‑t‑il, figurer dans la bibliographie de François du Souhait.
La première est 1604, année de la mort de Catherine de Bourbon, sœur de Henri IV et épouse du Duc Henri II. En effet, en février 1604, "mourust en Lorraine, madame la duchesse de Bar, sœur unicque du Roy et en arrivèrent à Paris les nouvelles et à la cour le dimanche 15 du présent mois de février, qui furent celées au roy jusques au mardi ensuivant pour ce qu'il avait ses goutes" note Pierre de l'Estoile dans son Journal[96].
Du Souhait ne donne aucune œuvre pour pleurer l'événement alors même qu'il avait composé en 1599 un Epithalame en l'honneur du mariage de Catherine de Bourbon et d'Henri II. Il ne célébrera pas d'avantage le second mariage d'Henri II avec Marguerite de Gonzague, le 24 avril 1606. 1604, il est vrai, est la date de la querelle du Soldat François. Peut‑être est‑ce parce que notre auteur était mal en cour qu'il ne prit pas part à cet événement de portée nationale.
Une seconde date me semble manquer à l'évidence, celle de 1610. On aurait en toute logique attendu d'un auteur attentif à célébrer les faits marquants des grands de son époque, une œuvre à l'occasion de l'assassinat d'Henri IV. Or rien n'est connu de Du Souhait au sujet de cet événement majeur. Pourtant, ils furent légion ceux qui rédigèrent alors, qui un portrait, qui des stances ou une oraison funèbre en hommage au défunt roi. Alors qu'il avait été fait défense de publier quoi que ce fut sur la mort du roi tant "on craignait quelque déclaration intempestive concernant les instigateurs du meurtre"[97], les hommages au défunt "poussèrent alors comme des champignons en une nuit"[98]. On peut d'ailleurs lire dans le journal de Pierre de l'Estoile[99] : "J'acheptai ce jour (le 26 juin 1610) des Regrets Funebres qu'on criait sur la mort de Henry IV par Charles Remond, abbé de la Frenade, avec une autre niaiserie de Nervèze intitulée Discours funèbre sur la mort dudit Roy[100]".
La plupart des œuvres de Du souhait, mis à part un ouvrage édité à Nancy, un à Troyes, et deux à Rouen, paraissent à Paris et à Lyon. Certains libraires paraissent avoir été privilégiés : à Paris, Jacques Rezé puis Anthoine du Brueil et Gilles Robinot ; à Lyon, Thibaud Ancelin.
François du Souhait s'essaie à des genres très divers. Le reclassement des œuvres par genres donne la liste suivante :
Les œuvres de circonstance
Le bon ange du Roy (2 éditions en 1599)
Epithalame sur le mariage de Monseigneur le Prince de Lorraine (2 éditions en 1599)
Discours sur l'attentat à la personne du Roy (2 éditions à Paris en 1600, une à Lyon en 1600)
Le bonheur de la France nay au mariage du Roy (une édition à Paris en 1600)
Plainte publique sur le trespas de son Altesse (une édition à Nancy en 1608)
Les œuvres morales
Le vray prince (une édition à Lyon en 1599, une à Lyon sans date, une à Paris en 1601)
La vraye noblesse (une édition à Lyon en 1599, une à Lyon sans date)
Le parfaict gentilhomme (une édition à Paris en 1600, il s'agit en fait d'une réédition de La vraye noblesse)
Le parfait aage et heureuse fin de l'homme (une édition à Lyon en 1599, une à Lyon sans date, une à Paris en 1601)
L'académie des vertueux (une édition à Paris en 1600, une à Lyon en 1600, une à Lyon en 1605)
Les pourtraicts des chastes Dames (une édition à Paris en 1600, une à Lyon en 1600)
L'exercice de la fidelle veuve (une édition, peut‑être en 1603)
Le sacrifice larmoiant du parfaict héritier (une édition, peut‑être en 1603)
La prudence de l'espoux advieilly (une édition, peut‑être en 1603)
L'heureuse alliance (une édition, peut‑être en 1603)
Le glorieux contentement des âmes (l'édition, qui date peut‑être de 1603, est une reprise du Parfait aage et heureuse fin de l'homme)
La vérité de l'Eglise (une édition à Paris en 1609)
Les œuvres dramatiques
Tragédie de Radegonde (une édition à Paris en 1599, une à Rouen en 1606)
Les lois d'amour (une édition à Paris en 1599)
Beauté et amour, pastourelle (une édition à Paris en 1599, une à Rouen en 1606)
Les œuvres poétiques
Les divers souhaits d'amour (une édition à Paris en 1599, une édition s.l.n.d.)
Les neuf muses françaises (une édition à Paris en 1599)
Le plaidoyer et jugement des trois grâces françaises (une édition à Paris en 1599, une à Lyon en 1600)
Marqueteries ou œuvres diverses (une édition à Paris en 1601)Diverses pièces sont parues dans des recueils collectifs.
L'œuvre pamphlétaire
Le pacifique ou l'antisoldat françois (4 éditions sans lieu en 1604)
Les œuvres romanesques
Les amours de Poliphile et Mellonimphe (3 éditions à Lyon en 1599, 1600 et 1605, une à Paris en 1600)
Les amours de Palémon (2 éditions à Lyon en 1599 et 1605, une à Paris en 1600)
Les amours de Glorian et Ismène (une édition à Paris en 1600, une à Lyon en 1602)
Les propriétés d'amour (une édition à Paris en 1601)
Les chastes destinées de Cloris (une édition à Paris en 1609)
Histoires comiques ou entretiens facétieux (une édition à Paris en 1612)
Le roman d'Anacrine (probablement une édition en 1612, une à Paris en 1613)
Le roman de Gloriande (2 éditions à Paris en 1613 et 1630)
L'œuvre de traduction
L'Iliade (deux éditions à Paris en 1614, une en 1617, 1620, 1627, 1634, 1640, 1674 ?)
La liste qui vient d'être établie montre que, dans l'œuvre de Du Souhait, les différents genres semblent se succéder dans le temps. En 1599, on trouve deux œuvres de circonstance. En 1600, on retrouve deux autres œuvres de circonstance, puis le genre disparaît pour ne réapparaître qu'une seule fois en 1608. On peut penser que ce genre a permis à François du Souhait de se faire remarquer puis, qu'ensuite, la notoriété et la charge de secrétaire de Charles III acquises, il a pu se permettre de développer des genres qui lui plaisaient davantage. A mesure qu'il donne des œuvres de son cru, François du Souhait semble se spécialiser dans la narration en prose. Sans doute était‑ce là le genre qu'il affectionnait le plus ?
Un regard sur la liste des œuvres de notre auteur montre qu'il n'hésite pas à habiller de titres neufs des ouvrages déjà parus. Ainsi, l'Epithalame est repris dans Le plaidoyer et jugement des trois graces; Le bonheur de la France... est reproduit dans les Marqueteries; La vraye noblesse est reprise dans Le parfaict gentilhomme; L'académie des vertueux parue en 1600 et rééditée en 1605 est publiée également sous un autre titre : Le bonheur des sages et le malheur des curieux.
Par ailleurs, François du Souhait exploite souvent ses succès de librairie en leur donnant une suite. Ainsi, Les amours de palémon sont la suite des amours de poliphile et Le roman de gloriande est la suite du Roman d'Anacrine. On peut donc affirmer que si François du Souhait n'a pas fait paraître la suite annoncée dans l'Iliade en 1614, alors même que cet ouvrage connaît un excellent succès de librairie, c'est que des circonstances imprévues l'en ont empêché.
Enfin, deux genres dominent nettement dans la production littéraire de François du Souhait : les œuvres morales et les romans. C'est certainement à l'intérieur de ces deux types d'œuvres que l'on retrouvera le mieux le génie inventif de notre gentilhomme champenois.
En conclusion de cette simple étude externe de la bibliographie de François du Souhait, on peut dire que cet auteur vit en symbiose avec ses contemporains, épousant leurs préoccupations, se faisant l'écho des événements qui marquèrent son époque, mariages, deuils... Sa participation à la polémique du Soldat François, en 1604, le confirme. En outre, par ses œuvres morales et par ses romans, il alimente les lectures de la société mondaine renaissante. Oeuvres morales et romans se rejoignent d'ailleurs à une époque où "l'on demandait au roman d'être en quelque sorte une école de la vie mondaine", les personnages étant "l'expression d'un même idéal que l'accord d'une société voulait faire prévaloir"[101].
Mis à part la période lorraine de François du Souhait (qui dure de 1600 à 1615 environ), les recherches entreprises ont été décevantes. Il se dit gentilhomme champenois, mais son nom ne figure dans aucun des nobiliaires de France ou de Champagne consultés, il n'a laissé aucune trace aux archives municipales de Reims, ni aux archives de la Marne et de la province de Champagne sises à Châlons sur Marne, ni aux archives anciennes de Troyes.
Par contre, les recherches entreprises aux archives de Nancy ont été fructueuses : les registres des comptes des ducs de Lorraine mentionnent le nom de notre auteur cinq fois entre 1600 et 1615.
Enfin, les Archives Nationales possèdent l'acte notifiant le procès de du Souhait en juillet 1614[102].
Jusqu'en 1599, il nous faut nous contenter de la mention "gentilhomme champenois" qui fait suite au nom de notre auteur sur la page de titre des Divers Souhaits d'Amour de 1599. L'origine champenoise de Du Souhait est confirmée de la main de notre auteur dans la dédicace qu'il compose en 1599 à l'intention de Monseigneur le Prince de Lorraine (Henri II) dans l'Epithalame. Il écrit : "J'eusse péché contre mon devoir si ayant succé avec le laict de la mammelle le doux laict des muses à vostre patrie, je n'en eusse arrosé les fleurs de lis et les doubles croix de vostre mariage."[103] Un autre Champenois, Charles Sorel, confirmera plus tard cette origine en parlant dans la préface de son Francion de "Du Souhait, champenois"[104].
La multiplicité des dédicaces et la diversité des dédicataires des œuvres qui paraissent en 1599 prouvent la "volonté de l'auteur de trouver à toute force un protecteur influent"[105]. Il se tourne vers des grands de la noblesse comme le duc de Montpensier, le duc d=Espernon, le maréchal de Brissac, le comte de Brienne, Charles Emmanuel de Savoie, vers des femmes nobles comme madame de Montpensier, madame de Guise, madame et mademoiselle de Bar, mademoiselle de Nevers, mademoiselle de Clapisson. Il s'adresse également à des ecclésiastiques, comme Monsieur de Valegrand, archevêque d'Aix. Il compose enfin pour le roi à qui il dédicace Le Bonheur de la France...
L'aide recherchée sera finalement trouvée auprès de la famille de Lorraine à laquelle il donne dès 1599 l'Epithalame sur le mariage de monseigneur le Prince de Lorraine. On peut donc supposer que l'entrée de Du Souhait au service de la Maison de Lorraine date de 1599‑1600.
On apprend par les registres de comptes des ducs de Lorraine que notre auteur se voit remettre en 1600 de l'argent que "Monseigneur luy a octroyé pour luy avoir dédié un petit livre par luy composé"[106]. Il s'agit sans doute de l'Epithalame. Il est couché sur les registres avec l'étiquette de "poète"[107]. A partir de cette date Du Souhait est reconnu comme homme de lettres par le duc de Lorraine. Avec l'appui de ce dernier il pourra désormais participer à tous les événements qui animent la cour de Lorraine : réceptions, bals, déplacements, ambassades . Approuvé par le duc de Lorraine il se trouve en contact avec tous ceux que leur titre ou leur rôle conduit à fréquenter la cour de Charles III.
Dans les registres de 1603, il figure avec son titre : "A François du Souhait, secrétaire de son Altesse"[108]. On lui remet une somme d'argent deux fois en avril et une fois en septembre pour le défrayer des frais du voyage entrepris entre Nancy et Paris afin de chercher des livres "servant au parachèvement de l'œuvre par luy commencée"[109]. On sait, en particulier grâce aux Mémoires de Bassompierre, qu'Henri IV fut reçu à Nancy en avril 1603 "avecques tout l'apparat et la magnificence imaginable. Madame y dansa un ballet et après que le Roy eut demeuré huit jours à Nancy il s'en retourna à Fontainebleau où il fit une diette "[110]. Du Souhait a‑t‑il participé à ces fêtes, à ce voyage ? Le fait que son nom apparaisse dans les registres à cette date permet d'envisager sérieusement cette possibilité.
En 1608, Charles III meurt. Sans doute François du Souhait a‑t‑il voulu rédiger la pompe funèbre du défunt duc, son mécène. Son initiative, non soutenue par la nouvelle autorité ducale semble avoir donné lieu à une véritable polémique dont Pierre Marot a retrouvé les traces[111]. Je le cite : "La Ruelle reçut commandement du duc de Lorraine de composer la relation de ces cérémonies (...), il faillit d'ailleurs estre devançé par François du Souhait (...). Une lettre du conseiller d'Etat Gleisenove à Voillot, datée de Nancy le 26 août 1608, quelques semaines après l'achèvement de la cérémonie nous apprend, non sans humour, les inquiétudes que connut La Ruelle :[112] "Monsieur du Souhait a voulu a toute force sans privilège ny de S.A. ni d'autre, commencer à faire imprimer à Toul son discours de la Pompe Funèbre de feu S.A.. Monsieur de La Ruelle, qui a eu commandement d'icelle de le dresser pour après le considérer et puis le mettre au jour, a cuidé enrager de ceste prévention et présumption du sieur Du Souhait, de sorte que, pour luy mettre la vie au corps, il a fallu que Son Altesse mist du bon pour arrester le cours de l'impression et lui en a cousté 120 francs de frais. Il y avait quinze feuilles audit discours dont il y a eu que les trois premières despéchées, lesquelles je vous envoye cy jointes pour vous en entretenir[113] quand aurez loisir par les champs et y marquerez, je m'asseure, plusieurs choses dites sans jugement et fort traiz impertinenz ou impropres, je vous entretiens de cela faulte de meilleur sujet...". Le poète put se consoler de sa mésaventure en recevant la somme de 620 francs que S.A. luy accorda "en recongnaissance des peines et soings par luy employez à servir"[114]. Seul l'ouvrage de La Ruelle fut imprimé. Celui de Du Souhait, tout comme celui d'un autre écrivain qui avait aussi tenté de s'approprier la rédaction de la pompe funèbre : Alphonse de Rambervillers, cet ouvrage donc, a disparu[115]. Il aurait été particulièrement intéressant de pouvoir consulter l'ouvrage signalé par le catalogue Beaupré : Plainte publique sur le trespas de son altesse par Du Souhait paru à Nancy chez Blaise Andréa. S'agit‑il d'une édition de la pompe funèbre écrite sans privilège par notre auteur ou, comme le titre semble le suggérer, s'agit‑il d'une plainte rédigée par un auteur frustré dans ses initiatives ?
En 1609, Du Souhait semble chercher de nouveaux protecteurs. Il dédicace sa Vérité de l'Eglise à Louis de Lorraine, cardinal de Guise, archevêque de Reims (1565‑1621).
Les registres de 1611 nous apprennent que François du Souhait est passé au service du comte de Vaudémont, futur duc François II (1572‑1632). Il assume de nouveau le rôle de "secrétaire"[116]. On lui remet de l'argent pour le défrayer de dépenses faites lors d'un voyage à Paris où il aurait accompagné le comte, "Son Altesse et madame (sa) belle sœur"[117]. Ce mandement est suivi d'une reconnaissance signée de la main de notre auteur. Or, à la date de 1611, le maréchal de Bassompierre rapporte que "Madame la duchesse de Lorraine, nièce de la reine, la vint trouver à Fontainebleau, la reine alla au devant d'elle et la receut en grand apparat et puis vers la toussaints la cour (composée , on l'apprend quelques paragraphes plus haut, de quatre à cinq cents gentilshommes ou princes) revint à Paris" et Madame de Lorraine s'en retourna en décembre[118]. On peut donc supposer que Du Souhait fit partie de l'escorte qui accompagna à Fontainebleau la nouvelle épouse d'Henri II, Marguerite de Gonzague, fille de Vincent 1er de Gonzague, duc de Mantoue, et d'Eléonor de Médicis, sœur de la reine de France Marie de Médicis.
Enfin, le nom de François du Souhait apparaît une dernière fois aux comptes de 1615[119]. Cette fois, il est simplement désigné par l'expression : "sieur du Souhait". On lui donne le 26 mars 1615 deux balles de papier "pour certaines bonnes considérations". On sait que les ducs de Lorraine possédaient à Arches des papeteries. "C'était en papier et rarement en argent qu'Henri II acquittait le prix des livres qu'il achetait aux libraires ; et au lieu de gratifications pécuniaires il donnait aux auteurs le papier nécessaire à leurs ouvrages"[120].
4. Conclusions sur les services de François du Souhait pour la Maison de Lorraine
Il semble que Du Souhait, après la mort de Charles III n'ait pas retrouvé la charge et la protection dont il jouissait jusque là.
La protection de la Maison de Lorraine lui permit de vivre. Elle le fit également bénéficier du climat intellectuel favorable qui régnait à la cour ducale. Elle lui donna enfin l'occasion de côtoyer et peut‑être de rencontrer d'autres écrivains qui ont laissé leur nom à la postérité. Rien n'empêche en effet de supposer que Du Souhait ait pu connaître Nervèze, auteur en 1608 d'une Histoire de la vie et trespas de Charles de Lorraine, duc de Lorraine, et en 1613 d'une Histoire de la vie et trespas de Charles de Lorraine, duc de Mayenne. On peut également formuler l'hypothèse d'une rencontre éventuelle entre notre auteur et Nicolas Faret. Nicolas Faret est né à Bourg‑en‑Bresse et il fut baptisé le 12 avril 1600. Il fut secrétaire du comte d'Harcourt à partir de 1621. Sans doute plus jeune que Du Souhait, Faret eut vraisemblablement connaissance, sinon de notre auteur, du moins de son œuvre par l'intermédiaire d'Henri de Lorraine, comte de Brionne, comte d'Harcourt, à qui François du Souhait dédicaça en 1612 ses Histoires comiques, et en 1614, son Illiade.
Que se passa‑t'il en 1615 ? On peut supposer que le fait que Du Souhait ait perdu son titre de "secrétaire" en 1615, soit lié aux ennuis très sérieux qu'il eut en 1614 avec l'autorité royale. Lui‑même et son libraire imprimeur Antoine du Brueil furent assignés à comparaître devant la cour de justice de Paris le 29 juillet 1614. Il est accusé d'avoir rédigé des libelles séditieux. Le libraire sera condamné à une amende relativement légère.
François du Souhait, quant à lui, sera banni du Royaume de France pour neuf ans et on "luy enjoint de garder son ban à peine d'estre pendu et estranglé"[121]. A‑t'il suivi François, comte de Vaudémont qui s'était retiré en Bavière après les divers différends qu'il eus avec Henri II[122] ?
A partir de la confrontation des indications fournies par la lecture de la bibliographie de notre auteur et des détails biographiques trouvés dans les documents d'archives, on peut esquisser le déroulement de la carrière de Du Souhait. Après avoir cherché un mécène, il se trouve aidé par la Maison de Lorraine qui lui offre une charge et une protection. Il peut donc alors s'exprimer dans les genres littéraires les plus divers. A la mort de son protecteur, le duc Charles III, François du Souhait doit de nouveau chercher un appui. Il sera encore soutenu par la Maison de Lorraine, mais il ne retrouve pas la bienveillance dont il jouissait avant la mort du duc. En 1614, son œuvre est freinée car il a manifestement déplu. Il publie sa traduction de l'Iliade mais, banni, il doit quitter la France. La Lorraine lui offre peut‑être un asile mais il n'y retrouve pas la charge honorifique et gratifiante de secrétaire et il ne peut mener à bien ses projets littéraires : poursuivre le cycle romanesque d'Anacrine, remanier et continuer l'œuvre de traduction d'Homère. Il déplut et disparut...
La mort intervint‑elle ? On peut bien évidemment se poser cette question de bon sens. Or, de sa santé, on sait peu de choses. En 1612, l'adresse aux lecteurs des Histoires comiques nous apprend qu'il a souffert d'une "fievre quarte"[123] laquelle l'aurait tenu longtemps malade si, pour se "desennuyer", il ne l'eût fait "passer avec resjouissance". En 1613, dans l'Avis aux lecteurs du roman d'Anacrine[124], il se plaint d'être victime de la "calomnie" de "buses qui se couvrent du manteau des muses". De même, dans l'Avis aux lecteurs[125] de Gloriande, il se plaint d'avoir été calomnié, il se dit "marry" d'avoir été mal compris. "Ce fust contre mon dessein", dit‑il, que certaines dames aient pu mal interpréter tel ou tel trait d'un autre de ses romans (sans doute les Histoires comiques) et il semble affecté de ces critiques. Enfin, dans l'Avis aux lecteurs de l'Iliade[126], en 1614, il dit "souffrir de l'hostilité de son entourage" : "ma liberté a servy de bute à l'envie (...) et mon innocence est succombée sous l'effet de la calomnie", et il affirme en outre : "on me desroba cinq livres de l'Iliade". Le privilège[127] du 14 mars 1614 est donné par le roi à Nicolas Buon et Pierre Chevalier qui auraient, lit‑on, "recouvré l'Iliade et l'Odyssée d'Homère traduicts en prose françoise par le sieur du Souhait, lequel y a aussi, de son invention, adjousté le Ravissement d'Hélène et la suite de l'Iliade et le retour des Grecs". Le roi tient à assurer les deux libraires qui ont engagé des frais dans ces recherches et pour l'impression, qu'ils auront l'exclusivité "tant de fois qu'il leur semblera" de l'impression. Du Souhait a‑t'il réellement rédigé ces ouvrages ? On ne peut pas le savoir. Toujours est‑il que ce privilège nous fait penser que l'Iliade, dans ses rééditions, n'a pas été revue par l'auteur. L'ensemble de ces détails permet d'affirmer que les années 1614‑1615 ont été particulièrement éprouvantes pour François du Souhait qui, parce qu'il avait déplu, disparut.
Outre les relations que notre écrivain put avoir à la cour de Lorraine avec Nervèze ou même Faret, on peut tenter de définir quel fut le réseau des connaissances de François du Souhait parmi les intellectuels de son temps.
Certains écrivains font appel à lui à l'intérieur même de leurs œuvres. C'est le cas de Timothée de Chillac dans les œuvres duquel on peut lire ce "sonnet à Monsieur de Chillac sur ses Amours" signé de Du Souhait[128] :
"Amours prenez ces vers pour vous servir de flames (...)
Chillac laisse tes vers pour fuir les amours
Non, ne les laisse pas, fais en naistre tousjours
Amour te fit aimer, tes vers font que l'on t'aime"
De Chillac, pour sa part, écrit des stances[129] en hommage aux Amours de Poliphile et Mellonimphe, stances qu'il fait figurer dans ses propres œuvres: "Sortez âmes d'amour et les amours des âmes...";
Dans les œuvres du sieur de Deimier, on lit également un sonnet de Du Souhait, jouxtant un sonnet de Jacques Corbin, il s'agit du sonnet[130] :
"Les vers estoyent sans art, et l'amour sans pouvoir (...)
Pour estre surmonté, mon Deimier tu triomphe
Tu es vaincu d'Amour, tes vers en sont vaincueurs :
Et pour t'estre rendu tu en as le triomphe"
Pierre de Deimier, pour sa part inclut dans son recueil un sonnet élogieux pour "Monsieur du Souhait, sur son livre du Vray Prince"[131] :
"Les celestes seigneurs, les anges et Jupin
De leur hautain pouvoir, de leur main, de sa flame
Ont animé, doré, influé dans ton âme
Le cœur, la voix, le bras d'un Prince tout divin"
Pierre de Deimier faisait partie des familiers de la reine Margot, tout comme Jacques Corbin. Ce dernier connaissait bien Du Souhait. Il compose en son honneur un sonnet extrêmement élogieux qui figure en tête du Vray prince ("Tes faicts sont le Vray Prince et ton livre l'image..."[132]) ainsi que des stances pour sa Vraye noblesse ("Noblesse des esprits, esprit de la noblesse..."[133]). On peut penser avec Jean Serroy que Du Souhait, par l'intermédiaire de ses amis, a fréquenté ce cercle et qu'il a "élaboré son œuvre au contact des membres de cette société mondaine, la plus brillante de son temps"[134].
Jean Serroy a, d'autre part, relevé[135] l'indice suivant : "dans l'avis au lecteur qu'il place en tête de son édition de 1633, Sorel attribue le Francion à Moulinet du Parc, prétendant que ce dernier aurait écrit des Histoires comiques "à l'envy de Du Souhait (...) et comme pour le braver, (parce qu')il y avait de la contention entre ces deux esprits qui estoient d'un même temps"[136]. Si l'attribution à Moulinet du Parc est manifestement une supercherie, la remarque faite par Sorel pour accréditer sa thèse a toute chance d'être exacte". Jean Serroy note à l'appui de cette affirmation le fait que Jean Villot, éditeur de Moulinet du Parc, demanda à celui‑ci en 1612, à la suite de la parution des Histoires comiques, d'écrire dans la même veine Les facétieux devis et plaisants contes.
On peut enfin rappeler pour mémoire que des recueils collectifs, dont l'audience fut grande à l'époque, publient des œuvres de Du Souhait. C'est le cas du Labyrinthe d'amour de 1611, du second tome du Parnasse de 1607, des Satyres bastardes de 1615, du Cabinet satyrique de 1618.
François du Souhait semble donc avoir un nom qui comptait parmi les écrivains de son temps en la compagnie desquels il semble bien intégré : pourtant les jugements portés sur son œuvre par ses pairs ne sont pas toujours des plus flatteurs. Ainsi, dans son journal, Pierre de l'Estoile ne mentionne t'il Du Souhait qu'en avril 1604[137] : "En ce temps fust publié et imprimé à Paris l'Antisoldat françois, fait par ung nouveau poëtastre et escrivaceau de ce temps, nommé Du Souhait, qui est un discours fort peu souhaitable de tous les gens d'honneur, et si gausse et mal tissu qu'il ne mérite qu'un Matagot pour reprise. Au reste qui sent de loin son ame cautérisée Hespagnol, rejetté à bon droit de tous les bons et naturels François". C'est bien peu d'indications sur notre écrivain dans un Journal qui fourmille en notations sur les faits divers de cette époque. Quant à Sorel, même s'il a parfaitement conscience de devoir beaucoup à François du Souhait, il ne cite dans sa Bibliothèque françoise de 1667 que Nicolas Faret parmi les auteurs de "livres pour la conduite générale des mœurs"[138], omettant volontairement notre auteur à qui il ne concède une place dans son ouvrage qu'au titre de son œuvre de traduction : "L'Iliade d'Homère ayant esté traduite en vers françois par Hugues Salel et par Amadis Jamin, a esté depuis traduite en prose par le sieur du Souhait"[139].
La
personnalité de François du Souhait se profile au travers de l'étude externe de
son œuvre et des quelques traces biographiques qu'il a laissées dans nos
archives. Homme d'origine sans doute modeste, il put pénétrer en 1599 dans le
monde des lettres grâce à la bienveillance de ses protecteurs lorrains. Ecrivain
prolixe, sans doute doté d'une personnalité qui osait s'affirmer, il finit par
déplaire, faute impardonnable pour un homme de sa condition qui, de ce fait et
quels que fussent son talent et ses projets littéraires personnels, disparut de
la scène publique en 1614.
I. Les œuvres de circonstance
II. L'œuvre poétique
III. L'œuvre dramatique
IV. L'œuvre de traduction
V. L'œuvre pamphlétaire
VI. Les œuvres morales et dévotes
VII. L'œuvre romanesque
Quelques remarques préliminaires.
L'étude interne qui suit regroupe par genres les œuvres de François du Souhait. Certains ouvrages font l'objet, et nous en avons pleinement conscience, d'un classement discutable: Le plaidoyer et jugement... et Les neufs muses françaises... ont été insérés dans l'œuvre poétique en raison de leur forme versifiée et rimée d'une part, du ton lyrique des recueils d'autre part. Toutefois, ils auraient pu être comptés dans l'œuvre dramatique en raison de la forme dialoguée fréquemment rencontrée dans ces œuvres[140]. Le Pacifique a été, lui, classé dans l'œuvre pamphlétaire mais il aurait eu sa place parmi les œuvres de circonstance ou parmi les œuvres morales, voire parmi les œuvres romanesques à titre de roman politique.
J'ai classé les différents genres selon l'ordre croissant de leur importance dans l'œuvre de Du Souhait.
Ces œuvres correspondent, tout naturellement, à l'expérience d'un écrivain attaché à la Maison de Lorraine, attentif à célébrer les événements importants de son milieu et de son époque.
En 1599, François du Souhait donne l'Epithalame sur le mariage de Monseigneur le Prince de Lorraine et de Madame soeur unicque du Roy..., ouvrage qui connaît deux éditions la même année. Cet ouvrage sert de base au Plaidoyer et jugement des trois grâces paru la même année, dans lequel il est inclus. Il comporte deux grandes parties. La première est une sorte d'hymne joyeux de l'auteur, heureux de célébrer le mariage d'Henri II et de Catherine de Bourbon.
"...commencez la dance
Un branle, une courante, une volte, un cinq pas (...)
Et puis après soupper qu'on commence à dancer
Qu'on couche l'Espousée et qu'un lieu on asseure
De faire par Amour leur amour commencer (...)"[141]
Le ton est gai, le vocabulaire simple, naïf, direct. Les réalités de l'amour sont nommées avec sérénité:
"On s'y baise les yeux, on s'y baise la bouche
On s'y baise le sein à sa discrétion"[142]
L'amour conjugal est chanté avec joie. La seconde partie de l'œuvre consiste en un hommage rendu aux grands personnages que Du Souhait veut flatter. On ne peut s'empêcher de déceler dans ces flatteries la quête par notre auteur d'une bienveillante attention de la part de ces grands.
En 1608, l'auteur donne une Plainte publique sur le trespas de Son Altesse. Cette œuvre n'est malheureusement pas localisable. Il aurait pourtant été intéressant de voir en quels termes le secrétaire de Charles III rendait hommage au duc dont -comme on l'a vu dans le chapitre précédent‑ il ne fut pas autorisé à rédiger officiellement la pompe funèbre.
Le bon ange du Roy date de 1599 et paraît conjointement à Paris et à Lyon. Dans ce court opuscule, l'auteur veut prouver à Henri IV que celui‑ci, comme Moïse, le prophète Daniel, Romulus et Rémus, Cyrus, Alexandre, Pyrrhus, Agathocle et Scipion l'Africain, est placé sous la protection d'un "bon démon"[143], ou plutôt d'un "bon ange"[144]. Du Souhait nous y apprend que le roi a déjà échappé à maints assassins ("tous ceux qui ont attenté à vostre majesté ont beu eux‑mesmes le venin de leur couppe"[145]). La protection dont jouit le roi est justifiée selon l'auteur pour deux raisons: tout d'abord, "Dieu ne laisse pas impuni le crime de celui qui se prend à son supérieur", ensuite, le Roi ayant procuré la paix à son royaume, se doit de parachever l'œuvre commencée en assurant ses sujets de la venue "d'un nouveau roy"[146]. L'ouvrage se termine sur les stances: "Sur le bon ange du Roy", sorte de prière à l'ange tutélaire d'Henri IV afin que celui‑ci continue de faire "le guet au royal édifice"[147]. Cet opuscule nous intéresse par la position pacifiste prise par Du Souhait; il trouve son prolongement l'année suivante lors de l'attentat commis contre Henri IV par Nicole Mignon.
Le Discours sur l'attentat à la personne du Roy par Nicole Mignon, paraît l'année même de l'attentat, soit en 1600[148]. Dans cet ouvrage en prose, Du Souhait reprend des passages du Bon ange du Roy. Il se réjouit de ce que le Roi a échappé à l'attentat et espère que la réunification du pays autour d'Henri IV va se poursuivre:
"Nous ne serions pas François si nous n'espousions vostre defence (...) voicy donc le dernier supplice du dernier attentat qui doit remettre tous vos subjects à leur devoir et asseurer vostre majesté du devoir de vos très‑humbles François"[149]. Du Souhait termine son ouvrage par un sonnet qu'il intitule ‑et les termes parlent d'eux‑mêmes de son loyalisme et de son pacifisme foncier ‑ "le Roy parlant comme père à ses subjects"[150].
"Je suis semblable à l'aigle et à l'aigle contraire (...)
L'aigle comme je fais veut aux petits complaire
Ayant un coeur royal et plein d'humanité
Mais l'aigle à ses subjects n'a jamais souhaitté
Comme je fais aux miens une paix salutaire."
Du Souhait paraît accorder beaucoup de prix à ce sonnet qui est en fait une variante d'un sonnet de l'Epithalame: "Dissemblable au Phoenix, il est semblable à moy ", repris par conséquent dans le Paidoyer..., puisqu'il le réutilise dans Le Bonheur de la France...et il le fera donc également figurer dans les Marqueteries de 1601.
Le Bonheur de la France nay au mariage du Roy , paraît en 1600. Les pièces qui le constituent seront reprises dans les Marqueteries de 1601. Cet ouvrage est dédié à "très puissante et très haute Henriette de Bourbon, Princesse de Lorraine, soeur unicque du Roy"[151]. Il s'agit, bien évidemment, de Catherine de Bourbon, soeur d'Henri IV, qui a épousé le 30 janvier 1599 Henri de Lorraine, fils de Charles III et futur duc Henri II. Est‑ce là une coquille de notre auteur, ou ne peut‑on voir dans ce glissement de prénom un clin d'oeil complice à l'amour conjugal qui rapproche mari et femme? François du Souhait salue avec optimisme le remariage d'Henri IV avec Marie de Médicis le 17 mars 1600. L'auteur rend hommage au Roi pacificateur, il s'adresse également à la Reine en lui offrant conjointement un "Adieu de Florence à la Royne"[152] et un "Salut de la France à la Reine"[153] laquelle doit "en temps de guerre une paix apporter"[154]. Du Souhait semble ne rien ignorer des penchants libertins du Roi de France et supplie en ces termes la nouvelle reine, sa compagne:
"Que ce follet amour de nature vollage
N'enflamme plus les yeus de ce prince indompté
Mais que vous seul soleil animiez son courage
Et les autres domptant, il soit de vous dompté"[155].
Du Souhait montre dans ces œuvres une volonté délibérée de flatter les grands personnages de la vie desquels il relate les événements importants. On remarquera pourtant que notre auteur sait y faire preuve de personnalité, affirmant des convictions loyalistes et pacifistes, peignant avec optimisme l'amour conjugal, chantant son idéal du grand personnage protecteur des humbles, n'hésitant pas à relever les petits défauts de ceux qu'il loue.
C'est donc sans flagornerie ni servilité qu'il compose des œuvres de circonstance que la réalité de son temps et sa condition d'écrivain sans fortune lui imposaient.
La première remarque qui s'impose concerne la date de parution de la plupart des œuvres de Du Souhait appartenant à ce genre. En effet, Les divers souhaits d'amour, Le plaidoyer et jugement des trois grâces françoises, Les neuf muses françaises, paraissent en 1599, et, pour la plupart, sont rééditées une fois. Les Marqueteries ou œuvres diverses datent de 1601. Il faut ajouter à ces œuvres les poèmes parus dans les recueils collectifs de l'époque. Ces dates nous font dire que la poésie est une des tentations premières de notre auteur. Ne joue‑t'il pas d'ailleurs sur son nom de famille lorsqu'il donne à son premier recueil de vers le titre: "Les divers souhaits d'amour"? L'Adieu au livre[156] de l'auteur nous confirmerait volontiers dans cette idée. Il y exprime sa joie d'avoir pu laisser s'exprimer sa plume:
"Vous estes mes souhaits vous vivez dans les cieux
Vous n'estes mes souhaits vous restez au nuage
Estant vous aspirez de vivre glorieux
N'estant, vous souspirez une mort en servage"
La seconde remarque concerne les dédicaces de ses œuvres poétiques. Du Souhait multiplie dans ses poésies les dédicaces aux grands de son époque. Tout se passe comme si l'œuvre poétique servait en quelque sorte à notre auteur de "faire valoir" pour trouver auprès des nobles une audience et un appui. Les nobles appréciaient les jeux de vers galants sans être toujours capables d'en composer eux‑mêmes. Pour un écrivain en quête de mécénat, montrer ses talents littéraires en publiant toutes sortes de poésies n'était pas une démarche dépourvue de sens tactique.
Ces recueils font apparaître également l'habileté de notre auteur. Il aime, dans ses oeuvres poétiques, s'entourer de la caution de personnages déjà connus dont il insère quelques bouts rimés (quelle qu'en soit la valeur intrinsèque) dans son propre recueil. C'est le cas, par exemple, de ces quatre vers de "Bonnet" intitulés: "aux vers de monsieur du Souhait"[157]:
"Les ignorans de l'univers
Ne nous prendrons que pour chenilles
Mais les doctes et les plus habilles
Vous prendront toujours pour des vers"
Dédicacés au duc de Montpensier, Les divers souhaits d'amour comportent toutes sortes de formes poétiques: quatrains, sonnets, stances, chansons. Les mètres utilisés sont également diversifiés: on rencontre le huitain ("durant le printemps de mon age"[158]), le dizain ("je flotte encore sur l'amoureuse mer"[159]), et l'alexandrin qui, de loin, est le plus fréquemment usité ("beaux yeux divins flambeaux, lumière de ma vie"[160], "beaux cheveux qui servez de chaisnons aux amours"[161]).
Tout comme les mètres, les thèmes poétiques sont variés. Certains poèmes sont des éloges de grands personnages, ainsi le duc de Montpensier est‑il comparé à Mars et à Mercure, la duchesse de Montpensier, quant‑à elle, est louée pour l'accord parfait qu'elle représente entre la beauté et la vertu[162]. La plupart des poèmes consistent en des vers galants vantant les attraits d'une dame: l'éclat d'un regard, le "tain" blanc[163] d'une belle, les fils des cheveux qui retiennent l'amoureux captif. On trouve également dans ce recueil quelques quatrains satiriques comme cette épitaphe pour un médecin appelé Gaignebien :
"maintenant que Charon le tient à son rivage
Advisez mes amis si Charon gaigne bien"[164]
ou comme le quatrain: "si j'estois encore pucelle"[165] et cette intéressante épigramme[166]:
"Petit galland tu fais le grand
Et mesprises ceux de ton rang
Tu ne le dois pas je te jure
Devrais tu estre si hautain
T'estant librement faict parjure
Pour espouser une putain"
Le plaidoyé et jugement des trois grâces francaises est dédié en 1599 au comte de Brissac, maréchal de France. L'ouvrage se présente comme une sorte de rêve où apparaissent neuf muses:
"La nuict Morphée en dormant me fist voir
Un sainct troupeau de neuf muses nouvelles"[167]
Guidé par Clion, déesse de l'histoire, le poète pénètre dans une grotte où il peut voir se dérouler les événements du monde. Il voit et entend Henri IV raconter la défaite d'Amiens, suivie de l'allégeance des assiégés et de la promesse du souverain de se conduire en père pour ses sujets, pourvu que ceux‑ci lui soient soumis. La promenade du poète se poursuit par la rencontre de "Monsieur le prince de Lorraine et Madame, soeur unicque du Roy"[168] auxquels il lit un épithalame dont le texte est en fait celui de l'Epithalame, paru séparément la même année.
On assiste ensuite, à partir du feuillet chiffré 21, à une sorte de procès poétique où s'opposent les anciennes grâces et les nouvelles grâces, sous l'arbitrage du Maréchal de Brissac. Aglaye, Thalie et Euphrosyne, les anciennes grâces, rivalisent en qualité d'esprit et de cœur avec les nouvelles grâces que sont trois grandes dames de France: madame de Montpensier, la princesse de Conti et madame Le Grand; c'est en faveur de ces dernières que l'arbitrage est rendu. On retiendra de cette œuvre le climat onirique qui baigne l'ouvrage, l'extrême diversité des formes utilisées, allant du sonnet au dialogue, le mélange intime qui est opéré entre la réalité contemporaine des Grands dont Du Souhait cite les noms et la fiction mythologique. On assiste à une sorte de fête galante poétique en l'honneur des dames.
Les neuf muses françaises paraissent en 1599, dédiées au comte de Brienne. Cette fois encore, il s'agit d'une sorte de procès poétique où alternent divers plaidoyers d'accusation et de défense. Neuf grandes dames y rivalisent avec neuf muses. C'est "l'archevesques d'Aix, le sieur de Vallegrand, qui estoit leur juge"[169].Les neuf grandes dames, parmi lesquelles figurent la duchesse de Bar et madame de Guise demandent aux muses: "recevez nous au Parnasse avec vous "[170], mais celles‑ci refusent car elles craignent "qu'ainsi nous flattant / Au Parnasse habitant / vous nous fermiez les portes"[171]. Les unes et les autres se targuent, pour briller, de leurs qualités respectives et de leurs attributs personnels. Clion[172] "pour preuve de sa mémoire / leur récite ceste histoire" tandis que madame de Guise "pour preuve de son esprit / cest histoire leurs apprit"[173]. On notera plus particulièrement la joute entre Terpsichore et madame de Marmoutier, "femme savante" avant la lettre, capable de surprendre par sa culture comme en témoigne ce court passage: "les habitants des zônes tempérées ont des nuicts courtes à cause de l'interposition de la terre" explique‑t'elle[174]. L'ouvrage se termine par la victoire des dames dont le comte de Brienne chante les qualités d'esprit: "vostre eloquence / vous cause cest honneur"[175].
Les Marqueteries ou œuvres diverses paraissent en 1601 et sont dédiées "à très illustre et très haultes damoiselles, Mesdemoiselles Henriette et Catherine de Rohan"[176]. Comme le titre l'indique, cette œuvre est une véritable marqueterie de pièces très diverses. A de longues stances sur la Nativité de Jésus Christ succèdent divers poèmes, hymnes, sonnets et autres stances, souvent déjà lus dans des recueils précédents. Nombre de ces pièces sont dédicacées à des grands de la Maison de Lorraine. Tout se passe comme si François du Souhait réunissait dans cet ouvrage un véritable échantillonnage de son savoir‑faire. Les poésies ont peu de rapport entre elles, l'ouvrage n'est pas conçu selon une logique thématique. Une mosaïque de thèmes sont abordés: l'amour certes, la beauté, mais aussi la maladie et la mort. Les mètres varient d'une pièce à l'autre, du huitain ("tes armes, ton luth et ta voix / sont les contraintes de noz âmes"[177]) à l'alexandrin ("Amour fit un miroir non d'acier non de verre / Il s'ayda seullement des glaces de vos yeux..."[178]). Recueil de poésies variées, les Marqueteries constituent un véritable catalogue des possibilités poétiques de notre auteur, en particulier en matière de pièces de circonstance dont je donnerai un seul exemple[179]:
"Nature faisans un partage
A pris amour pour héritiers
Mais Amour estant trop volage
De ces deux parts en quicte un tiers
Nature donnait volontiers
A l'amour un tel héritage
Mais riche assez de ses mestiers
Ne voulut prendre autre appennage
Comme nature eust recogneu
Qu'il n'avait son bien retenu
Voulant un hoir qui lui survive
Je dis si par affections
Vous donnez vos perfections
Ne les donnez qu'à SOMMERIVE"
Cet ouvrage lui permet, en s'appuyant sur des succès passés qu'il reprend, de faire connaître à une clientèle potentielle de gens de la haute société, toutes les facettes de son talent et de son savoir-faire en matière de poésie.
Nous nous reporterons au dépouillement opéré par Frédéric Lachèvre[180]. Il fait état de douze pièces parues dans des recueils collectifs du dix‑septième siècle.
Dix pièces, non signées, figurent dans le Labyrinthe de récréation de 1602. Six viennent des Divers souhaits d'amour[181]. Il s'agit de la chanson[182]: "Durant le printemps de mon age", la chanson[183]: "Allez jaloux, ce n'est point vous qui devez jouir de ma belle", la chanson[184]: "Quand on voudrait, madame, divertir nos amours...", la chanson de la chasse[185]: "Esprits quittez l'amour, venez suivre la chasse", le quatrain[186]: "Si j'estois encor pucelle, je trouverais quelque espoux" et l'épigramme: "Petit galland, tu fais le grand"[187]. Quatre pièces sont des reprises de récitatifs du chœur de la tragédie de Radegonde[188], il s'agit de: "Que l'amour a de force"[189], "Jamais un homme vertueux"[190] "La vertu est désirable"[191] , et "Celuy là fait trop follement"[192]. Ces dix pièces ne figuraient pas dans La muse folastre de 1610 dont le Labyrinthe de réréation est la suite. Elles n'apparaîtront plus dans le Labyrinthe d'amour.
Deux pièces, non signées, figurent dans Le labyrinthe d'amour de 1611, il s'agit du sonnet[193]: "Mes vers, enfans d'humeur, humeur de mon esprit" que l'on peut lire dans Les Amours de Polliphile et Mellonimphe[194], et du "Ballet des joueçrs de paume"[195], venu des Amours de Palémon[196]. Ce même ballet figure, non signé dans Les Satyres bastardes de 1615[197]. Il sera repris dans Le Cabinet satyrique de 1618[198] et dans ses très nombreuses réimpressions. Ce dernier ouvrage collectif hérite directement des Plus excellens vers satyriques de ce temps parus en 1617 auxquels on adjoignit 171 nouvelles pièces dont deux du Labyrinthe d'amour, en particulier ce ballet de Du Souhait.
Trois pièces de François du Souhait sont intégrées parmi les 377 pièces françaises qui constituent le second volume du Parnasse de 1607[199]. Il s'agit de deux pièces que l'on retrouvera dans Les chastes destinées de Cloris[200]: "Je suis un petit monde à l'amour asservi" et: "Nous faisons vous et moy un changement estrange", et du tombeau de feu Monsieur Philippe Desportes, abbé de Tiron: "Les muses bastirent de leurs artistes mains".
Ces diverses pièces montrent que, pour François du Souhait, l'amour est un thème qui le pousse à versifier. Tour à tour galant, plaisant ou égrillard, l'auteur n'hésite pas à accorder son violon à tous les registres. Du Souhait écrit de manière diversifiée, il trouve sa place dans des recueils aussi différents que Le Parnasse où la poésie galante s'exprime avec tenue et élégance, et Les satyres bastardes où fleurissent des pièces beaucoup plus hardies voire gaillardes[201].
Les œuvres poétiques de François du Souhait se caractérisent tout d'abord par leur extrême diversité; l'auteur manie tous les mètres, toutes les formes, toutes les longueurs de poèmes, au gré des circonstances de l'écriture. Elles utilisent des registres extrêmement variés, de la galanterie cultivée à la plaisanterie gauloise, du ton le plus docte à la verdeur la plus leste[202].
Les pièces poétiques, d'autre part, sont souvent reprises dans d'autres types d’œuvres de l'auteur, aussi bien dans les œuvres morales que dans les romans ou les pièces de circonstance.
Enfin, dans cette catégorie d'œuvres, l'auteur privilégie l'expression par l'image, préférant filer la métaphore plutôt qu'exprimer directement l'objet de sa pensée..
Au total, la poésie nous apparaît comme une série d'essais de la part d'un auteur qui se cherche une gamme de thèmes d'écritures, un ton, un style et n'oublie pas de quêter les protections qui assureront sa subsistance et lui permettront de mener à bien ses ambitions littéraires.
S'agissant du genre dramatique, François du Souhait s'est également essayé à plusieurs formes de théâtre.
Les lois d'amour de 1599 est la seule comédie attestée de notre auteur. A. Collignon signale son existence dans l'article qu'il a consacré à Du Souhait[203], mais l'absence de tout renseignement bibliographique ne permet pas d'en prendre connaissance. Les diverses bibliothèques françaises et étrangères consultées ne possédaient pas l'ouvrage.
La Tragédie de Radegonde date de 1599. On en connaît une réédition à Rouen en 1606. La pièce est dédiée au duc d'Espernon.
La pièce fait intervenir plusieurs "entreparleurs"qui sont: l'ombre de la mère du duc, Radegonde duchesse, Lucresse dame d'honneur, Ferdinand duc, Floran gentilhomme, un page, Constance nièce du duc, Marceline demoiselle de la duchesse[204].
La tragédie comporte trois actes rédigés en alexandrins; un choeur se fait l'écho du bon sens populaire sur la scène. L'histoire est simple, elle est bâtie sur le ressort de la jalousie qui hante l'âme de Radegonde, princesse mal aimée. De manière irraisonnée, la duchesse s'éprend de Floran, un gentilhomme. Celui‑ci conserve son sang froid et toute sa retenue, alors même que Radegonde s'offre littéralement à lui:
Radegonde:
"Ayez pitié de moy, à souhait jouyssez"
Floran:
"Madame, où est l'honneur de vostre antique race
L'amour de vostre espoux sa valeur et sa grâce?
Madame oubliez vous vostre pudicité (...)"[205].
Lorsque Radegonde comprend qu'elle est repoussée par Floran, elle cherche désespérément à le déconsidérer aux yeux du duc, n'hésitant même pas à l'accuser de vouloir la suborner. Le duc éprouve quelque doute mais Floran éclaircit la situation en préservant la réputation de la duchesse. Floran avoue au duc son amour pour Constance. Caché, le duc Ferdinand assiste à un chaste entretien entre les jeunes gens et, rassuré, retourne vers Radegonde lui conter ce qu'il vient de voir et d'entendre. Perdant alors toute retenue, la duchesse convoque Constance et, sans ménager la pudique jeune fille lui lance: "Si vous aimez Floran, on vous le donnera"[206]. La pièce se termine dans un bain de sang. la jeune fille, désespérée de savoir son amour découvert, se tue. Floran la suit dans la mort, et, furieux, le duc Ferdinand tue Radegonde de sa main :
"Perfide créature et mensongère femme
Qui pour cacher ta faute et pour couvrir ton blasme
As causé le trespas de ces amans icy
Il faut maintenant que tu meures aussi"[207].
La pièce s'achève alors sur ce sobre commentaire du choeur:
"La voilà trespassée, ainsi sa cruelle rage
Avant que trespasser a causé ce carnage
Rien ne peut se sceller: le grand Dieu irrité
Aux despens des meschans monstre la vérité"[208].
Le thème de la "calomnie par laquelle une femme rebutée se venge de celui qui était l'objet de son amour"[209] est un thème fréquent de la littérature grecque, repris pas Sénèque, transmis par l'Italie, très répandu dans la littérature française du Moyen Age. On le retrouve dans le poème de La châtelaine de Vergy. "Cette fiction littéraire du XIIIème siècle a joui d'une grande popularité: il nous reste encore une vingtaine de manuscrits qui conservent une rédaction du premier texte en vers, il existe aussi des traductions médiévales en néerlandais et en italien et le nom du personnage principal se retrouve dans nombre de textes littéraires du XIVème et du XVème siècle. Certains manuscrits sont illustrés: parallèlement, au XVIème siècle, on fabrique des objets en ivoire comme des coffrets et des peignes sur lesquels sont sculptées les scènes les plus importantes du drame; on représente aussi l'histoire sur des fresques à Florence et sur des tapisseries. A la fin du XVè siècle on voit paraître une version en prose: L'Istoire de la Chastelaine du Vergier et de Tristan le chevalier, (...) Vers 1540, paraît une version dialoguée en vers, agrémentée de gravures sur bois"[210]. Toujours au XVIème siècle, Marguerite de Navarre reprend l'histoire dans la soixante‑dixième nouvelle de L'Heptaméron. Il existe encore une traduction italienne de Bandello, elle‑même traduite en français par François de Belleforest en 1580[211]. La pièce de Du souhait se place donc dans la lignée de transmission de l'histoire rapportée depuis le Moyen Age[212]. Il nous a paru intéressant et révélateur de nous livrer à une rapide comparaison entre la version d'origine de "La châtelaine de Vergy", la nouvelle de Marguerite de Navarre et la pièce de Du Souhait pour mieux définir l'originalité et les intentions d'écriture de notre auteur.
Dans le texte du XIIIème siècle, la châtelaine de Vergy est mariée, l'amour partagé de la châtelaine et du chevalier doit donc impérativement être tenu secret. Le silence et le secret sont donc les charnières de toute l'histoire dans le conte médiéval. Tant que le secret est gardé, les jeunes amoureux peuvent vivre harmonieusement les rites de l'amour courtois, si le secret vient à être éventé, le désordre apparaît :
"Issi le fisent longement
Et fu l'amors douce et celee,
Que fors eus ne le seut riens nee"[213]
Le chevalier n'avoue au duc son amour pour la châtelaine que lorsqu'il y est contraint. Pour lui, il n'y a plus d'autre choix possible que l'aveu lorsque le duc, se fiant au rapport perfide de son épouse, le menace de bannissement s'il ne parle pas. Le duc peut ensuite assister, caché, aux ébats charnels auxquels se livrent la châtelaine et le chevalier, et se trouve alors pleinement rassuré. Il ne dirait rien de plus à son épouse si celle‑ci n'exerçait sur lui un odieux chantage: elle se refuse à lui dans le lit conjugal tant qu'il ne lui explique pas les raisons qui l'ont dissuadé de croire à la trahison du chevalier. La duchesse finit par obtenir la connaissance du secret et profite de la première occasion pour faire comprendre à la jeune châtelaine qu'elle n'ignore rien de son amour courtois. La châtelaine est alors la proie du doute. Pour elle, si la duchesse est au courant du signe de reconnaissance dont elle avait convenu avec le chevalier ( un petit chien ), cela ne peut être dû qu'à la trahison de celui qu'elle aime. Trahie, elle ne souhaite plus vivre et se donne la mort. Ce suicide entraîne alors la mort du chevalier puis celle de la duchesse, tuée de la main du duc (celui‑ci n'avait‑il pas fait promettre à son épouse le maintien du secret en ces termes :
"Sachiès, et itant vous en di,
Que se je sui par vous traï
Vous en recevrez la mort"[214]).
L'auteur anonyme du XIIIème siècle tire du dénouement de son récit un "explicit" :
"Et par cest essample doit l'en
S'amour celer, par si grant sen
C'on ait tous jors en ramenbrance
Que li raconters point n'avance
Et li celers en tous poins vaut:
Qui tout çou fait ne crient assaut
Des faus felons enquereours
Qui enquierent d'autrui amors"[215].
Dans cette histoire tout s'enchaîne avec une solide logique: celle‑la même qu'implique l'observance de l'amour courtois. Le secret de l'amour entre la châtelaine et le chevalier doit absolument être conservé. Eventé, il est signe de trahison laquelle pousse l'amant malheureux à préférer la mort à la vie.
Lorsque Marguerite de Navarre reprend ce récit dans sa soixante‑dixième nouvelle, elle utilise le vieux conte médiéval avec des intentions très précises qu'elle expose dès les premières lignes de son histoire: "Les femmes de bien, dist Longarine, n'ont besoing d'autre chose que de l'amour de leurs mariz, qui seullement les peuvent contenter; mais celles qui cherchent ung contentement bestial ne le trouveront jamais où honnesteté le commande"[216]. Dans ce contexte, la duchesse devient l'exemple d'une "dame belle et bien maryée, qui, par faulte de vivre de ceste honneste amitié, devint plus charnelle que les pourceaulx et plus cruelle que les lyons"[217]. Pour que cette idée ressorte du récit, Marguerite de Navarre apporte quelques modifications au conte médiéval. Elle insiste, en les soulignant, sur les pulsions charnelles de la duchesse qui la pousse à désirer celui qui, de "chevalier", est devenu le "gentilhomme". Ce désir sexuel extrêmement violent se transforme en dépit lorsque la duchesse est repoussée par le gentilhomme. La reine de Navarre met également en valeur le caractère odieux du chantage exercé par la duchesse auprès de son mari pour lui faire avouer le secret qu'il détient au sujet du gentilhomme. Elle fait croire qu'elle est enceinte. Le duc aime tendrement son épouse aussi, "craingnant de perdre sa femme et son enfant ensemble, se délibéra de luy dire vray du tout; mais, avant, luy jura que, si jamais elle le révéloit à créature du monde, elle ne mourrait d'autre main que la sienne"[218]. Eventé, le secret provoque les morts en chaîne car la châtelaine soupçonne une déloyauté de la part du gentilhomme. Marguerite de Navarre tire de ce récit une leçon de très haute tenue morale.
Lorsque Du souhait reprend, lui aussi, le vieux conte, il ne prend guère la peine de rendre vraiment nécessaire le maintien du secret du tendre lien qui unit Constance et Floran. A l'inverse de ce qui se passait pour le récit du XIIIème siècle et pour celui de Marguerite de Navarre, le suicide de Constance dans Radegonde ne semble pas pleinement justifié par le contexte de la pièce. Ferdinand, en effet, n'avait‑il pas assuré Floran qu'il ne lui tenait aucunement rigueur de courtiser Constance et ne s'était‑il pas proposé pour favoriser l'union des deux jeunes amoureux?
"puisque d'un chaste feu je vous cognois espris
Je veux qu'un sainct Hymen contente vos esprits"[219].
Ce suicide donne un peu l'impression d'être une fin facile de la part de Du souhait. La triple mort sur laquelle s'achève la pièce paraît quelque peu invraisemblable, voire gratuite, par rapport à l'ensemble du déroulement logique de la pièce. Ce qui semble essentiellement préoccuper Du Souhait dans sa Radegonde, c'est, d'une part l'âme passionnée de la duchesse sous l'emprise de sa folle passion amoureuse, et d'autre part, le comportement indigne de cette femme de haut rang qui ne sait pas sacrifier un attachement personnel à la raison d'Etat. Radegonde meurt dans la pièce de Du Souhait beaucoup plus parce qu'elle a failli à son devoir de duchesse que parce qu'elle a eu la faiblesse de laisser battre son cœur ou d'avoir une attirance sexuelle pour un homme. Ainsi, Du Souhait reprend le thème littéraire traditionnel en l'adaptant à son propos qui consiste à intéresser son lecteur au cheminement de la passion amoureuse dans le cœur de Radegonde et à le sensibiliser à l'indignité du comportement de la duchesse. Il transmet donc le vieux thème médiéval en subordonnant les nécessités dramatiques à l'intérêt thématique.
Le thème de la passion amoureuse retient toute notre attention car le personnage de Radegonde présenté dans sa tragédie par Du Souhait a quelque chose de fascinant. L'emprise de la passion amoureuse sur la duchesse a quelque chose de démesuré, presque de pitoyable. Duchesse et amoureuse, elle perd le sens de la mesure et de la raison, s'abandonne sans retenue ni bon sens à la passion qui l'étreint. Cette passion dévorante et dévastatrice est le véritable nœud de l'intrigue dramatique, l'origine du conflit qui génère la pièce. Les ravages qu'elle cause dans l'âme de Radegonde et dans la vie des autres protagonistes sont au cœur de la pièce comme dans bien des pièces de cette période et des années qui suivront[220].
Nous retiendrons également le second thème illustré par cette pièce, à savoir le thème du grand personnage qui, comme tel, a un rang à tenir. Indigne, la conduite de Radegonde méritait un châtiment que le duc, monarque authentique et courageux, administre de sa main.
Le troisième thème qui a retenu notre attention est celui de la mort et plus précisément celui de la mort complaisamment montrée sur une scène de théâtre. En effet, Radegonde n'épargne nullement notre sensibilité: suicides et assassinats s'enchaînent. La mort sur la scène est un phénomène courant du théâtre de ce début du dix‑septième siècle. Si le seizième siècle humaniste cachait la mort en coulisse, au contraire, les tragédies du début du XVIIème siècle se plaisent à mettre sous les yeux du spectateur un "spectacle horrible"[221]. Ceux qui se sont penchés sur la littérature dramatique de cette époque ont noté la fréquence de la présence de "l'horreur visible" sur la scène[222]. "Les combats et les meurtres sur scène, les têtes coupées, les cœurs arrachés ou autres débris macabres, sans parler des suicides en série de tous les personnages à la fin des pièces sont chose courante"[223], de La Calprenède à Corneille dans Médée en passant par Benserade dans La Mort de Mithridate[224] et François du Souhait. Notre auteur n'agit donc pas autrement que ses contemporains en transformant la scène de la fin de sa tragédie en une sorte de "jardin des supplices"[225]. D'aucuns ont vu dans ces macabres spectacles une volonté des dramaturges de "secouer la sensibilité des spectateurs"[226], l'homme se donnant "volontiers le spectacle de la mort et souvent le spectacle de sa propre mort"[227]. La mort frappa et décima la France des guerres civiles, posant question à la conscience humaine, elle devait donc rester la pierre de scandale, être montrée pour ne pas tomber dans l'oubli de l'habitude, la banalité d'un fait de société.
Enfin, Radegonde s'inscrit dans la transmission littéraire d'un des thèmes de Phèdre. Si, de la fille de Minos éprise de son beau‑fils Hippolyte, Du Souhait ne conserve pas l'amour incestueux, il illustre avec force le second aspect du thème de Phèdre, celui que représente la Châtelaine de Vergy, la femme capable de calomnier et de perdre celui qu'elle aime sans parvenir à le séduire. Cet aspect du thème fut très répandu, nous l'avons vu plus haut, au Moyen Age. Du Souhait a le mérite de l'utiliser dans un grand genre, la tragédie. Comme Garnier dans Hippolyte en 1573, plus tard Jean Auvray, maître chirurgien à Rouen, dans La Marsilie en 1628 ou Guérin de La Pirrelière, angevin, dans Hippolyte en 1635[228], avaient, quant à eux, mis en scène le premier aspect du thème de Phèdre, François du Souhait porte à la scène l'autre aspect du thème ancien.
Nous ne savons pas si la tragédie de Du Souhait a été jouée et on est droit de se demander si Radegonde est une pièce jouable. A cette question j'apporterais volontiers une réponse positive. L'argument est en effet simple et linéaire, les personnages peu nombreux et typés: le vertueux, la méchante, la vierge, le justicier etc., les dialogues ne manquent pas de vigueur. Il faut toutefois noter que Du Souhait ne donne aucun conseil scénique, aucune indication ni de ton, ni de lieu. On doit, par exemple, deviner le duc Ferdinand embusqué derrière quelque draperie pour assister au dialogue amoureux entre Floran et Constance. Entrées et sorties de scène des divers personnages sont à supposer, ainsi, lorsqu'à l'acte III Ferdinand révèle à Radegonde l'amour de Floran pour Constance, la duchesse s'écrie :
Verray‑je cest ingrat qui fuyoit mon amour
Faire ici devant moy à ma niepce la cour
Je mourray briefvement de rage forcenée
Ou leur tombe sera leur premier hyménée"[229].
La logique veut que ces paroles pleines de rage soient prononcées hors de la présence du duc, indication que Du Souhait ne fournit pas.
En résumé, François Du Souhait a voulu avec sa Radegonde toucher à un grand genre. Il a utilisé un thème familier de la littérature française mais n'en a conservé que ce qui intéressait ses intentions personnelles d'écriture : faire de Radegonde un exemple‑repoussoir de la passion amoureuse et du comportement d'une grande dame. Il a délaissé l'importance logique du secret, introduisant de ce fait une faiblesse dans sa pièce car le suicide de Constance n'apparaît plus vraiment comme une nécessité absolue engendrée par la logique de l'ensemble alors que c'était le cas dans le manuscrit médiéval et dans la nouvelle de Marguerite de Navarre.
François du Souhait n'a donc manqué ni de talent ni de courage pour bâtir une intrigue de tragédie. Peut‑être la persévérance lui fit‑elle défaut, peut‑être a‑t'il manqué de courage pour remettre en cause son labeur, toujours est‑il qu'il n'a pas eu un génie dramatique suffisant pour bâtir un dénouement vraiment logique et nécessaire. Il s'est contenté d'utiliser, avec beaucoup de gaucherie, la fin du conte médiéval, sans pour autant avoir tenu compte, dans le cours même du déroulement de la pièce, du rôle dramatique tenu par le problème du secret entre Constance et Floran. Il est vrai qu'en 1599 notre auteur fait paraître beaucoup d'ouvrages de toute nature. Il ne faut donc pas trop s'étonner si la prolixité de Du Souhait à cette époque nuisait quelque peu à la qualité des œuvres produites.
Il reste que La tragédie de Radegonde me paraît constituer un important maillon dans la transmission du thème de la châtelaine de Vergy. A ce titre au moins, elle mériterait une édition critique.
Le genre de la pastorale, "genre de cour, d'écriture galante voire recherchée" est issu des "bergeries du milieu du seizième siècle et ( est ) influencé par l'Italie et l'Espagne"[230]. Du Souhait donne en 1599 une pastorale: Beauté et amour, pastorelle, dédiée à Monseigneur le Grand.
L'ouvrage se présente comme une rivalité entre la beauté et l'amour, rivalité qu'illustre l'histoire de deux couples: Flavie et Pan et les deux bergers Ilis et Lucinie. Flavie et Lucinie sontjolies, elles enflamment par leur beauté le cœur de leurs soupirants qui tentent de les conquérir en leur promettant une vie facile: Pan offre à Flavie la richesse car "le riche prend le fruict et le pauvre la peine"[231]. Ilis propose à Lucinie une vie à l'abri de tout tracas, l'idéal, à ses yeux, étant de:
"Pouvoir gouverner sa maison sagement (...)
Conduire lentement au frais de quelque ormeau
Ou du chesne feuillu son cotonné troupeau
Se pourvoir en esté de beurre et de froumage
Pour nourrir en hyver son famineux mesnage"[232].
Mais les belles résistent à ces propositions et la pastorale se termine par le triomphe de la beauté féminine qui a su toucher le coeur des hommes alors que l'amour n'a pu éclore au cœur des dames.
Dans cette pastorale, les dieux se mêlent aux hommes, les personnages dialoguent en alexandrins. Cette pièce est une sorte d'aimable tournoi dont la femme est la grande triomphatrice. On retiendra de cette petite œuvre, outre l'illustration du thème de la femme reine des cœurs, la présence d'intéressants dialogues amoureux et surtout l'utilisation du genre même de la pastorale, sorte de contrepoynt à la noire tragédie de Radegonde.
Si l'on considère que François du Souhait fait paraître la même année une pastorale, une comédie et une tragédie, on pourra conclure, d'une part, à la qualité et à la richesse de la palette d'écriture de notre auteur et, d'autre part, à son rôle actif dans l'histoire du genre dramatique en France. On pourra aussi se demander pourquoi un auteur cherche à la fois à surenchérir sur la violence de son époque en noircissant avec complaisance l'issue d'une pièce et, en même temps, à s'évader de cette violence en cultivant un genre beaucoup plus léger et futile. Ne serait‑ce pas là deux expressions différentes d'une même âme sensible aux inquiétudes de son temps et extériorisant diversement ses angoisses?
Cette partie de l'œuvre de notre auteur témoigne particulièrement bien de ses capacités littéraires et de ses succès de librairie.
La première édition de L'Iliade date de 1614. L'ouvrage est dédicacé à Louis de Guise, comte de Boulais, fils naturel de Louis de Lorraine, cardinal de Guise, au comte de Brionne[233] et (sauf en 1617) à Jean des Porcelets, évêque et comte de Toul.
J'ai relevé huit éditions de cette œuvre de traduction. Faut‑il que L'Iliade de Du Souhait ait plu pour connaître un tel succès de librairie alors que, selon toute vraisemblance, l'auteur ne jouissait plus dès 1615 d'aucun privilège social!
L'Iliade se présente sous la forme d'un gros volume de 1248 pages précédées, selon les éditions, de 12 à 16 feuillets liminaires, et suivies, dans la plupart des cas, de 30 pages de "noms et choses mémorables contenues dans le volume". L'ouvrage est composé, selon les éditions, tantôt de deux tomes, tantôt d'un seul volume.
Du Souhait prévient dans l'Avis aux lecteurs[234]: "Je ne me suis pas contenté de traduire L'Iliade, j'ay commencé par le ravissement d'Hélène comme estant le subject de la guerre de Troye" et "J'ay eu la présumption d'achever la suite de L'Iliade, non pour la vanité d'esgaler au Prince des poètes, à qui pgrsonne ne se peut comparer que luy‑mesme, mais à fin de faire voir toute l'histoire de Troye en un volume"[235]. L'ouvrage de Du Souhait comporte donc dans ses éditions les plus complètes un Avis aux lecteurs, la vie d'Homère selon Hérodote, l'histoire du ravissement d'Hélène et sujet de la guerre de Troie, le récit de l'Iliade suivi de "La suitte de l'Iliade d'Homère". On peut en outre lire à la dernière page: "...vous feray voir au rgtour des grecs leur disgrâce et la mort d'Hélène, pour conclusion entière de l'histoire de Troye"[236], preuve que l'auteur n'avait pas l'intention d'arrêter là son œuvre de traduction.
N. HEPP a fait sur cette traduction française de L'Iliade une étude exhaustive que je ne me permettrai pas de plagier[237]. Je me contenterai de noter que l'auteur lui‑même reconnaît avoir pris beaucoup de liberté avec le texte d'origine et ce, pour plusieurs raisons. La première raison invoquée par notre auteur est qu'il pense la langue française incapable de rendre les finesses de la langue grecque, "tant pour ce que les grecs ont plus d'emphase que les Français que pour avoir l'esprit aussi esloigné des merveilles que du sien, comme il y a de distance en son aage au nostre"[238]. La seconde raison avancée par Du Souhait réside dans le fait que l'auteur reconnaît avoir fait des emprunts "à l'histoire de Dictis de Crête, de Dares de Phrygie, de Guy de Coulongne, de Cothurnus et quelques autres"[239]. La troisième et principale raison de l'existence d'une grande liberté de traduction se situe dans le fait que l'auteur a tenu à mettre volontairement des apports personnels dans son Iliade. "Ce que j'ay sceu pouvoir estre agréable" a été ajouté, reconnaît‑il[240].
La liberté constatée dans la traduction par Du Souhait d'Homère est donc pleinement avouée. Le laxisme apporté à la rigueur requise par cet exercice érudit est totalement reconnu, non sans humour d'ailleurs, par l'auteur: "il faut en accuser le peu de loisir que j'ay eu de la (i.e. l'édition) revoir tant pour ce qu'on me desroba cinq livres de l'Iliade que pour ce que ma liberté a servy de bute à l'envie"[241].
L'Iliade de Du Souhait n'est donc pas le fruit du labeur rigoureux d'un érudit fidèle à ses sources, mais une traduction entreprise par un romancier, lequel amplifie l'aspect psychologique des récits, n'hésite pas à bouleverser au besoin "l'ordre du texte pour rendre plus rationnelle la succession des éléments"[242]. Tout se passe comme si traduire L'Iliade servait à Du Souhait de prétexte à écrire une sorte de roman dont le succès serait, en quelque sorte, garanti à l'avance. N. Hepp écrit: "il analyse les situations et les sentiments de manière à y couler sa propre philosophie de l'existence"[243]. Dans cette Iliade romancée, notre auteur peut défendre quelques thèmes qui lui sont chers, en particulier ses idées sur la conduite du grand, courageux, vertueux, conscient de ses devoirs, soucieux de ses responsabilités sociales et morales.
On ne saurait reprocher à Du Souhait cette manière d'envisager un travail de traduction, bien d'autres ouvrages de même nature de cette époque tombaient dans les mêmes travers. De ce début du XVIIème siècle, G. Mongrédien écrit: "les traducteurs étaient alors grandement à la mode, traductions fort infidèles d'ailleurs et qui se piquaient beaucoup moins d'être exactes que de plaire"[244]. Plaire, tel est bien le mot clé pour comprendre l'approche de l'œuvre de traduction par François du Souhait.
Reconnaissons enfin, avec N. Hepp, à François du Souhait d'avoir eu le mérite de s'être intéressé au Prince des Poètes et d'avoir ainsi contribué à répandre la connaissance indirecte d'Homère à une époque où on note un net "étiolement"[245] de sa connaissance directe.
Jean Serroy a retrouvé à la bibliothèque de l 'Arsenal une Histoire / du ravissement d'Hélène / et sujet de la guerre de Troye / Ensemble l'épistre / de Enone à Paris / I B F / (marque) / A Rouen / Par Claude le Vilain, 1615 / 260 pages[246].
Il s'agit en fait d'une contrefaçon du récit de Du Souhait paru dans son Iliade, Jean Serroy voit dans cette "Hélène ravie une seconde fois"[247] une preuve complémentaire du fait que notre auteur était lu par ses contemporains, suffisamment estimé pour être envié à cause de son succès et avoir attiré des plagiaires.
Cet ouvrage parut en 1604 avec quatre éditions différentes. Il entre dans ce qu'Henri Hauser n'hésite pas à appeler une véritable "campagne de presse"[248].
La paix de Vervins signée le 2 mai, ratifiée le 5 juin 1598, ne terminait pas vraiment la guerre entre la Maison de France et la Maison d'Autriche. Les armées espagnoles passaient par la Savoie et la Franche Comté pour venir attaquer Lyon et Paris. En 1600, Henri IV conquit la Savoie après une campagne brève et facile. Il fit alors traité avec les cantons suisses en 1602. Sans que la paix fût totale, l'accès à Lyon devenait moins aisé.
Pourtant, dans les années 1602‑1604, la guerre menace de nouveau: le baron de Biron nommé par Henri IV gouverneur de Bourgogne, duc et pair, complote contre le roi de France avec la protection du roi d'Espagne et du duc de Savoie. En même temps, la lutte contre les Espagnols se poursuit indirectement sous la forme d'un soutien apporté par la France à la Hollande et d'un trafic de marchandises hollandaises vendues par la France aux Espagnols sous de fausses étiquettes, trafic qui fut bientôt taxé d'un droit de 30% par Philippe III d'Espagne[249]. Une véritable polémique s'engagea alors: fallait‑il on non faire la guerre à l'Espagne qui appliquait de tels tarifs ?
D'abord nationale, cette querelle prit vite une "ampleur internationale, des polémistes savoyards et genevois entrent en lice", note H. Hauser[250].
La liste qui suit donnera une bonne vue d'ensemble de l'ampleur de la polémique qui occupa le monde littéraire entre 1604 et 1605.
‑ Pierre de l'Hostal ou de l'Hostau ou de l'Ostal, sieur de Roquebrune, vice‑chancelier de Navarre, donne en 1604 Le Soldat françois. Dans ce livre, l'auteur pousse vivement Henri IV à la guerre. De cet ouvrage le roi de France aurait dit: "c'est un livre qui parle bien à ma barrette"[251].
‑ Le Polemandre ou discours d'Estat de la nécessité de faire la guerre en Espagne.
‑ Le Capitaine ou Soldat françois (pacifiste)
‑ La Responce du Soldat françois au Capitaine.
- Le Pacifique ou l'Anti‑Soldat françois, dans lequel Du Souhait affiche un éloquent pacifisme.
Le débat se poursuit ensuite par L'Anti‑pseudopacifique, la Responce du Roy au Soldat françois, La Responce de maistre Guillaume au Soldat françois etc.
Ces ouvrages ont souvent été reliés ensemble, ce qui permet au lecteur de pénétrer assez aisément au cœur de la querelle et de mesurer les passions qui entrent en jeu.
L'Avis au lecteur est éloquent. Du Souhait y affirme clairement son intention. Il ne s'agit pas pour lui, d'entrer gratuitement dans une polémique animée, à la seule fin de se faire connaître ou d'y quêter une quelconque notoriété. Ce qui le fait intervenir est beaucoup plus fort: "Mon zèle et non ma vanité (...) me font agir", explique‑t'il[252]. Il veut avant tout réfuter "un arrogant qui demande la guerre" et demander instamment au roi de "continuer la tranquilité du peuple"[253].
Du Souhait écrit ce pamphlet pacifiste parce que le thème de la paix lui est personnellement cher et parce qu'il aime son pays: il se dit bon Français car c'est être mauvais patriote que d'exposer un peuple au péril "sans leur pouvoir promettre de récompense"[254]. C'est donc avec "le bien public au front", pour reprendre sa propre expression[255], qu'il se lance fougueusement dans la polémique.
On peut classer les arguments sur lesquels notre auteur fait reposer ses thèses pacifistes, selon trois rubriques principales : les arguments idéologiques, les arguments liés à la situation internationale, les arguments liés à la situation particulière de la France.
L'auteur s'appuie tout d'abord sur des arguments d'ordre idéologique. Du Souhait fait, d'une part, preuve de bon sens en affirmant que, même bien menée, une intervention armée n'est jamais gagnée d'avance: "Je crois c'est une espèce de témérité de vouloir entreprendre une chose où l'asseurance du danger est plus grande que l'espérance de l'exécution"[256]. C'est également le bon sens qui lui fait affirmer que la voie des négociations est toujours un recours possible, bien préférable aux armes dévastatrices: "le roy aura à l'amiable ce qu'il luy appartient"[257]. Du Souhait ajoute d'autre part à cela des arguments liés à la haute idée qu'il se fait du grand personnage et de son rôle. Un grand doit, comme tel, se montrer fidèle à la parole donnée: faire la guerre serait, dans ces conditions, pour Henri IV se montrer parjure aux serments de la paix de Vervins. Il se doit également d'être fidèle à un choix de conduite: le roi s'est engagé dans la voie de la pacification, changer de politique serait se montrer irrésolu, "de mesme que l'arbre trop souvent transplanté ne proffite point, le Prince qui change de résolution est mesprisé au temps principalement qu'il condamne ce qu'il avait défendu ou défend ce qu'il avait commandé"[258]. Un grand doit en outre, en toute occasion, servir d'exemple, il devra donc dans le cas présent donner l'exemple de la magnanimité et promouvoir le pacifisme. Pour avoir davantage de crédit auprès de ses sujets et mieux asseoir son autorité, le roi devra choisir la paix et résider en son palais: "comme les pères avec leurs enfants"[259] et encore: "on obéyt plus volontiers à celuy qui commande doucement qu'à celuy qui use de violence, et plus fidèlement."[260]
Du Souhait avance également des arguments liés à la situation internationale. D'autres dangers, affirme‑t'il, plus sérieux que la menace espagnole pèsent sur la France: "il faut redouter la force du grand Turc qui s'augmente par nos dissentions"[261]. En outre, il serait mal venu de la part d'un monarque chrétien de livrer bataille à un grand Etat catholique. Le "roy tres chrestien et catholique"[262] se doit d'être un pasteur pacifique pour son peuple. Du Souhait s'appuie enfin sur des arguments plus particulièrement liés à l'état de la France. La France vient de souffrir énormément des guerres qui l'ont fortement éprouvée. "Vous estiez faché", rappelle Du Souhait à Henri IV, "de voir les champs en friches, les habitants esgarez, en amas de cendres des toicts et maisons bruslées..."[263]. Le pays a donc besoin de la paix pour retrouver la prospérité: "Où trouves‑tu que les François ayment mieux semer les maux de la guerre que de moissonner les fruicts de la paix, qu'ils désirent plus tost de veoir leurs champs en friche que labourés? couverts de ronces que de verdure? voir desmollir leurs villes que de les fortifier? Bref, ouvrir leur porte à Mars et la clore à Minerve"[264]. Notre auteur insiste en outre sur la nécessité dans laquelle se trouve le pays d'avoir un héritier pour le trône de France. Le roi doit donc rester auprès de la reine et lui rendre les hommages conjugaux qui assureront au trône des descendants: "Veux‑tu séparer des bras de la Royne, celui que Dieu y vient tout heureusement arrester? renvoyer sous les enseignes de Mars celuy qui nous doit des fruicts de son amour?"[265]. Du Souhait enfin, comme pour donner un encouragement à son roi, lui montre qu'il dispose d'amis sûrs qui seront prêts à épouser la thèse non interventionniste et donc à soutenir le monarque contre d'éventuels détracteurs. Il cite: "un Nemours"[266], un "Du Mayenne"[267] et autres " bons génies"[268].
Pour toutes ces raisons, Henri IV doit, selon François du Souhait, se montrer un farouche pacifiste; la paix est, en quelque sorte, le plus beau fleuron dont pourrait se targuer le roi de France dans son œuvre de redressement du pays: "il me semble que j'entends ce Roy qui dit j'ay assez combatu, je viens secouer la poussière de Mars pour me reposer sous l'arbre heureux de la Paix"[269] ou "quelle plus heureuse digestion après l'exercice que le repos et, comme le soleil, ne travailler que pour la tranquillité du genre humain"[270].
Le récit s'achève sur un éloquent réquisitoire où, brièvement, l'auteur répond point par point aux arguments bellicistes; puis, au nom de la France, François du Souhait crie l'aspiration collective à un apaisement durable: "Tu es résolu à ceste avanture? et moy à contrepoincter tes advis et m'exposer à tous périls pour le soulagement du peuple. Est‑ce estre soldat de donner une loy à son Prince et rejetter celle qu'il donne à ses subjects? Est‑ce estre François de vouloir troubler le repos de la France et r'allumer les feux, renouveller les assassins et bref, désirer la mort des François?"[271].
Dans le refus de la guerre contre la catholique Espagne et dans le souci dont fait preuve Du Souhait de ne pas dégarnir la Flandre et l'Est on peut déceler ‑comme Jean Serroy l'a fait[272]‑ l'influence des intérêts de la catholique Maison de Lorraine.
Mais l'éloquence qu'atteint Du Souhait dans certaines pages du Pacifique témoigne de la sincérité de sa démarche. Il nous apparaît comme un pacifiste convaincu, proche des préoccupations de ses contemporains, las des troubles. Il met toute la fougue dont sa plume est capable au service de la défense de la paix. Même si le choix de la cause a peut‑être été dicté par les intérêts des gens au service desquels sa charge l'a placé, il la défend avec une passion qui prouve sa sincérité et son courage ...cela même qui lui vaudra des ennuis sérieux quelques années plus tard et mettra une fin imprévue à ses ambitions littéraires.
Après la parution du Pacifique, les injures plurent sur Du Souhait. L'avocat Pelée[273] le traita de: "charongne pourrie, meschant vipère, hongre d'esprit, chastré d'entendement, estropié de conscience" en 1606. Quant à Pierre de l'Estoile, il ne ménagea guère plus notre auteur en qualifiant l'œuvre de "discours fort peu souhaittable de tous les gens d'honneur (...) gaussé et mal tissu (...) qui sent de loin son âme cautérisée Hespagnol[274]. Reste à savoir si Henri IV fut réceptif aux propos de Du Souhait. On se bornera à constater que le souverain préféra momentanément un accord à la guerre, qu'il se fit donc "pacifique" sans qu'on puisse pour autant affirmer que François du Souhait soit directement responsable de cette attitude.
D'autres libelles ont été écrits par Du Souhait aux environs de 1614. On en connaît l'existence par le compte rendu du procès qui fut fait à notre auteur et à son éditeur en juillet 1614. Ce procès lui valut une condamnation au bannissement du Royaume de France. Malheureusement, les Archives Nationales où sont consignées les traces de ce procès[275], n'ont pas conservé les pamphlets séditieux incriminés.
Ecrivain étroitement dépendant d'un pouvoir qu'il sert et qui le fait vivre, François du Souhait n'a pourtant pas hésité à se lancer dans des polémiques épineuses dès lors qu'une idée qui lui tient à cœur était en jeu.
Le pacifisme dont il fait preuve sert peut‑être les intérêts des Lorrains mais on pourra le considérer également ‑et surtout‑ comme une tendance profonde de sa personnalité.
Même si ses idées ne sont pas celles du pouvoir, il les poursuit au risque de se perdre. Pourra-t'on, de ce fait, l'accuser désormais de servilité à l'égard des gens qu'il flatte dans ses œuvres de circonstance? Le courage de François du Souhait, fidèle à ses idées dans ses engagements pamphlétaires, rend sa personnalité, par ailleurs si mal connue, attachante.
Grouper les œuvres morales et les œuvres dévotes de Du Souhait semble s'imposer, morale et piété religieuse ayant (heureusement) entre elles maintes corrélations. Cependant, l'œuvre pieuse de notre auteur est moindre au regard des traités moraux qu'il a écrits; moindre quantitativement d'une part, qualitativement d'autre part: Le vray Prince ou Le parfaict Gentilhomme font partie intégrante d'un véritable bouquet de traités de civilité qui fleurissent abondamment dans les trente premières années du dix septième siècle et se répandent avec bonheur parmi la noblesse désireuse de trouver une conduite pour plaire dans une société qui s'éveille à la politesse mondaine.
La vérité de l'Eglise paraît en 1609. L'ouvrage est dédié à Louis de Lorraine, archevêque de Reims. Le ton y est résolument pieux, les références à la Bible, Ancien et Nouveau Testament, fourmillent (ne citons que le récit du sacrifice d'Abraham[276] ou l'analyse des douze "conseils de l'Evangile"[277]). Du Souhait semble se complaire à citer des passages bibliques, il n'hésite même pas à utiliser la langue latine ("tu es Petrus et super hanc petram aedificabo ecclesiam meam"[278]).
A cette culture de la plus pure orthodoxie religieuse, François du Souhait mêle des réminiscences païennes comme le prouve cette phrase[279]: "je vous ay renié tant de fois, aussi ne meritè‑je point vostre grace, si mes larmes n'obtiennent la rémission de mes fautes. Le fleuve de Thessalie fait redevenir blanches les brebis noires. Ainsi les larmes de pénitence blanchissent l'âme noircie par le péché."
Cet ouvrage est une longue exhortation de la part de notre auteur à suivre les chemins de la vertu. Il propose comme guides les commandements divins, vraies lumières pour conduire les actions humaines: "il faut que nous ayons ces trois vertus en main, la foy, l'espérance et la charité", écrit‑il[280].
Le Paradis des Solitaires fait suite à La vérité de l'Eglise en ce qu'il lui est relié et que sa pagination, après deux feuillets de dédicace, suit celle qui était adoptée pour La vérité.... Au verso du feuillet 100 commence Le mespris des vanitez, composition non précédée d'une nouvelle dédicace, sorte de seconde partie du Paradis des Solitaires.
Le Paradis des Solitaires proprement dit met à l'honneur la solitude consacrée des religieux.
Le mespris des vanitez fait l'éloge du mépris du monde, lequel peut commencer par le mépris à l'égard des femmes dont il est préférable de se méfier. Je citerai pour exemple ce passage où Du Souhait tente de démontrer que courtiser une femme entraîne à de folles dépenses. Ces propos ‑on s'en rendra aisément compte‑ ne manquent pas de piquant. Il faut aux femmes , affirme l'auteur, "des robes et des cotes de soye, des enseignes de pierreries, des chaisnes, des perles, des carquans, des bracelets, des pendans d'oreilles, des diamans, des miroirs esmaillés et d'autres nippes de la propreté du siècle. Après, les suivantes demandent l'escharpe, les boutons pour une robe, la coiffe doublée de velours ou de taffetas selon la saison, les rubans pour ornement de teste, des fraises, des rabats, des dentelles, des gans, des manchons, des mouchoirs de point coupé pour couvrir leur gorge, la piece d'estamine pour faire une robe, et bref moissonnent en sorte chez vous qu'un autre n'y trouve que glaner"[281]. De ces pièges il convient de se tenir à distance car on finit par se faire moquer de soi "aussi vous fait‑on payer le logis et tenir le mulet à la porte"[282].
En conclusion, l'auteur affirme qu'il vaut mieux s'attacher à Dieu "tousjours égal, tousjours beau, sans alternatives"[283] que s'arrêter aux beautés humaines car "tout cela retournera en poudre comme de poudre il prit son origine"[284] En définitive "ceux qui abandonnent le monde pour suivre Dieu ont la vie éternelle"[285].
La première édition connue de cet ouvrage date de 1599. Elle est dédicacée à "Charles Emanuel, duc de Savoye"[286]. Du Souhait la signe de son nom. Il y prie le prince de Savoie ‑lequel, affirme‑t‑il, lui aurait servi de modèle pour rédiger cet ouvrage ‑ d'accepter ce livre qu'un "Français"[287], qui a eu "l'intelligence"[288] de sa renommée, lui dédie.
Le texte de l'ouvrage est précédé de diverses pièces émanant de contemporains de notre auteur, pièces qui le félicitent pour son Vray Prince. Il s'agit d'un sonnet[289] de Pierre de Deimier, d'un autre sonnet de Philibert Plassard et enfin d'un sonnet de Jacques Corbin, particulièrement élogieux pour Du Souhait, comme en témoigne ce quatrain :
"Tes faicts sont le vray Prince, et ton livre l'image
Tes valeurs ses valeurs, tes discours ses discours
Ta vertu sa vertu, ton sçavoir son recours
Tes honneurs son honneur, ton parler son langage".[290]
Le duc de Savoie dont il s'agit n'est pas Charles Emmanuel premier[291], dit le grand, mais son père: Emmanuel Philibert, duc de Savoie dit "tête de fer"[292], ainsi que le confirme cet extrait du Vray Prince: "Ce grand et magnanime Duc de Savoy, mary de Marguerite de Valois, fut tant libéral durant la guerre qu'il eut contre les nostres, qu'il treuvait parmy eux plus d'amis que d'ennemis"[293]. Emmanuel Philibert est né à Chambéry en 1528 et mort à Turin en 1580. Attaché à Charles Quint, il fut en 1557 vainqueur sur les Français à la bataille de Saint Quentin. Après la paix de Cateau‑Cambrésis, il épousa Marguerite de Valois, fille de François 1er[294]. "Cette princesse cultiva les lettres à l'exemple de son père et de sa tante"[295], elle fit de Turin l'université la plus florissante de l'Italie et laissa à sa mort en 1574 le souvenir d'une princesse charitable et cultivée.
En 1601, Le vray Prince reparaît à Paris sous le titre: Le vray Prince / avec son parfaict aage et son heureuse fin /. Ce nouveau titre masque en fait une réédition de deux oeuvres qu'il juxtapose en son sein: Le vray Prince et Le parfaict aage (qui sera analysé ci après). La pagination du Vray Prince va du feuillet un au feuillet 42, Le parfaict aage suit avec une nouvelle pagination, identique à celle du Parfaict aage de 1599. Il ne s'agit donc ni d'un nouvel ouvrage, ni même d'une édition corrigée de celui de 1599, mais d'une simple reprise des deux ouvrages de 1599. Cependant, si les textes des oeuvres sont identiques, les dédicataires d'une part, les feuillets liminaires d'autre part, changent notablement. L'ouvrage de 1601 est dédié cette fois au prince Auguste, duc de Lunebourg. Le nom de Du Souhait n'apparaît plus. Les divers sonnets de l'édition de 1599 sont remplacés par une nouvelle préface dédiée au duc de Lunebourg et signée du nom d'A. D. Maucouvent. "Voicy le vray Prince qui vient de France pour se loger chez vous" écrit l'auteur[296], lequel se désigne par cette expression: "un petit françois (serviteur du plus grand roy du monde) <qui> a cogneu la grandeur de vostre gloire", désireux d'être considéré comme le "bien humble et affectionné serviteur" du prince allemand, "après Dieu et mon Roy"[297].
Qui est A. D. de Maucouvent? Cioranescu signale[298] un Antoine de Maucouvent, auteur en 1602 du Sommaire véritable des questions proposées en la conférence advenue dudit Dr Cayer à l'écrit plein de calomnie que le dit prétendu ministre dit DU MOULIN a fait publier[299]. En 1607 il écrit Les Pseaumes de la méditation, contemplation, confession et pénitence de David, mis en vers héroÆques fidèlement, selon la version de Saint Jérome et celle du feu archevesque de Sens, par A. de M. Bourguignon[300]. Cioranescu signale enfin l'existence d'un Discours sur le sujet proposé en la rencontre du R.P. Gontier et du sieur du Moulin en 1609[301]. Hélas, aucune indication bibliographique précise ne permet de localiser ces ouvrages que, de ce fait, je n'ai pu consulter. A. D. de Maucouvent n'a d'autre part laissé aucune trace dans les ouvrages biographiques traditionnels, ni dans les armoriaux, ni dans les études biographiques portant sur l'étude de la noblesse en Bourgogne.
Il aurait été intéressant de consulter ces ouvrages afin de découvrir la nature des rapports qui peuvent exister entre ce personnage et notre gentilhomme champenois. S'agit‑il du même homme? L'ouvrage de 1601 est‑il un faux? Du Souhait aurait‑il utilisé un nom d'emprunt pour s'attirer les faveurs d'un prince allemand sans risquer de mécontenter la catholique Maison de Lorraine? Aucun élément ne me permet de répondre à ces questions. Le nouveau destinataire de l'ouvrage, le duc de Lunebourg, est un prince dont le profil ne manque pas d'intérêt. Son rayonnement fut grand à son époque. "Monarque éclairé" avant la lettre, il naquit le 10 avril 1579 et n'hérita du duché de Brunswick et de celui de Wolfenbüttel qu'en 1635, lorsque son frère aîné Julius Ernst renonça en sa faveur à l'héritage du duc Frédéric Ulrich. "Ce fut un prince des plus savants et des plus sages de l'Europe", écrit Louis Moreri[302]. Il fit ses études à Rostock puis à Tubingen, voyagea à travers l'Italie et la Sicile, la France et l'Angleterre. Il consacra les trente années qui précédèrent sa prise de pouvoir à l'étude des sciences et à une large correspondance scientifique et politique qui existe toujours dans plus de 30 volumes folios, et aux voyages plus ou moins lointains qu'il commentait soigneusement lui‑même dans un journal, encore aujourd'hui conservé à la bibliothèque de Wolfenbütttel. Il rédigea les règles d'un jeu d'échecs qui fit autorité et fut traduit en italien et en français. A la tête de sa principauté, il considérait son rôle avec le plus grand sérieux, rappelant la devise qu'il avait prononcée à Rostock dans sa jeunesse: "un bon prince se distingue peu ou pas du tout d'un bon père de famille" ("ein guter Fürst sei wenig oder gar nicht von einem guten hausvater unterschieden"). Il s'occupa de la réorganisation de l'administration, des écoles, de l'église, de la justice dans sa principauté tout en poursuivant ses travaux scientifiques et tout en écrivant: ainsi fit‑il publier en 1640 une Histoire du Seigneur Jésus. Il correspondait avec les plus grands savants et les hommes d'état de son époque, "gouverner et étudier allaient de pair pour ce prince actif et infatigable"[303]. Toute sa vie, il constitua une bibliothèque qui comptait à sa mort 180 000 ouvrages et des manuscrits précieux. Il en fit lui‑même le catalogue en quatre volumes de plus de mille pages chacun.
Ce personnage ne pouvait que fasciner François du Souhait, très attaché à propager l'image du grand personnage modèle de culture et de vertu pour son peuple. Le prince Auguste de Lunebourg pouvait de fait représenter à ses yeux "le vrai prince" ou le "parfait gentilhomme" cher à son cœur.
Quant à savoir si Du Souhait a effectivement rencontré le prince allemand, rien ne permet ni de l'affirmer ni de l'infirmer. Il existait en effet des liens épistolaires entre le prince de Lunebourg et les cours d'Europe. D'autre part, quoique ce prince ce prince fût protestant, il existait des liens entre sa maison et la Lorraine de Du Souhait. La propre sœur du duc Charles III, Dorothée (morte en 1587), avait épousé le jeune duc de Gottingen, prince de la branche de Brunswick. Enfin, on sait que le prince Auguste était un lettré et qu'il possédait dans sa bibliothèque personnelle des ouvrages de littérature française, dont l'Astrée[304]. La bibliothèque de Wolfenbüttel n'est pas en mesure d'indiquer à quelle date précise les ouvrages de Du Souhait qu'elle possède et qui viennent du fonds de la bibliothèque du duc, ont été acquis par le duc.
Il n'est, par conséquent, pas interdit d'imaginer que Du Souhait ait connu le prince de Lunebourg. Notre auteur affirme d'ailleurs: "je sçay assez bien la quarte d'Allemaigne pour ne m'y tromper"[305]. Séduit par ce monarque qui correspondait à l'image idéale qu'il se faisait du métier de prince, il a peut‑être pris le nom de Maucouvent pour gagner la confiance du prince allemand en ménageant la Maison de Lorraine?
Le vray Prince se présente comme un ouvrage pédagogique destiné à l'éducation d'un prince. L'auteur y prodigue maints conseils destinés à faire comprendre au noble la grandeur de sa tâche. Il exprime ses conseils à l'aide de toutes sortes d'anecdotes et d'images, sortes de paraboles propres à rendre son propos plus clair et plus facilement intelligible. Il utilise de nombreuses images tirées du monde animal, comparant par exemple le courage du tigre, de l'ours de l'aspic ou du sanglier à celui dont doit faire preuve le vrai prince. Ailleurs, il fait appel à des anecdotes tirées de l'histoire contemporaine ou de l'histoire ancienne; ainsi lit‑on au recto du feuillet 29: "Marc Antoine retournant de Perse, estant luy et tous les siens pressez de la soif, et luy estant offert à boire, voyant que ce peu d'eau ne pouvait servir à tous, l'espancha à terre, disant qu'il ne devoit seul estre à son aise quand tous les siens seraient à malaise". Ailleurs encore, il n'hésitera pas à adapter librement un passage de la Bible qui lui semble judicieux pour illustrer ses dires; on peut lire ainsi l'histoire, revue par Du Souhait, du jugement de Salomon[306]. "Salomon oyant les enfants d'un de ses vassaux plaider l'hoirie de leur père, la promettant à celuy qui, meilleur archer, le fraperait plus près du coeur, l'adjuge au cadet qui aimait mieux le perdre pour ne faire ce tort au corps de son père, que le posséder en offençant son obéïssance et son respect et pour s'estre monstré héritier de son amour, il fut héritier de son bien."
Pour Du Souhait, le vrai prince doit respecter Dieu, se montrer pieux, pratiquer les vertus chrétiennes de tolérance, de pardon des offenses, faire régner la justice, défendre la paix, cultiver les lettres qui "luy serviront de phare et seront l'enseigne où il rappellera la pluspart de ses désirs"[307]. On trouvera un résumé des principales qualités que, selon Du Souhait, doit posséder un vrai prince dans ces quelques lignes: "Il aura donc la colère pour la défence de la justice. La révérence de la religion pour rendre les subjects religieux. Il sera dévot pour l'exercer à sa patrie, à ses parents et à ses frères. La valeur luy servira de phare, pour le conduire à la perfection. Il se cognoistra pour cognoistre sa grandeur, et pour ne mescongnoistre son pouvoir. Il sera imbu des lettres puis que les premières impressions nous laissent tousjours quelque chose de reste. La justice luy doit estre et mère et nourrice: mère pour en retenir l'essence, et nourrice, pour en gouster le laict. Pour la libéralité elle doit estre Capitaine de ses gardes, et pour le défendre du blasme d'ingratitude et pour l'advertir de son honnesté. La clémence doit suivre le régiment de ses vertus à fin qu'elle pardonne aux vaincus et que jointe à la valeur elle abbate les audatieux pour le rendre aussi doux au pardon que rude au combat."[308]
Cet ouvrage paraît en 1599, dédié à monsieur d'Urfé "escuyer et chambellan ordinaire de S.A., colonel général de sa cavalerie et infanterie françoise et capitaine de cent chevaux légers de ses ordonnances". Sans doute s'agit‑il d'Anne d'Urfé qui avait épousé en 1575 Diane de Chateau Morand (celle‑la même que devait épouser en 1600 Honoré d'Urfé, après qu'Anne d'Urfé eût obtenu l'annulation de son mariage et fût rentré dans les ordres). La préface que Du Souhait dédicace à monsieur d'Urfé laisse penser que les deux hommes se connaissaient: "voila pourquoy, m'ayant de tant honoré que d'avoir daigné priser quelque chose du mien, je vous offre ceste Vraye noblesse, comme à un vrayement Noble"[309].
Parmi les pièces liminaires, on trouve, en outre, des stances destinées à "Madame, madame de Chasteau Morant[310]" et deux poèmes, l'un de Jacques Corbin, l'autre d'un certain Perussault, qui sont des hommages rendus par ces auteurs à Du Souhait pour sa Vraye noblesse.
Le texte de la Vraye noblesse est le même que celui du Parfaict gentilhomme dont on trouvera l'analyse plus avant dans cette thèse[311].
Le parfaict aage et heureuse fin de l'homme est dédié à "très vertueuse damoiselle, madamoiselle Clapisson", parce que, explique Du Souhait, notre auteur s'était promis d'honorer le père de la jeune femme, monsieur d'Ulin, "les choses promises se doivent maintenir et ce que l'on ne peut satisfaire au père on le doit aux enfants"[312].
Cet ouvrage est un recueil de préceptes sages, d'une haute tenue morale. Celui qui veut suivre ces conseils doit se fixer une règle de vie faite "d'acier, elle doit plutost rompre que plier"[313]. L'homme sage sait que la vie vient de Dieu et que l'homme n'en est que le dépositaire: "nous tenons la vie à ferme"[314] et il s'essaie à apprivoiser la mort pour ne pas être surpris par elle: "ceux qui ne se proposent point de mourir, la mort leur est indigestive, mais ceux qui l'attendent comme courageux de pied ferme, ils n'y trouvent point de poison"[315]. L'influence de la sagesse antique, celle de Montaigne est évidente, mais Du Souhait est aussi un homme religieux et il reprend abondamment l'Ecriture pour étayer ses dires. Il plagie quasiment la Parole sainte pour conseiller la pratique de la charité: "Si nous souffrons avec luy, nous serons en la gloire avec luy. Croyons en luy, nous aurons la vie éternelle. Tout ce que nous voulons que Dieu nous fasse, faisons le aux hommes et ce que nous souhaittons d'eux‑mesmes, permettons qu'ils le trouvent en nous"[316].
Le parfaict aage se termine sur six strophes signées par Du Souhait: "Tombeau de monsieur d'Ulin".
Cet ouvrage est repris (sans les pièces liminaires ni le "tombeau" final) dans le volume paru en 1601 sous le titre Le vray Prince avec son parfaict aage et son heureuse fin dont il constitue la deuxième partie. On le retrouve avec un autre titre dans le volume coté D 17725 de la Bibliothèque Nationale, Du Souhait le nomme alors : Le glorieux contentement des ames.
L'ouvrage qui paraît à Paris en 1600 est en fait une reprise de La Vraye noblesse. Sans doute notre gentilhomme champenois décide‑t'il de changer son titre pour flatter la susceptibilité du nouveau grand personnage à qui il destine son ouvrage: le "très illustre et valeureux seigneur Messire Anthoine de Brichanteau". La lettre qui sert de dédicace, et qui était en 1599 prévue pour monsieur d'Urfé, s'adresse maintenant au seigneur de Beauvais Nangy, et les quelques pièces spécifiquement destinées à monsieur d'Urfé et à son entourage (les stances à madame de Chateau Morand par exemple) ainsi que les sonnets de Corbin et de Perussault disparaissent. Mais les variantes s'arrêtent là, les textes des deux ouvrages sont identiques.
L'ouvrage compte 70 feuillets et décrit l'idéal du gentilhomme parfait alliant, pour atteindre ce but, la pratique des lettres à celle des arts martiaux. Il se distingue par là‑même du roturier et en tire gloire: "je fais sortir ceste noblesse des lettres comme ne pouvant succer autre mammelle. Si vous la prenez simplement par les armes, vous serez simplement nobles, si vous la cherchez à la richesse, vous chercherez des trésors et non pas une noblesse"[317]. Cet idéal[318] nécessite une formation du corps et de l'esprit , le sens du discernement, le goût de la modestie et du service d'autrui, la pratique assidue des vertus chrétiennes. Pour convaincre les gentilshommes, plus naturellement enclins à cultiver l'art des coups d'épée que l'art des traits de plumes et des lettres, Du Souhait se range derrière des exemples célèbres de diverses origines, de Cicéron à Charles IX, en passant par Charles Emmanuel, les "messieurs d'Urfé" ou même César: "si ce sont ses soldats qui ayent vaincu, ce fut sa cervelle qui leur (aux soldats de César) apprit à vaincre et non pas son espée"[319]. Comme dans Le vray Prince, l'auteur multiplie les anecdotes historiques ou les images bibliques pour mieux illustrer son propos, ainsi parle‑t'il de Samson en ces termes: "qu'est‑ce de Samson qui oubliant sa force se laisse charmer aux appas d'une femme qui le conduit à sa perdition? Rien autre que celuy qui mescognoissant l'auctorité des lettres se laisse vaincre par les alléchemens de l'ignorance qui l'esloigne à la fin de la force de la vraye Noblesse"[320]. Pour mieux convaincre les grands, Du Souhait flatte leur orgueil, il tente de leur démontrer qu'à vouloir sortir de l'ignorance ils gagneront en douceur le respect incontesté de leurs subordonnés. Comme dans Le vray Prince, les grands doivent être pour les autres hommes des exemples, à commencer par le roi, premier grand du royaume. Du Souhait semble avoir parfaitement conscience qu'il existe bien souvent un fossé entre son parfait gentilhomme et ses contemporains de la haute société, pourtant il n'hésite pas à leur faire confiance: rien n'est jamais joué, il est toujours temps de se reprendre, "ceux qui laschent la bride à un cheval luy peuvent aussi retirer. Nos appétits qui nous ont donné ceste franchise nous pourront donner la contrainte, et ce qui nous a osté des lettres nous pourra rendre aux lettres mesmes"[321].
Dans les dernières pages, l'auteur trouve un véritable souffle oratoire, tant il se veut convaincant. Il se propose de s'amender le premier, et cherche à prouver aux grands qu'au terme des efforts qu'il les incite à pratiquer, ils deviendront dignes de leur titre de noblesse: "rendons‑nous dignes d'avoir la prééminence ès lieux privez et de conseils"[322].
En conclusion, pour Du Souhait, "les lettres sont les nourrices de la vertu, succons le mesme laict, afin de luy estre frères et d'essence et de nourriture (...) afin de nous rendre par les lettres vertueux, et par telle vertu vrayement grands"[323].
On ne peut s'empécher de trouver dans cet ouvrage de morale des accents de sincérité, de conviction dont la rage de convaincre témoigne. François du Souhait considère le grand personnage avec optimisme, il le voit comme le parangon de toutes les vertus et de tous les dons. "Gentilhomme champenois", lui‑même ne se sentait pas déchoir d'épouser la cause des lettres. Il y a dans cet ouvrage, à n'en pas douter, des influences livresques et une large part due à la mode littéraire et sociale du temps, mais l'enthousiasme que met l'auteur dans son expression ne manque pas d'un certain souffle: celui de la conviction intime.
Cet assez long ouvrage de 148 pages est dédié, pour l'édition parisienne, à la comtesse de Torigny et de Mortemart, Louyses de Maure, pour l'édition lyonnaise à mademoiselle de Clapisson; l'une est désignée "puissante et chaste"[324], l'autre "très vertueuse et chaste"[325]. Ces qualificatifs donnent le ton de ces portraits: François du Souhait loue les dames qui allient à ses yeux beauté et chasteté et fustige celles dont la vertu n'est pas irréprochable.
J'ai dénombré soixante‑huit portraits dans l'édition parisienne. Certains peignent des dames connues de la haute société de l'époque ‑quelques‑unes d'entre elles ont été évoquées dans l'introduction de cette thèse‑ d'autres brossent des "portraits inconnus".
La qualité féminine la plus vantée est la vertu, sorte de pudeur et de retenue dans les sentiments. Chez la jeune fille elle se manifeste par la chasteté, chez la veuve par la fidélité au mari défunt. Deux exemples me paraissent probants: "je croy de madame de la Ferté <qu'elle> veut imiter Pénélope, qu'elle a tant juré d'amitié à feu son mary qu'elle en veut honorer les cendres"[326] et "vous n'ignorez pas les pertes de madame de Nemours, nous ne pouvez aussi ignorer sa constance qui, comme un flambeau l'a esclairé aux tenebres de ses afflictions et sa chasteté <est> le médiateur de sa patience"[327]. Cette retenue se remarque tant dans la tenue que dans la manière de s'exprimer ou dans la recherche vestimentaire de la jeune femme. Il en va ainsi de la reine Blanche: "son maintien humblement altier, et sa majesté impérieusement humble, ses cheveux ne sont pas crespez que des mains de la nature et son visage n'a d'autre fard que sa beauté. Sa coiffure et sa vie sont formulaires de religieuse"[328].
Rédigés en prose, les portraits s'achèvent le plus souvent sur une courte poésie, simple quatrain la plupart du temps, comme le prouve celui‑ci qui termine le portrait de madame de Montpensier[329] :
"Vertu fut ma nourrice
Beauté fut mon berceau
J'eu l'honneur pour complice
Dès mon aage nouveau."
On peut voir dans cet ouvrage une tentative de François du Souhait pour mettre par écrit un jeu de société bien connu où les langues sont parfois fort aiguisées pour peindre qualités et défauts de celui dont il est fait le portrait. Dans plusieurs de ses pièces notre auteur doit d'ailleurs prendre la défense de dames que les mauvaises langues accablent: "nostre France ressemble un théâtre de jeux publiques où chacun à l'envy détracte de son prochain et semble qu'il y ait un prix pour le plus médisant"[330].
Les pourtraits des chastes dames, tout comme Le vray prince, La Vraye noblesse, le parfaict gentilhomme, sont nés de l'observation par notre auteur de la haute société. Ils offrent la peinture des partenaires féminines dont rêve Du Souhait pour ses parfaits gentilshommes.
L'Académie des vertueux paraît en 1600 à Paris, l'ouvrage est dédié à monsieur Philippes Desportes, abbé de Tiron. L'Académie des vertueux est en fait la même oeuvre que l'ensemble des deux recueils parus à Lyon la même année sous les titres respectifs de: Le bonheur des sages et Le malheur des curieux. C'est une sorte de récit à deux volets que fait un précepteur au fils d'un grand prince de la Maison d'Autriche que l'on souhaite voir devenir "aussitost vertueux que savant"[331].
La première partie est un récit exemplaire, il s'agit du contenu du Bonheur des sages, la seconde partie consigne un récit à ne pas imiter: c'est Le malheur des curieux, lequel s'ouvre sur ces lignes: "en voicy une autre <histoire> qui vous fera cognoistre la beauté de la vertu par la laideur du vice"[332].
Ces deux histoires sont le plus souvent narrées en prose. leur originalité réside dans le triple point de vue du récit: la narration elle‑même, les assertions directes de Du Souhait jugeant ses personnages et leurs actions, les récits dans le récit principal, sortes de brèves historiettes illustrant les idées défendues par les protagonistes du récit principal.
L'action du Bonheur des sages se situe dans un premier temps en Allemagne: sur les conseils de son père, un jeune prince va à l'Université de Mayence y étudier les lettres et ce, en les savourant à la manière rabelaisienne, afin de n'en pas "faire comme d'une médecine, les avaler sans en sçavoir le goust"[333]. Dans le cursus de formation suivi par le jeune prince, on retrouve bien des idées soutenues par l'auteur du Parfaict gentilhomme, ainsi l'éloquence, "nécessaire aux rois mesmes" sera étudiée par celui qui doit "estre un jour un des piliers de l'empire"[334].
En compagnie de six autres fils de grandes familles, le jeune homme commence sa formation intellectuelle, morale et humaine. Tous les sept décident de rejoindre Paris sans escorte ni lettres de recommandations car ils veulent être des étudiants comme les autres et ne devoir leurs succès qu'à leur mérite personnel. Formés chez les Jésuites de Paris, ils fréquentent ensuite la cour et le monde. A l'heure des tentations ‑comme celle de l'initiation à la magie‑ ils sauront résister et tous feront carrière dans la société. Le baron de Vienne épouse une jeune fille sage et devient "roi des Russiens", le marquis d'Ousbec devient "roy des Arméniens", le duc de Galatie entre dans les ordres, obtient l'archevêché de Vienne mais donne tous ses biens aux pauvres, le vicomte d'Hasbourg devient "connétable de l'Empereur", le comte de Hectemberg, "maistre du camp des Allemans", le vicomte d'Harocourt, "gouverneur des Allemans". Chacun dans son état mène une vie exemplaire dont François du Souhait tire la morale suivante, très "évangélique": "ils avoyent esté studieux de la vertu, ils en ont tous une condigne récompense. Pour moy j'estime que les sages vierges, qui pour avoir mis de l'huille à leur lampe furent bien heureuses, que ce sont parabolles qui nous asseurent que ceux qui presvoyent sagement, au commencement de leur aage, le déclin de leur vie, sont esclairez d'une éternelle félicité (...). Seigneur qui avez souciz de ceux qui vous supplient et qui donnez à ceux qui vous demandent (...) esclairez nostre essence de la lumière de la foy pour estre esclairé en la vie éternelle"[335].
Dans ce récit romancé au style extrêmement varié (dialogues, récits, poésies[336]), on trouve, mis en pratique, bien des conseils prodigués par notre auteur dans ses ouvrages de morale. Sont mis à l'honneur la conduite vertueuse, le mérite personnel, le culte de la qualité pour tous les gens de noble naissance qui se doivent d'être dignes du rang qu'ils occupent dans la société. On ne peut s'empêcher de remarquer certains parallélismes entre les vies des gentilshommes du Bonheur des sages, et la vie de ceux que Du Souhait admire et à qui il aime rendre hommage en leur dédicaçant des ouvrages, comme le prince Auguste de Lunebourg.
Dans Le malheur des curieux, François du Souhait peint les ravages de ce qui est à ses yeux l'un des pires défauts des hommes: la curiosité. Pire qu'un travers, il s'agit d'un véritable vice pour notre auteur qui l'oppose à la véritable étude. Alors que l'une s'intéresse à tout sans se concentrer sur rien, et n'apporte en fin de compte aucun acquis personnel ("elle nous faict muguetter les sciences pour nous oster la science"[337]), l'autre, au contraire, enrichit l'individu.
L'histoire principale est celle du comte d'Aite, homme déjà instruit qui se laisse pourtant tenter pas le seëor Aria. Celui‑ci l'initie à la pratique de la magie pour lui permettre d'obtenir la connaissance, sans devoir se plier aux efforts de l'étude. Le comte d'Aite choisit la damnation, pactise avec le diable et obtient, en échange de son âme, le don de rajeunir et celui de bâtir par magie des édifices, au gré de sa fantaisie. Devenu compagnon du roi d'Espagne, il accompagne celui‑ci à la chasse et, pour leur bien‑être, "construit" divers châteaux. Devinant dans cette extrême facilité l'empreinte de la sorcellerie, le roi tance son compagnon qui se contente de feindre le repentir. Le comte d'Aite joue alors de son second pouvoir: il prie son maître d'hôtel de le tuer, d'une mort horrible d'ailleurs: "couppez moi la gorge dans un grand vase à fin de ne perdre le sang, et hachez mon corps et mes oz et les enfermez dans une bouteille de verre que vous treuverez à mon cabinet puis vous l'enfermerez trois ou quatre pieds dans un fumier comme au ventre d'une seconde mère et neuf mois après vous m'y trouverez en âge de petit enfant"[338]. Ainsi est fait, mais cinq mois après ces événements, le roi mande le comte; le maître d'hôtel avoue alors son acte. On s'empresse de déterrer la bouteille diabolique où l'on trouve: "une effigie de forme humaine de la grandeur d'un pied"[339]. Ce fœtus du Malin est brûlé, le maître d'hôtel subit le supplice de la roue, il meurt d'une fin édifiante en condamnant publiquement la curiosité, en recommandant aux serviteurs de ne pas outrepasser les lois de Dieu pour obéir aux maîtres, en se repentant devant tous et en suppliant Dieu de lui pardonner son erreur.
C'est bien évidemment au docteur Faust que l'on songe en lisant Le malheur des curieux de Du Souhait. Il est donc nécessaire de tenter une rapide mise au point de la diffusion du thème de Faust au moment où Du Souhait compose son ouvrage.
Le personnage du docteur Faust a, comme on le sait, existé en Allemagne au début du seizième siècle[340]. Il serait mort aux environs de 1540 et aurait, le 15 aout 1536, donné une consultation sur l'issue de la guerre entre Charles Quint et François 1er. "On pouvait parler de prophétie, d'un art magique qui lui permettait de donner des indications précieuses à un souverain", écrit Ch. Dédeyan[341]. Aux récits tirés de la vie réelle de Faust, s'ajoutèrent bientôt de nombreuses légendes. On suppose qu'un premier récit latin fut établi dès 1575, et qu'une chronique manuscrite circulait dès 1580. En 1587 à Francfort parut le Volksbuch qui connut une "fortune extraordinaire"[342] puisqu'il fut réédité dès la même année, traduit en bas allemand dès 1588, puis en anglais entre 1590 et 1592, en français en 1598 par Pierre Victor Palma Cajet[343]. Cette traduction connaîtra quatorze éditions en 84 ans, elle permit à la légende de Faust d'être connue en Italie et en Allemagne. Une sorte de suite à cet ouvrage parut en 1593, en l’occurrence: "La vie de Christophe Wagner", deux fois rééditée en 1594 puis en 1596. Ch Wagner, domestique de Faust et son héritier, devait ensevelir le cadavre de son maître et relater les faits principaux de son existence. En Angleterre, l'histoire de Faust avait suscité deux œuvres: une Ballade de la vie et de la mort du docteur Faust, le grand magicien, et aux environs de 1590 une traduction de L'histoire de la vie condamnable et de la mort méritée du docteur John Faust. En 1589 Marlowe donne avec succès La tragique histoire du docteur Faustus[344].
Les dates sont, on le voit, particulièrement intéressantes: deux ans seulement séparent la traduction française du Volksbuch de la parution du Malheur des curieux. De ce fait, on peut dire que Du Souhait se montre à l'écoute des goûts de ses contemporains: d'un thème qui vient à la mode dans les cercles lettrés, d'une rencontre (pourquoi pas?) avec le traducteur du Volksbuch, naît une œuvre originale Le malheur des curieux qui donne le thème de Faust à la littérature française. Grâce à Du Souhait, Faust pouvait devenir un personnage de notre littérature.
Il convient à présent d'analyser quels aspects de la vie et de la légende de Faust ont retenu l'attention de Du Souhait. Le Volksbuch "insiste sur les dangers de la magie et de l'idolâtrie (...), il veut avertir et édifier les fidèles"[345], on en a pour preuve le libellé même du titre complet de l'ouvrage de 1587: "Histoire du docteur Johannes Faust (...) magicien et nécromancier célèbre. Comment il se lia par un pacte avec le diable à une échéance déterminée, quelles singulières aventures il vit et courut ou provoqua lui‑même, jusqu'à ce qu'il reçut finalement la récompense qu'il avait méritée. En grande partie histoire tirée de ses propres récits posthumes, ici rassemblés et imprimés pour tous les hommes puissants, licencieux et impies, en effroyable exemple, en détestable leçon et en avertissement sincère (et le sous‑titre ajoute) soumettez‑vous à Dieu, résistez au Diable et il fuira loin de vous"[346].
Les points communs entre ce personnage de Faust et le comte d'Aite semblent évidents. Le comte, tout comme Faust, possède une culture intellectuelle que les auteurs se plaisent à souligner. Tous deux pactisent avec le diable. Comme Faust, le comte se trouve associé au pouvoir politique. Enfin l'alliance avec le démon, dans les deux cas, est conclue en vue de réussir dans l'existence, au sens matériel du terme.
On peut comparer également le rôle des valets: le maître d'hôtel du comte d'Aite est proche parent du Wagner de Faust. Comme lui, il assure la survie du maître dont il est l'héritier. Comme lui également, il sera le témoin repenti des errements de son maître: le serviteur du comte meurt en condamnant publiquement la curiosité des hommes et la magie, afin que, par son témoignage, le peuple soit édifié. "Le dernier adieu que j'en souhaite est que vous Le <Dieu> priez que la ruine de mon corps soit le salut de mon âme et des vostres"[347], dit‑il avant de mourir.
Il n'est pas inintéressant de se demander le sens de cet engouement du début du dix‑septième siècle pour le diabolique docteur. On sait par ailleurs que cette époque est une période faste pour la sorcellerie en général. L'Europe subit une "épouvantable épidémie de sorcellerie"[348]. Ph. Erlanger note d'ailleurs que "le diable n'inspirait pas seulement la terreur.
A force de le sentir rôder partout, d'écouter ses exploits, la tentation venait de recourir à lui. Les grands le faisaient dans les souterrains de leurs châteaux où ils convoquaient mystérieusement des magiciens, des alchimistes, des fabricants de philtres"[349]. Tout se passe comme si, déchiré dans ses convictions par les sanglantes guerres de religion, anxieux et de surcroît souvent miséreux, l'homme du début du dix‑septième siècle se vouait au diable dans une tentative désespérée pour sortir de sa condition et de son doute. Faust est considéré par certains spécialistes de cette époque comme le "second titan de l'âge baroque"[350] qui "renverse par un acte libérateur (...) le désenchantement baroque pour se réfugier dans le transitoire, optant pour le jeu de l'illusion et la maîtrise gagnée dans un sombre défi lancé à l'Eternel."[351]
On voit par ces diverses remarques combien François du Souhait vibre au rythme de son époque. Au peuple tenté par les facilités trompeuses de ceux qui "hors des pauvres chemins battus vous entraînent vers les voies sombres de l'espoir"[352], il propose l'exemple de celui dont il a sans doute connu personnellement l'histoire et la légende: le docteur Faust. Le mythe est utilisé et adapté pour convaincre ceux qui veulent être grands, que la seule voie pour y parvenir est celle de l'étude courageuse, de la sagesse, de la discipline personnelle, du respect de l'ordre religieux, de l'obéissance aux règles morales.
La sincérité de l'auteur, sa conviction dans la légitimité de cet idéal, transparaissent dans la fréquence de ses interventions personnelles pour juger les personnages de son récit. Je citerai à titre de seul exemple cette réflexion moralisante de Du Souhait jugeant le comte qui accepte les propositions du seëor Aria: "tu n'as peu éviter ta cheute et n'as peu prévoir ton naufrage en ton salut. Les grands esprits ne devroyent ainsi abuser des dons de Dieu, ils devroyent borner leur envie au possible sans galopper encore après l'impossible"[353].
Cinq courts récits sont reliés ensemble, il s'agit de L'exercice de la fidelle veufve, Le sacrifice larmoiant du parfaict héritier, La prudence de l'espoux advieilly, L'heureuse alliance, Le glorieux contentement des âmes.
L'exercice de la fidelle veufve décrit les lamentations d'une jeune femme qui se refuse à l'idée de voir mourir son mari, se désespère lorsqu'il s'éteint et repousse toute idée d'union nouvelle. Suit alors l'éloge du défunt dont on rappelle les qualités charitables et surtout le goût pour "les lettres qui luy furent ses plus chères compagnes, estimant que rien ne peut estre prudemment exécuté que par leur instruction"[354]. La pièce s'achève par les consolations prodiguées à la jeune veuve par des amis.
Dans le Sacrifice larmoiant du parfaict héritier, l'auteur feint de prêter sa plume à un grand de la Maison de Lorraine qui vient de perdre sa mère: "ma main appreste veut escrire ce que vostre filiale piété vous fera dire"[355]. En son nom, il rend un long hommage à la défunte et prie Dieu de l'accueillir en son paradis.
La prudence de l'espoux advieilly conte la mort d'une jeune fille. L'auteur exhorte le père à la vaillance, le supplie de ne faillir ni à son rang, ni à ses responsabilités sociales. Il joint à cette supplique un poème où perce sa compassion devant le tragique de la situation :
"Qui pourrait alléger la souffrance d'un père
De se trouver ainsi frustré du premier fruict
Qui pourrait soulager les ennuis de la mère
Qui de son plus beau jour en voit naistre la nuict"[356].
Du Souhait dit sa certitude que la jeune morte s'en est allée aux cieux et adresse à Dieu une ultime prière sur laquelle s'achève l'ouvrage.
L'heureuse alliance est un récit dédié à madame de la Guesle. Il nous intéresse tout particulièrement parce qu'il aborde directement la question du mariage. On y lit une série de conseils prodigués au futur époux et à la fiancée. A l'un comme à l'autre, on recommande de fonder une union sur la vertu, de refuser tout artifice magique et d'adopter des comportements propices à rendre la vie commune agréable. Le jeune homme devra donc châtier son langage, respecter sa femme, lui être fidèle et se montrer patient lorsque surviendront les difficultés de la vie conjugale. Si un ménage veut vivre heureux, chacune des parties doit faire des concessions à l'autre: "il faut endurer l'un de l'autre et que l'un n'affecte pas ce qui est nuisible à sa partie, comme si le parfum plaist au mary et qu'il nuise à la femme, il serait d'un naturel revesche s'il ne s'en abstenait et que pour son particulier contentement il voulut mescontenter sa femme"[357]. De son côté, la jeune épouse doit plaire sans provoquer; si son mari lui est infidèle, elle devra user de patience et de tact, préférer le charme à la violence. En bref, elle doit être, comme Saint Paul le recommande, "agréable" à son mari.
On retrouve dans cet ouvrage l'influence de la morale catholique traditionnelle chère à Du Souhait et à la Maison de Lorraine. On retiendra avec intérêt la conception très haute de la femme dans la pensée de Du Souhait, elle est présentée comme très respectable et traitée à l'égal de l'homme. Dans une société aux mœurs encore mal dégrossies, notre auteur ose dire que la femme n'est pas un objet sexuel pour son mari, mais une véritable compagne pour lui.
Le dernier ouvrage relié avec les précédents s'intitule : Le glorieux contentement des âmes. Il ne s'agit pas là d'un nouvel ouvrage de notre auteur mais d'une reprise du Parfait aage auquel l'auteur se contente de donner un nouveau titre.
Pour conclure sur les œuvres morales de François du Souhait, nous dirons que leurs analyses montrent au delà de leur diversité thématique, la présence d'une même morale catholique dont notre auteur se fait le défenseur, et d'une même éthique de l’"honnêteté" mondaine.
La distinction entre œuvres morales et œuvres pieuses est quelque peu artificielle ( le fait que Le parfaict aage –œuvre pieuse‑ ait été lié au Vray prince dans l'édition de 1601, le prouve ) et n'a été établie que pour des raisons de clarté d'exposé. Dans les unes comme dans les autres, notre auteur témoigne d'une solide culture religieuse qui lui permet par exemple de citer les Ecritures et même de plagier leur style.
Il semble tenir avec vigueur à quelques idées essentielles: le refus de se laisser leurrer par les pièges de la magie, le culte de la vertu, le souci de mettre entre les mains des grands des manuels où ils pourront trouver décrits l'art de la politesse mondaine, l'envie de se cultiver, le désir et la manière de respecter une femme.
Dans une société où la licence des mœurs trouve parfois des exemples en haut lieu, exprimer de telles idées montre que notre auteur ne manquait pas de courage. Peut‑être faut‑il trouver là la raison pour laquelle nous sentons percer, à bien des endroits de ses œuvres, la voix de la conviction personnelle, de la sincérité. Cette conviction confère au style de Du Souhait de l'enthousiasme et de l'éloquence. De ce fait, la lecture de ces petits récits n'est nullement languissante, elle enrichit notre connaissance de l'idéal que se forge, et qu'ose proclamer, un petit écrivain vivant dans un monde de grands personnages (qui le font vivre) dont il respecte la condition, mais dont il veut aussi déplorer le laisser‑aller. Il ne condamne pas, il fait confiance à la nature humaine, à la force de la Foi chrétienne et semble croire sincèrement en la possibilité d'une société peuplée de "parfaits gentilshommes" et de "chastes dames". Cette société idéale n'est pas celle de l'ennui ou de la froideur, c'est une société polie, cultivée où l'amour est pratiqué selon une éthique élevée, où les hommes et les femmes apprennent à devenir "honnêtes" ( pour anticiper sur le sens que prendra cet adjectif au cours du dix‑septième siècle ).
Le goût de François du Souhait pour l'écriture romanesque se manifeste de manière permanente tout au long de sa production littéraire. Les amours de Poliphile et Mellonimphe et Les amours de Palémon paraissent dès 1599 et seront sans cesse réédités dans les années suivantes, tant à Paris qu'à Lyon. Les amours de Glorian et d'Ismène suivent en 1600, Les propriétés d'amour en 1601, Les chastes destinées de Cloris en 1609, Les histoires comiques, en 1612, Le roman d'Anacrine en 1612 et Le roman de Gloriande en 1613 ( ces deux romans seront réédités ).
Il s'agit donc là de la partie la plus importante de l’œuvre de l'auteur. Les succès des éditions prouvent que cet aspect de sa production littéraire fut prisé du public de son époque. Sans doute est‑ce là la raison pour laquelle, si certains genres ont été au fil des années abandonnés par l'auteur ( poésies, œuvres de circonstance, œuvres dramatiques, traités de civilité ) le genre romanesque, lui, sera constamment cultivé.
La production romanesque de François du Souhait est extrêmement diversifiée. Le premier genre auquel notre auteur touche est le roman comique avec Les Histoires comiques. Les romans d'amour sont, de loin, les plus nombreux. Parmi eux, on peut distinguer des romans d'amour écrits dans le style galant: Les amours de Poliphile et Mellonimphe et sa suite Les amours de Palémon, Les amours de Glorian et d'Ismène, Les propriétes d'amour et des romans d'amour et de chevalerie: l'un donnant dans le style merveilleux: Les chastes destinées de Cloris, les autres appartenant en propre au style du roman de chevalerie: Le roman d'Anacrine et sa suite: Le roman de Gloriande. Pour ce qui concerne les romans d'amour, on notera que, chronologiquement, ces diverses catégories romanesques se succèdent les unes aux autres, comme si François Du Souhait s'essayait tour à tour à ces divers styles d'écriture romanesque.
C'est cette classification qui sera adoptée dans l'étude interne qui suit.
Cette veine romanesque n'est représentée que par un seul ouvrage: Les histoires comiques ou entretiens facétieux, paru en 1612.
Ce roman de notre auteur n'est pas signé. Du Souhait se contente de signaler sur la page titre qu'il est l’œuvre "d'un des beaux esprits de ce temps", mais le doute n'est pas permis sur l'identité de l'auteur.
Cette œuvre a été étudiée de manière exhaustive par J. Serroy dans le cadre de sa thèse: Roman et réalité, les histoires comiques au XVIIème siècle. Je me bornerai à reprendre ici ses principales conclusions.
Les histoires comiques sont avant tout une œuvre divertissante, de l'aveu même de leur auteur: "Voicy de quoy passer les longues nuicts de cet hyver", écrit‑il au comte de Brionne[358], et aux lecteurs il annonce: "J'ay passé quelques jours à tracer ces entretiens pour vous faire rire et pour me desennuyer"[359].
Du Souhait a conscience que l'écriture comique de ces récits fait exception dans l'ensemble de son œuvre, mais il fait fi de la critique, s'en libérant d'une pirouette: "il y en a qui diront que je suis inconstant en mes escrits, pourquoi ne le seroy‑je point puisque je suis fils de femme et que les femmes voudroient changer de mary aussi souvent que de robes"[360]. Notre auteur cherche délibérément à plaire à tous les publics: "Les uns donnent leur loisir à Dieu, je leur ay donné de quoy satisfaire à leur dévotion. Les autres courtisent le monde sérieusement, ma plume leur a faict voir des escrits partisans de leur gravité. Quelques uns aiment les propos de récréation, voicy qui les fera rire. Les plus retors sont quelque fois bien aise de relascher leurs esprits fatiguez d'importance, par la lecture de ces gayetez où l'on ne retrouvera que de la modestie"[361]. Cette fois, Du Souhait a décidé d'offrir à son public des "gayetez" pour attirer à lui une nouvelle frange de lecteurs.
Dans ce roman, Du Souhait donne pour forme à son récit celle de l'entretien. Neuf personnes "de diverses conditions"[362]: un gentilhomme, un commissaire, un bourgeois, un poète, un peintre, un marchand, un trésorier, un musicien et un "escolier" se trouvent dans une loge dans l'Hôtel de Bourgogne, attendant le lever du rideau. Celui‑ci tarde à se produire, "ce qui occasionna ces messieurs de faire une résolution de dire tour à tour une histoire facétieuse pour tromper le temps et pour donner quelque contentement à ces dames"[363].
Comme J. Serroy l'a montré, le récit suit grossièrement une logique interne: "chaque narrateur renvoyant la balle par son récit au narrateur précédent, ou incitant un nouvel orateur à prendre la parole"[364]. Chacun, pour entretenir gaiement la compagnie, fait un récit où il met en scène un personnage appartenant à cette compagnie; ainsi, dans la quatrième histoire, le musicien conte les plaisantes mésaventures qui surviennent à un poète, "malotru rimailleur"[365],et qui s'achèvent par la déconfiture du poète, contraint par le chevalier du guet d"aller faire ses rimes ailleurs"[366]. Entendant ce récit, le poète promet de se venger et de mettre "le musicien en jeu" dans son propre conte. Il conclut d'ailleurs sa cinquième histoire sur ces mots: "me voilà contant (...) de vous avoir fait rire aux despens du musicien comme il avait faict aux miens"[367].
Je reproduis ici le tableau que J. Serroy fait figurer dans sa thèse pour visualiser les protagonistes et le sujet traité dans chacun des neuf contes[368].
Histoires |
Narrateur |
Héros de l'histoire |
première |
écolier |
bourgeois |
deuxième |
marchand |
écolier |
troisième |
gentilhomme |
gentilhomme |
quatrième |
musicien |
poète |
cinquième |
poète |
musicien |
sixième |
gentilhomme |
juge |
septième |
financier |
peintre |
huitième |
peintre |
cavalier |
neuvième |
commissaire |
soubrette et entremetteuse |
Ce tableau montre que la logique de composition de Du souhait n'est pas rigoureuse. Le gentilhomme prend deux fois la parole alors que le bourgeois, pourtant prévu dans le préambule du roman, est oublié. J. Serroy démasque les nombreux emprunts que Du Souhait fait aux auteurs du passé et voit en lui un "émule attardé des grands conteurs du siècle précédent"[369].
Le ressort de toutes les histoires est le même: il s'agit de la tromperie, et les thèmes les plus traditionnels de la veine gauloise de la littérature sont repris: maris cocus, femmes rusées... Le style utilisé dans ce roman est des plus libres, il ne répugne pas à la grivoiserie[370]. Les personnages typiques des farces y abondent : valets sans scrupules, bourgeois bornés et aveugles, étudiants farceurs, amants cachés dans les placards ‑à moins que ce ne soit dans un fournil[371]‑, vieilles courtisanes ridicules. Les situations comiques foisonnent: personnages déguisés, quiproquos en cascade, échanges de lits, morts qui se réveillent pour rire et amuser. Ainsi des "escoliers" dérobent‑ils, dans la cinquième histoire, des chapons qu'ils dissimulent aux regards des chevaliers du guet en les cachant sous un manteau, prétextant qu'ils vont enterrer un serviteur du collège. Mais un chapon "tenant possible encore du coq se print à chanter"[372] et les voleurs de s'enfuir au plus vite.
Toutes ces histoires sont courtes, en moyenne une douzaine de pages, il ne faut pas y chercher de vraisemblance ni d'étude psychologique dans la peinture des personnages. Ce que recherche avant tout Du Souhait c'est l'effet comique, il recourt donc pour cela aux procédés les plus traditionnels et utilise divers canevas qui brodent tous autour du thème de la femme ou, plus souvent du mari, trompé(e).
Que Sorel reconnaisse s'être inspiré de ces facétieux récits montre que François du Souhait n'était pas dénigré par les "beaux esprits" de son temps. Jean Serroy en tire cette conclusion: "c'est "à l'envy" de Du Souhait que Sorel va écrire son Francion. Rôle modeste donc que celui de cet écrivain charnière, mais rôle important"[373].
Ce roman fut incontestablement pour l'époque, un succès de librairie. Publié pour la première fois en 1599, il connaît la même année une suite: Les amours de Palémon et sera trois fois réédité.
On peut se demander si ce roman est effectivement le premier roman de Du Souhait. En effet, si Poliphile et Mellonimphe est bien le premier ouvrage romanesque que nous connaissons, il n'est cependant peut‑être pas pour autant le premier roman de notre auteur qui écrit dans l'Avis aux lecteurs: "je vous envoye (braves syndics) cest autre courrier qui vous asseurera mieux de sa diligence que de sa capacité (...) Je luy ai donné quelques vestemens de son frère, ils avaient été faicts pour luy, mais il n'estait pas en aage de les porter (...) je ne l'ay desgarny que de quelques pièces que j'ay jugées propres à cestuy‑ci. Si vous avez frappé l'autre à la turquesque jusques au sang, ne bastez cestuy‑cy qu'à la persiaque et faictes luy plus de menace que de mal"[374]. Quel est l'ouvrage, "frère" aîné de Poliphile et Mellonimphe, dont Du Souhait avoue s'être inspiré pour écrire ce roman? Cette remarque de notre auteur nous fait douter du fait que Poliphile et Mellonimphe soit effectivement son premier roman.
Le roman est dédié à Messieurs de Rimon et de la Courtine, seigneurs de la Rochette et d'Utty. Parmi les pièces liminaires se trouvent quelques sonnets dédicacés à des grandes dames et quelques courtes pièces d'admirateurs de Du Souhait comme ce quatrain de Matel Cadet :
"SOUHAIT tu te monstres divers
Quand ton styl tu diversifie
Que tu brave en prose et en vers"[375].
Ce quatrain prouve que si les contemporains de notre auteur avaient bien conscience de l'extrême diversité des registres d'écriture de Du Souhait, ils ne lui en faisaient nul grief, tenant ce talent protéiforme pour une qualité.
Du Souhait affirme dans sa préface qu'il a l'ambition d'être "véritable". Il prétend raconter une histoire vraie: "le fil de ceste histoire non seulement (est) véritable mais presque sçeçe de tout le monde"[376]. Pour authentifier ses affirmations, l'auteur prend soin de situer son roman dans le temps et dans l'espace: "durant que notre France sacrifiait à Mars, la Suède offrait ses victimes à Vénus n'oubliant ainsi de rappeler que toute vie amoureuse ne saurait s'épanouir que dans un climat de paix"[377].
Du Souhait déclare en outre dans la préface de Poliphile et Mellonimphe refuser délibérément de prendre modèle sur les Anciens et préférer la modernité aux histoires du passé: "qu'est‑il donc besoin de mendier chez les Anciens, les tesmoignages des effects de l'amour, puisque nostre siècle les fait renaistre"[378]. Cette idée semble lui être précieuse , en effet, dans l'édition de 1605, elle est reprise mais elle est beaucoup plus longuement développée qu'en 1600.
Le roman se présente sous la forme d'un récit coupé de dialogues au style direct, de stances[379], de sonnets comme celui‑ci dans la bouche du roi de Pologne :
"Si j'estois de la neige ou mesme de la cire
Je fondray peu à peu aux rayons de tes yeux..."[380]
ou cet autre :
"Beaux cheveux qui servez de chesnons aux amours..."[381]
Le récit est également interrompu par des remarques de l'auteur qui commente l'attitude de ses personnages ou use de ce moyen pour effectuer des transitions rapides entre deux situations ("les laisserons jouïr en repos de leurs amours pour nous préparer et les rendre plus patiens aux travers que la fortune appreste"[382] ).
L'action principale du roman se déroule à la cour de Suède puis à la cour de Pologne. Précisons toutefois qu'aucun détail pittoresque ne permet de distinguer ces deux cours parmi d'autres.
Les personnages principaux sont peu nombreux, j'en dénombre six. Mellonimphe est l'une des quatre filles du roi de Suède. Poliphile est le fils cadet d'un noble suédois, il rentre d'un voyage initiatique qui lui fit voir l'Italie, la France, la Pologne. Silvie est la servante et la confidente de Mellonimphe. Sainct Amour joue le même rôle auprès de Poliphile. Le prince de Pologne est l'amoureux infortuné de Mellonimphe, la princesse de Pologne est l'amoureuse éconduite de Poliphile.
Dans ce roman l'intrigue est simple, elle raconte les amours contrariées de Poliphile et de Mellonimphe. Dans la première partie du récit, les obstacles au bonheur partagé des jeunes gens ne viennent que des personnages eux‑mêmes. Tous deux sont victimes d'un véritable coup de foudre réciproque lors d'un tournoi à la cour de Suède où Poliphile s'est distingué. "Bien élevée", Mellonimphe reconnaît en son cœur qu'elle est éprise de Poliphile, mais, dès le départ, elle "eut l'esprit de choisir un parfaict amant, elle eut le jugement de voiler sa flame du crespe de discrétion"[383]. Elle se refuse à laisser rien paraître de ses sentiments; mieux, elle imagine diverses épreuves à faire subir à celui qui l'aime, allant par exemple jusqu'à l'accuser d'inconstance: "vos desseins d'aimer seront aussi volages que ceux de n'aimer pas"[384] et à le soumettre à tous ses caprices. Poliphile accepte volontiers ces épreuves. Alors qu'avant de rencontrer Mellonimphe il se "faisait gloire de muguetter les dames"[385], il se métamorphose en amoureux soumis et docile ("il faudra que, comme un papillon, je me brusle à son flambeau"[386], se résigne‑t'il) et souffre avec patience toutes les froideurs de celle qu'il aime.
Dans la seconde partie du roman, par contre, les obstacles proviennent des événements extérieurs. L'ambassadeur du roi de Pologne arrive à la cour de Suède et demande au roi sa fille aînée afin de la marier au prince héritier de Pologne. Mellonimphe et Poliphile font partie du voyage vers la Pologne; hélas, d'une part le fils du roi de Pologne s'éprend de Mellonimphe, d'autre part la princesse de Pologne tombe amoureuse de Poliphile. Les quiproquos s'enchaînent alors rapidement, le doute s'empare de tous les esprits. Personne ne sait plus qui aime qui, et chacun espère être aimé de tout le monde. Cette situation donne lieu à des débats "pré‑cornéliens" chez des personnages aussi hésitants que soupçonneux. Mellonimphe, par exemple, s'interroge en ces termes: "elle ne sçait si elle doit en dépit de Poliphile aimer le Prince, ou en despit du Prince, aimer tousjours son Poliphile"[387]. Un stratagème conçu par Silvie et Sainct Amour parviendra à réconcilier les amoureux: on fait croire à Mellonimphe que Poliphile s'est donné la mort par désespoir et, cette fois, la jeune fille ne sait qu'être sincère et se lamente en ces termes: "Misérable Mellonimphe dois‑tu vivre coupable ayant faict mourir un innocent"[388]. Après cet aveu et la révélation de la vérité, Silvie conseille aux jeunes gens "d'en venir aux cérémonies d'un prestre puis à la consommation. Ce conseil approuvé des parties, l'aumônier de Poliphile exécuta le premier poinct et luy le dernier. Bref, les voila espousez et hors de soupçon et non pas d'affliction"[389].
Le récit est alors rapidement relancé dans une troisième partie où, complices, Poliphile et Mellonimphe se jouent du prince et de la princesse de Pologne qui ne se résolvent ni l'un ni l'autre à leur sort. L'auteur promet alors une suite "au second volume de nostre histoire".
La suite des Amours de Poliphile et Mellonimphe remporte le même succès de librairie puisqu'elle est, elle aussi, rééditée tant à Paris qu'à Lyon.
L'ouvrage est dédié à très illustre princesse Catherine, princesse de Lorraine, comme "premier hommage" rendu par l'auteur à cette grande dame de la cour de Lorraine dont il vient d'être reconnu comme poète.
Comme le roman précédent, Les amours de Palémon comportent, outre le récit principal, des lettres, des chants, souvent repris de recueils poétiques antérieurs[390]. Cette fois encore, Du Souhait intervient pour accélérer les transitions au sein de sa narration[391].
La cour de Pologne est au cœur du récit, sans qu'aucun détail pittoresque complémentaire ne soit fourni. Les personnages restent peu nombreux; on retrouve Poliphile et Mellonimphe, la princesse de Pologne, éplorée, prête à "courtiser Dieu et le cloître des vestales"[392], Palémon, fils du roi de Danemark, son frère, le roi et la reine de Pologne.
Le récit commence sur un double événement: l'arrivée en Pologne de Palémon, fils du roi de Danemark, et le début d'une guerre entre le tuteur de Poliphile et le père de Mellonimphe (roi de Suède). Palémon tombe amoureux de Mellonimphe qui reste insensible à ses hommages. La princesse de Pologne, par contre, s'éprendrait volontiers de Palémon, mais celui‑ci ne la regarde pas. Poliphile se trouve partagé entre son amour pour Mellonimphe et son devoir: "je m'en vay où l'obéissance et la raison m'appelle et quitte le lieu où mon amour me retient attaché. Je me trahis moy‑mesme pour être fidelle à mon devoir et pour ne desmentir mon naturel"[393]. Poliphile part finalement au combat mais ses intentions sont profondément pacifistes. Il tente de trouver une solution pacifique au conflit. A son corps défendant et en état de légitime défense, il est conduit par les événements à tuer[394]. Il fait prisonnier le prince de Pologne mais le libère ensuite pour que celui‑ci obtienne de son père l'arrêt des hostilités[395]. Chevalier au grand coeur, il répugne à la violence, non par lâcheté mais par amour profond de la paix. Poliphile occupé à guerroyer, le prince de Pologne et Palémon tentent de séduire Mellonimphe qui résiste à leurs avances. Palémon, désespéré, part "en intention de tuer Poliphile à la bataille"[396], mais c'est lui qui sera tué.
Le récit s'achève brutalement sur un double coup de théâtre. Poliphile rentre, le conflit est apaisé, sa générosité semble devoir être reconnue par tous, mais on apprend, d'une part la mort du prince de Pologne, d'autre part l'arrivée du frère de Palémon qui réclame la maîtresse "promise à son frère"[397]. Le cœur affligé, Mellonimphe, obtempérant à l'autorité royale, part pour le Danemark, suivie de Poliphile. Quelques lignes suffisent à l'auteur pour achever son roman: "le vieil roy de Danemark se ressouvenant que Poliphile avait occis Palémon, son fils, le fit prendre prisonnier, comme il parlait à la royne ( Mellonimphe ) et le fit mettre en une forte tour et la royne en une autre comme adultères"[398]. De désespoir, Poliphile avale du poison et le roman s'achève sur le chagrin de Mellonimphe bien résolue à mourir avec celui qu'elle aime: "je veux ainsi que toy du monde estre ravie"[399], s'écrie‑t'elle.
Les amours de Glorian et d'Ismène, ouvrage dédié au baron de Clervaux, prétendent, selon leur auteur, rapporter une histoire véridique: "me voicy (...) disposé à vous racompter une histoire dont la vérité m'a donné plus d'audace que ma propre volonté"[400]. A cette fin sans doute, il situe son récit dans une ville de France dont, cependant, il tait le nom.
Il réitère dans la préface de ce roman, son intention de ne pas s'inspirer des Anciens: "je ne veux emprunter ni mendier mon histoire, ni des Grecs, ni des Latins, ni des Français mesmes, je n'iray aux cerises qu'à mon jardin et ne prendray mes fleurs que chez moy"[401].
On retrouve dans ce roman des interventions directes de l'auteur pour commenter par exemple l'attitude des protagonistes, disant de Glorian et Ismène: "ils croyent que les espineux commencements produisent des roses à la fin"[402], ou justifiant l'obéissance d'Ismène ainsi: "il fallait comme sage qu'elle en usa ainsi"[403].
Les amours de Glorian et d'Ismène se déroulent en France,dans une ville non précisée. Le récit met en scène deux personnages principaux: un jeune homme, Glorian et une jeune fille, Ismène, enfants de deux seigneurs voisins et amis, leurs parents, le gouverneur de la ville et le neveu de ce dernier. L'intrigue repose sur les amours contrariées des deux jeunes gens. Dans un premier temps, l'amour de Glorian pour Ismène, amour partagé et en principe voué à un avenir radieux, ne rencontre comme obstacle que le comportement des jeunes amoureux eux‑mêmes. Leur pudeur, leur désir de respecter un certain code galant ralentissent la réalisation de leurs vœux. Ismène se joue d'un amoureux qui, s'il "la voit modestement (...), la souhaitte passionnément"[404]. Devant elle , Glorian devient un être soumis, entièrement dévoué à celle qu'il aime: "madamoiselle, ce n'est plus vous parler comme voisin mais comme esclave (...) Je vous offre et mon coeur et ma vie, traictez les à vostre discrétion, et si vous ne me jugez digne de vivre vostre serviteur, faictes moy mourir vostre esclave"[405]. Quoique la mère d'Ismène tente de persuader la jeune fille d'abandonner ces exigeances et d'agir selon son coeur, celle‑ci tient à ce que Glorian passe par l'épreuve de l'attente: "s'il veut trouver, c'est bien raison qu'il cherche et s'il veut avoir c'est bien raison qu'il demande"[406].
Alors qu'un vieux gouverneur lui fait des "oeillades", qu'elle même est, au fond, impatiente d'épouser Glorian, Ismène, "trop bien née"[407], recule une explication indispensable avec Glorian: erreur capitale car, de ce fait, les événements vont se retourner contre elle.. Dans un deuxième temps, les obstacles à l'amour des deux jeunes gens se font réels et tout à fait sérieux. Le mariage est décidé quand survient un coup de théâtre: le vieux gouverneur de la ville est effectivement tombé amoureux d'Ismène lors d'un banquet[408]. Un double malentendu scelle le malheur des jeunes amoureux. Le père d'Ismène n'ose pas tenir tête au gouverneur d'une part, il s'en remet alors à la décision de la jeune fille, mais celle‑ci, d'autre part, n'ose affronter son père et s'abandonne à la volonté de celui‑ci. C'est ainsi que se trouvent célébrées les noces du gouverneur et d'Ismène. A cette cérémonie assiste un neveu du vieillard qui s'éprend à son tour de la jeune épousée: "il voit son oncle caduc et Ismène fort jeune et belle qui luy fait fonder une certitude où tout luy est incertain et une facilité sur l'impossible. Ce que nous dirons une autre fois"[409].
Comme on le voit, Du Souhait semble avoir eu l'intention de donner une suite à son roman. L'a‑t'il fait? Je n'en ai trouvé aucune trace sinon cette mention particulière relevée dans le privilège d'un exemplaire de 1610 consulté à la bibliothèque de l'Arsenal : "pour les Amours de Glorian et Ismène ensemble la Suite des dites Amours"[410].
Ce roman veut, lui aussi, être une "histoire véritable", dédiée par le secrétaire de Charles III aux seigneurs François et Jehan de Bassompierre.
Comme dans les romans précédents, on voit dans celui‑ci Du Souhait intervenir dans son récit, juger ses personnages, apprécier sa propre manière d'écrire. Trouvant, par exemple, peu plausible un revirement d'état d'esprit d'un de ses héros, il écrit: "il me semble que ce changement est trop extrême"[411].
L'auteur ne précise pas où se déroule la première partie de son roman. La seconde partie, pour sa part, se passe à la cour (sans qu'on sache d'ailleurs dans quel pays ). Les personnages sont peu nombreux, j'en dénombre quatre principaux: Polimante, Filine, l'oncle de Filine et un prince de la cour. Ce roman fait le procès de Filine, femme inconstante qui n'a pas su préserver l'amour pur et total que lui vouait Polimante.
Dans la première partie du récit, on ne trouve pas d'obstacles sérieux entre Polimante et Filine. Cette fois encore, c'est la jeune fille qui soumet son amoureux aux épreuves de l'attente, du doute et de l'incertitude. Pourtant, l'auteur écrit à propos de cette attitude : "c'est presque l'erreur commune des amans de diminuer leur affliction par attente et se figurer une félicité où tout semble conspirer à leur ruyne"[412]. Au terme de maintes joutes amoureuses, Filine consent à devenir la "bonne amie"[413] de Polimante, qualité qui ne satisfait pourtant point l'amoureux "balançant entre l'espoir et la craincte"[414].La deuxième partie du roman scelle le malheur de la capricieuse Filine. La jeune fille se rend à la cour auprès de son oncle et y rencontre un grand personnage qui tombe amoureux d'elle et essaie d'attirer ses faveurs en lui promettant "d'eslever sa fortune"[415]. Filine mène alors un double jeu auprès du Prince qu'elle n'éconduit jamais franchement. Elle veut obtenir de lui qu'il l'épouse alors qu'elle sait que sa propre naissance ne lui permet pas d'envisager cette union. Elle recourt même aux artifices de la magie, faisant absorber à son Prince une herbe d'amour pour mieux se l'attacher. Mais, Filine est trop bavarde, elle commet l'erreur de raconter au Prince, prêt à l'épouser, que jadis elle aimait Polimante. Sa langue[416] la perd car le Prince se met à douter de l'inconstante et, après l'avoir déshonorée, il l'abandonne, fait de Polimante un lieutenant général et lui donne volontiers la pauvre Filine. Polimante refuse cette maîtresse infidèle et Filine, abandonnée de tous, prise au piège de sa duplicité se fait religieuse[417].
Les romans sentimentaux de François du Souhait présentent tous une intrigue simple. Le thème central est toujours le même, il s'agit des amours contrariées de deux personnages de haute naissance. Les obstacles qui les séparent sont de deux natures, les uns sont intérieurs et naissent des protagonistes eux‑mêmes, les autres sont extérieurs et proviennent d'événements hostiles (guerres, jalousies etc.). Les coups de théâtre sont relativement fréquents. Ils servent à l'auteur à faire dévier le cours et le rythme des événements. C'est le cas du mariage hâtif de Mellonimphe, du brutal empoisonnement de Poliphile, du coup de foudre qui saisit le vieux gouverneur, de l'amour qui jaillit soudainement au cœur de son neveu. Dans tous ces romans, les fins de récit semblent bâties à la hâte et les dénouements manquent de logique. Tout se passe comme si l'auteur construisait laborieusement une intrigue, s'intéressait aux débats intérieurs de ses personnages chez qui il suit les méandres du cheminement amoureux et puis, lorsque les événements qu'il crée contrarient par trop ces amours, se hâtait d'en finir en imaginant une fin‑couperet qui dénoue fort artificiellement les fils de l'intrigue et laisse le lecteur avide d'en savoir davantage sur certains points que le roman laisse en suspens. De cette manière, l'auteur crée chez le lecteur le besoin d'une suite, suite qu'il donne dès l'instant où le roman remporte le succès escompté. Dans ces romans où l'intrigue est simple, le temps n'existe pas ou du moins il ne semble pas vraiment faire partie des préoccupations d'auteur de Du Souhait. Les dialogues amoureux peuvent s'éterniser sur de nombreuses pages alors que la guerre entreprise par Poliphile, par exemple, n'est mentionnée que par quelques lignes. On a ainsi l'impression que seule l'introspection psychologique des héros intéresse vraiment Du Souhait. Elle le préoccupe tant qu'il ne cesse d'intervenir directement dans le récit pour commenter l'attitude de ses personnages ou réorienter le cours des événements.
Dans les romans sentimentaux de Du Souhait, les personnages et les lieux cités sont dépourvus de pittoresque. Des pays sont nommés mais rien ne les caractérise vraiment. De même, tous les personnages se ressemblent, Du Souhait ne cherche aucunement à les distinguer véritablement les uns des autres. Les jeunes filles sont toutes vertueuses, pudiques, ardentes à transformer leur soupirant en amoureux soumis et fidèle. On ignore tout de leur physique, on les sait simplement belles à rendre amoureux, au premier regard, leur partenaire. De leur caractère, on ne connaît que la douceur. On peut dire que Du Souhait s'intéresse davantage au cursus amoureux qu'elles parcourent qu'à leur personnalité. Quant aux jeunes gens, ils ne sont pas plus typés. Tous se ressemblent comme des frères. Au total, les personnages sont au fond assez fades, ils servent essentiellement de support à la mise en scène des thèmes galants chers à notre auteur.
Quant au style des romans sentimentaux, on peut dire d'une manière générale qu'il est extrêmement diversifié et comporte de multiples facettes. Ces ouvrages usent abondamment des oppositions et des parallèles à tous les niveaux de l'écriture romanesque. L'auteur utilise tout d'abord ces principes dans la conception de ses intrigues: le fils du roi de Pologne aime Mellonimphe, tandis que la fille du roi de Pologne aime Poliphile; Poliphile au loin, Mellonimphe éconduit Palémon de la même manière qu'elle évince le prince de Pologne. Les protagonistes sont secondés par des personnages parallèles: Poliphile est assisté par Sainct Amour comme Mellonimphe par Silvie; la mère de Glorian le soutient et le pousse vers Ismène, comme la mère d'Ismène soutient sa fille et la pousse vers Glorian. Ces parallélismes se retrouvent au sein des situations romanesques: à la lutte que Mellonimphe mène contre son amour‑propre, correspond la révolte de Poliphile contre sa propre faiblesse ( "je bannissais l'amour de mes esprits et maintenant je luy sers d'asile et de retraicte"[418]). Il est tout naturel de retrouver ce même procédé stylistique dans la construction même des phrases et on peut lire par exemple: "elle ne sçait si elle doit en dépit de Poliphile aimer le Prince ou en despit du Prince aimer tousjours son Poliphile"[419] ou encore : "j'aime trop pour haïr et hay trop peu pour n'aimer plus"[420].
Le style utilisé par Du Souhait dans les romans sentimentaux se caractérise, en outre par, l'extrême variété des registres utilisés au sein d'un même ouvrage. Il passe du style narratif indirect aux monologues[421], puis aux dialogues au style direct. Il inclut dans son récit des chants, des poèmes, ajoute de nombreuses lettres qu'échangent les protagonistes. Il émaille sa narration de remarques d'ordre général et de réflexions moralisantes comme celle‑ci: "les sceptres et les diadèmes ne peuvent plaire au'aux yeux / les mérites seuls plaisent aux cœurs"[422]. Il se plait également à intervenir directement dans ses récits, soit pour juger ses héros, soit pour modifier le cours de leur destin. Enfin, il faut bien reconnaître que Du Souhait ne recule pas devant certaines facilités d'écriture. Il réutilise d'un roman à l'autre ses caractères et Poliphile ressemble à s'y méprendre à Glorian. Il n'hésite pas non plus à piller sa propre production littéraire pour étoffer ses romans et met par exemple dans la bouche de ses héros de nombreux poèmes venus en droite ligne de ses recueils poétiques antérieurs.
Au total, les romans sentimentaux de François Du Souhait nous sont apparus essentiellement comme des variations élaborées autour du thème de base du jeu de l'amour.
Ce roman, paru en 1609, nous apparaît comme un roman de transition entre la veine des romans sentimentaux de Du Souhait et les romans de chevalerie proprement dits. En effet, à bien des égards, ce roman s'apparente au genre sentimental tel qu'il vient d'être étudié: le roman n'est‑il pas centré sur l'histoire d'amour de Filidor et de Cloris? Cependant, le style change car si, dans Les propriétez d'amour,,,, le merveilleux faisait son apparition dans l'écriture romanesque par l'intermédiaire du personnage du mendiant qui fournit à Filine "une herbe, qu'estant mariée son mary ne pourrait aimer jamais autre qu'elle"[423], il prend dans Les chastes destinées de Cloris une place nettement plus importante.
Dans cet ouvrage, une fois encore, Du Souhait prétend faire le roman "des histoires de ce temps"[424]. Il écrit dans l'avant propos: "je veux escrire une histoire autant véritable que recogneçe de nostre siècle"[425]. Il fait d'ailleurs intervenir un grand fait d'histoire, en l’occurrence la guerre entre Charles Quint et le Roi de France [426].
Le récit est écrit en prose et Du Souhait intercale dans son déroulement diverses poésies, stances et sonnets galants ( comme "Bel astre amy du ciel et le ciel des amants"[427] ) et même une véritable petite pièce en vers: le "balet de la captivité d'Amour"[428] qui n'est pas sans rappeler Le plaidoyer...
Dans ce roman, l'auteur fait de larges emprunts à ses précédents ouvrages. On peut par exemple lire la phrase: "Amour qui les espiait se servit d'eux contre eux‑mesmes, leurs discours furent les alumettes de leurs passions, leurs regards ambassadeurs de leurs désirs et leur honneste différent médiateur de leur intelligence" au verso du feuillet 4 et au verso du feuillet 9. C'est une simple reprise du recto du feuillet 78 des Amours de Poliphile et Mellonimphe. Certains épisodes entiers sont des emprunts, ainsi le personnage qui tâta "des sciences supernaturelles" sur les conseils d'Aria, suit‑il exactement le schéma du comte d'Aite dans Le malheur des curieux: "en la fleur de son adolescence (il) promettait des fruits d'une même vieillesse, se laissa aller à la curiosité, la curiosité à son malheur. Il avait en son avril courtizé les lettres et s'en allait presque estre leur espoux quand son esprit non content d'une médiocre science, voulut emboire des sciences supernaturelles et eslongnées de la cognoissance des hommes. Il communique son secret à six de ses amis (...)"[429].
Dans Cloris, Du Souhait élargit le champ de l'action romanesque qui se déroule tout d'abord à la cour d'Aragon puis dans la grotte de la magicienne Margon dans l'île des merveilles. Quant à la campagne de guerre de Filidor, elle le mène d'Aragon en Hongrie. Le nombre des personnages qui rentre en scène dans ce roman croît, lui aussi, considérablement. En ne tenant compte que des principaux protagonistes du récit, il faut néanmoins citer: Cloris, jeune fille élevée à la cour d'Aragon, Filidor, fils aîné de Palindre ( roi d'Aragon et époux d'une "fille de France"), amoureux de Cloris, Isolin, rival malheureux de Filidor dans le coeur de Cloris, Rivolan, autre rival de Filidor, Filinde, une femme mariée, aimée de Lélio, "cadet de Gascongne"[430], compagnon de route d'Isolin et amoureux malheureux de Filinde, Margon la magicienne, Marsion et Glorian, deux chevaliers à la recherche de Caesarius.
Aux côtés des acteurs principaux gravite une foule d'autres personnages qui n'interviennent pas directement dans le cours du récit, mais sont eux‑mêmes les héros de récits annexes, inclus dans l'histoire principale. Filiris est l'un d'eux, c'est l'homme aimé de la magicienne Margon, il raconte longuement ses amours malheureuses du verso du feuillet 89 au verso du feuillet 111.
Les chastes destinées de Cloris sont bâties autour d'une double intrigue. D'une part, le récit raconte les amours contrariées de Filidor et de Cloris, séparés tout d'abord par des obstacles internes, puis par des obstacles externes. Cloris, en effet, est une pudique jeune fille qui "voulait fuir Filidor", mais "ses yeux sont affaméz de le voir"[431] et elle soumet Filidor à l'expérience de la froideur et du doute "pour prendre garantie de sa constance"[432]. Bientôt, des empêchements extérieurs viennent s'ajouter et l'éloignement prive l'un de l'autre les amoureux. La guerre éclate entre "l'empereur Charles Quint et le Royaume de France", Filidor, tout comme son père, plus enclin à la paix qu'à la guerre, "fasché que les forces des Princes catholiques fussent plustost conduites par ambition contre leurs frères, que par zèle contre l'ennemi public de la chrestienté"[433], s'engage au service de "ces deux princes qu'il parvient à décider à tourner leurs armées en Asie contre les infidelles"[434]. Préférant "obéir à la raison qu'à la passion"[435] pour ne pas apporter "une tasche à sa réputation comme un préjugé de lascheté ou d'imprudence"[436], il part à la guerre. Le second obstacle qui se dresse entre les jeunes gens vient de la rivalité de Rivolan, "philosophe"[437] à qui les parents de Cloris désirent marier la jeune fille.D'autre part, le récit raconte le journal de voyage d'Isolin, autre soupirant de Cloris, éconduit par la jeune fille. Pour oublier son chagrin, et sur les conseils de sa mère, il s'embarque pour l'Italie, la France, l'Allemagne. Son voyage lui fournit des occasions de rencontres, celle de Lélio, d'un ermite, de Marsion et de Glorian, chevaliers à la recherche du personnage de Caesarius, lequel aurait été enlevé par des semi‑divinités. Tous ces personnages ont été malheureux dans leur existence du fait des femmes. Le voyage d'Isolin dévie alors vers l'île des merveilles, à la recherche de la magicienne Margon, victime, elle aussi, d'amours malheureuses, installée dans son île pour y attirer "tous les amants et amantes ou en personne ou en ombre (...) pour se venger de ceux qui (...) l'avaient ainsi réduite au désespoir"[438]. Ce rendez‑vous de l'infortune est le prétexte à une succession de récits d'amours malheureuses. Entre ces deux intrigues, Du Souhait navigue avec plus ou moins de bonheur. Il intervient sans cesse directement dans la narration pour tenter de donner une cohérence globale au récit. Tout se passe comme si les deux histoires étaient maladroitement cousues ensemble par un auteur éprouvant quelque difficulté à mener de front une histoire sentimentale ( celle de Cloris et de Filidor ) et un conte merveilleux: celui qui est centré autour de la magicienne et qui groupe les récits annexes des amours malheureuses, ainsi lit‑on par exemple: "Nous le ( Marsion ) laisserons avec Margon et irons voir Filidor, qui treuvant l'occasion, parlait ainsi à Cloris..."[439], ou encore: "Nous le ( Filidor ) laisserons souspirer pour aller treuver Margon avec Marsion en sa caverne"[440].
Le roman se termine brutalement, sans que la logique du déroulement des événements appelle vraiment le dénouement. En effet, brusquement[441], on apprend que le mariage prévu entre Rivolan et Cloris échoue, puis on retourne pour une vingtaine de pages à la grotte de la magicienne, le temps de s'y entendre conter quelques histoires prédisant l'avenir de Caesarin et, soudain[442], Du Souhait met un terme à son roman en promettant une suite que cette fin‑couperet rend nécessaire: "cependant que Margon récitait ces contes, Filidor augmentait son honneur à l'avantage de la chrestienté (...) ce volume ne parle point de ces prouësses, ce n'est qu'un avancourier de ce que je désire vous faire voir (...). Bornons là nostre course, les autres volumes vous feront voir les combats devant Metz, les amours des Paladins et les advantures de Caesarien et d'Uranie, Infante d'Austrasie, avec le reste des histoires de ceste isle"[443]. On peut déduire de ces propos que Du Souhait avait clairement l'intention de poursuivre cette fresque romanesque. Compte tenu du fait que la promesse de nous conter les "combats devant Metz" sera renouvelée à la fin du Roman de Gloriande[444], on peut en conclure que le cycle d'Anacrine rentre dans le même projet d'écriture romanesque que Les chastes destinées de Cloris.
Les chastes destinées de Cloris nous intéressent tout particulièrement en ce que ce roman témoigne de la nette intention de notre auteur de s'essayer à un nouveau type d'écriture romanesque. Du Souhait n'abandonne pas ses thèmes favoris: le parfait amant, la jeune fille amoureuse et pudique, le chevalier valeureux mais pacifique, mais il renoue avec une tradition romanesque ancienne, celle des romans de chevalerie du Moyen Age, veine remise en vigueur par le succès des traductions des Amadis. Situations romanesques et péripéties se multiplient. Les héros se distinguent encore davantage du vulgaire que dans les romans sentimentaux. Leur bravoure et leurs exploits leur confèrent une sorte de brevet de perfection. Glorian est l'un de ces preux. Dans une forêt enchantée, il rencontre un vieillard aux prises avec deux serpents; laissant là sa propre quête, il vole au secours du vieillard, affronte les géants, prouvant ainsi sa vaillance tout à fait hors du commun[445].
Dans ce roman, le merveilleux envahit le récit: dans l'île des merveilles, la magicienne Margon déroule ses sortilèges et les personnages se métamorphosent. Le merveilleux élargit la palette de l'écriture romanesque de notre auteur, il permet à l'imaginaire de s'exprimer mais surtout, il donne l'occasion à Du Souhait (dont l'esprit pamphlétaire a déjà témoigné de ses capacités à avoir prise sur une situation politique dans Le Pacifique) de faire, comme il l'annonce, un "roman des histoires de ce temps" et de masquer, sous les aspects de la fantaisie, une réalité historique, piquant ainsi la curiosité de lecteurs friands d'énigmes. Gustave Reynier n'hésite pas à parler d'une "espèce de roman à clef"[446].
Ainsi, au‑delà de la trame romanesque parfois échevelée des chastes destinées de Cloris, faut‑il tenter de retrouver la réalité historique ou idéologique que Du Souhait se propose en fait de peindre. Il me semble tout d'abord que quelques traits de mœurs sont visés dans les situations romanesques décrites. Filiris, par exemple, infidèle à Margon, n'est pas condamné par le roi, même lorsqu'il se bat en duel avec Macédon qui courtisait Margon car "c'est une douce chose aux amoureux que la vengeance"[447]. La cour où évolue Margon et Filiris est un endroit où chacun se plait à médire "tant qu'une nouvelle histoire leur apreste un subjet de s'entretenir aux despends de quelqu'un"[448]. C'est Du Souhait censeur des mœurs de la noblesse de son époque qui parle ici. Il réprouve ces comportements agressifs et incivils, indignes de son Parfaict gentilhomme. L'exemple d'Anacris ne manque pas d'intérêt également. Ce personnage apparaît dans l'un des récits de Margon, cet Italien rencontre un certain cardinal de Clarence et il explique: "de luy pouvait despendre sa fortune"[449]. On ne peut s'empêcher de penser que Du Souhait se souvient ici de toute une catégorie d'ecclésiastiques de son époque, plus diplomates et fins politiques que prélats. Nous citerons enfin Palindre, père de Filidor, répugnant à participer à la guerre entre deux monarques catholiques, son attitude rappelle celle du Pacifique qui montrait que la menace représentée par l'infidèle Turquie était la seule qui soit valablement pressante. Palindre, farouche défenseur de la paix m'apparaît comme une porte‑parole des idées pacifistes de Du Souhait. D'autres clés de lecture semblent encore plus dignes d'intérêt. On sait que Louise de Savoie, mère de François 1er, désignait son fils dans son journal comme son "César triomphant"[450], ne pourrait‑on identifier le monarque français avec Caesarius ou Caesarien recherché par Marsion et Glorian? Ce royaume d'Aragon si peu enclin à rentrer dans la querelle entre la Maison d'Autriche et la France ne serait‑il pas, en fait, le duché de Lorraine? Palindre, roi pacifique, pourrait représenter Claude de Lorraine, premier duc de Guise (1495‑1550) qui avait épousé, comme le roi de Cloris, une "fille de France"[451] en la personne d'Antoinette de Bourbon. On sait qu'il servit les intérêts de François 1er contre Charles Quint. En ce cas, François de Lorraine (1519‑1563) serait Filidor. Si, pour nous, les clés de lecture sont parfois difficiles à trouver avec quelque degré de certitude, il est par contre certain que les contemporains de Du Souhait les décryptaient aisément et devaient même y trouver du plaisir.
En conclusion, ce roman des Chastes destinées de Cloris, ouvre à François du Souhait une nouvelle voie romanesque pour plaire à la société mondaine de son temps qui se pique à jouer aux énigmes dans ses salons de bonne compagnie. Il peut continuer à y défendre les idées qui lui sont chères: pacifisme, loyauté, conduite exemplaire des grands, amplifier même la gloire des personnages qu'il honore en les transformant en chevaliers prestigieux[452], et exalter les exploits de la chrétienne Maison de Lorraine dont il est le fidèle serviteur. L'élément merveilleux qui caractérise ce roman fait le lien entre la veine des romans sentimentaux de Du Souhait et ses romans de chevalerie proprement dits.
Répétons‑le, il n'existe pas de différence de nature entre les deux romans de chevalerie du cycle d'Anacrine et Cloris, mais une amplification de toutes les nouveautés d'écriture romanesque inaugurées par Du Souhait dans Cloris et une véritable invasion du style épique et des péripéties chevalereques dans les deux romans du cycle: Le roman d'Anacrine où sont représentez plusieurs combats, histoires véritables et amoureuses et Le roman de Gloriande ou suitte du roman d'Anacrine où sont continuées les histoires du premier volume: avec plusieurs autres nouvelles et forces belles avantures.
Le premier roman du cycle date de 1613[453]. L'avis aux lecteurs[454] nous renseigne sur les intentions de Du Souhait, il nous conforte dans les interprétations que nous avons données quant au changement de style d'écriture romanesque qui s'amorçait dans Les chastes destinées de Cloris. Du Souhait y insiste sur sa volonté de peindre une réalité contemporaine sous le masque des fantaisies des romans de chevalerie. Je le citerai intégralement, tant ses explications me paraissent claires: "Ce sont choses arrivées de nostre temps, où j'ay donné un voile pour en rendre l'explication plus difficile. Je change les noms et les païs et ce que l'Espagne, l'Italie, la France, l'Angleterre et la Flandre ont faict naistre, je le fais confusément paraistre (...). Tel pensera que je parle de luy que je ne scay pas s'il est au monde. Je me contente de dire la vérité"[455]. Mais, si notre auteur se promet de nous transposer dans un monde éloigné du nôtre, il le fera dans un style accessible à tous: "Pour le discours, on y verra des mots communs et non pas recherchez parce qu'il me semble que les escris n'estant qu'une parolle aux absens, on doit escrire comme on parle sans y apporter d'autre esmail que la propriété de la diction"[456]. Ce roman se présente comme un récit dont le déroulement nécessite une scène éclatée aux dimensions du monde entier. Encore le monde réel ne suffit‑il pas pour conter les exploits des vaillants chevaliers d'Anacrine, il faut lui adjoindre grottes et forêts magiques, temples ensorcelés et maints autres lieux féériques, jaillis de l'abondante imagination de l'auteur. Dans cet univers aux dimensions immenses, au carrefour du rêve et de la réalité, évolue une foule de personnages. Dans la multitude des divers héros, je ne retiendrai que les principaux: Anacrine, fille du duc de Moravie, éprise d'Amédée, Richard d'Angleterre, Emmanuel d'Ecosse, six chevaliers Esclavons: Amaris le prudent, Aigolant l'accomply, Lintamar le constant, Mélidor sans repos, Apulin le jovial et surtout Amédée le courtois. Les péripéties de l'action romanesque couvrent un très long laps de temps. Ainsi, le récit commence par un cartel lancé par le duc de Moravie "pour s'esjouyr avec les chevaliers de la naissance de sa fille"[457] et on apprend à la page 228 du roman que vingt ans se sont écoulés depuis le début du roman.
Le roman d'Anacrine comporte non pas une mais plusieurs intrigues, enchevêtrées les unes dans les autres. On trouvera ici analysées quelques unes d'entre elles, celles que nous avons jugées les plus importantes. Le roman est tout d'abord l'histoire d'un tournoi proposé par le duc de Moravie. Cette histoire sous‑tend l'ensemble du récit. Le cartel est lancé pour la naissance de la princesse Anacrine, les combats ne se déroulent finalement qu'au tout dernier chapitre du roman[458] alors que la jeune fille a plus de vingt ans. Le tournoi se déroule sur sept jours et s'achève sur la décision du duc de Moravie de donner sa fille à Floridor de Saxe. Mais le roman est aussi l'histoire des quêtes menées par le monde par divers chevaliers car "la coustume de Moravie estoit que ceux qui désiraient l'accolée du Prince, devaient amener avec eux une dame pour en prendre l'espée, ou du moins avoir le portrait de celle qui devait un jour authoriser leurs armes"[459]. La quête de Richard d'Angleterre recherchant l'amour de Filinde, infante de Numidie, est l'un de ces fils conducteurs à côté de la quête d'Emmanuel d'Ecosse, "chevalier du Léopart", qui défend les couleurs de Luciane, sœur du duc de Moravie. Emmanuel d'Ecosse sera battu par un autre chevalier: Agrimante et se fera ermite[460], mais il finit par retrouver Luciane et l'un devient Sacrificateur, l'autre Prêtresse dans un temple enchanté[461]. Aladin poursuit, lui aussi, sa propre quête. Le "chevalier aux croix" est amoureux de Flavie, "chevalier aux cercueils", princesse de Braban. Aladin est un inconstant, l'issue de sa quête est malheureuse, Flavie devient une sorte de chevalier amazone. Nous pouvons lire également le déroulement de la quête d'Agrimante, cousin d'Aladin, "chevalier de la déesse" et épris d'Isidore, sœur d'Aladin. Econduit, il devient le "chevalier du désespoir". Ces quêtes constituent des fils d'intrigue dans Le roman d'anacrine mais il en est d'autres: le roman est aussi l'histoire de l'enlèvement d'Anacrine ‑ce qui justifie le titre donné à cet ouvrage par notre auteur‑. Cet enlèvement ne nous est révélé que vers la fin du roman[462]. C'est Amédée, le "chevalier aux miroirs" qui délivre Anacrine des mains des fils du géant Grandemart. Un amour naît entre eux, mais c'est à Floridor de Saxe, vainqueur du premier jour du tournoi de Moravie, que le duc destine sa fille car "il n'y avait point d'apparence de refuser un si grand prince qui pouvait un jour estre empereur"[463]. On aurait tort de s'imaginer que ces intrigues, déjà fort complexes, constituent à elles seules la trame du récit. En effet, parallèlement à ces divers itinéraires romanesques, Le roman d'Anacrine est également un roman de rencontres. Chacun des principaux protagonistes énumérés précédemment rencontre dans sa quête personnelle divers autres personnages qui, tous, font le récit de leurs propres aventures. Une multitude de récits annexes se trouve de ce fait introduits au cœur de la narration principale. Ces annexes sont de longueur variable. Elles reprennent souvent des développements issus d'autres romans de Du Souhait, je ne citerai que trois exemples probants. Le premier est l'histoire que s'entend raconter Emmanuel d'Ecosse dans "l'antre des merveilles", c'est l'histoire du comte d'Aite et de six compagnons curieux, reprise du Malheur des curieux[464], même si le nom du señor Aria devient cette fois celui de señor Ergaste. Le second exemple est l'histoire racontée par une dame que rencontre Agrimante[465], elle reprend à très peu de choses près l'histoire de Filiris et Melinde, troisième des Histoires comiques. Le troisième exemple est l'histoire de Polistène et Alistée qu'entend Amédée, il s'agit en réalité du récit de Glorian et Ismène[466].
A ce point de notre analyse, il est absolument nécessaire de se demander comment Du Souhait est parvenu à mener son lecteur au travers de cet écheveau fort embrouillé d'intrigues. Il faut bien reconnaître qu'il le fait avec plus ou moins de bonheur. Bien des fois, Du Souhait doit utiliser l'intervention directe dans le récit, intervention souvent brutale et d'apparence tout à fait gratuite dans la logique interne du récit. Il peut ainsi passer d'un personnage à l'autre, d'une situation à une autre plus aisément. Je ne citerai que cet exemple: "Nous le (Agrimante) laisserons aller pour courir après Emmanuel d'Ecosse que nous avons laissé bien loing"[467]. Pour être suivi, Du Souhait doit baliser de ce type de remarques le cheminement du lecteur sur les routes du monde cosmique du Roman d'Anacrine. A cet exercice parfois périlleux, l'auteur semble quelquefois s'essouffler, il termine d'ailleurs fort hâtivement et brusquement ce très long récit par deux pages dans lesquelles il avoue, non sans humour d'ailleurs: "Voyla pourquoy, je me repose comme eux ( il s'agit là des personnages de son roman ) tant que quelque nouveauté me face remettre la main à la plume, pour vous dire que deviendront les Esclavons"[468]. Une nouvelle fois, donc François du Souhait laisse le lecteur insatisfait par le dénouement du récit et promet une suite.
Avec Le roman d'Anacrine, Du Souhait met au point définitivement la veine chevaleresque de son écriture romanesque. C'en est fini des poèmes et sonnets galants qui émaillaient encore Les chastes destinées de Cloris, duels multiples, exploits extraordinaires, chevauchées interminables et combats titanesques ont désormais envahi l'ensemble du roman. Géants et animaux fabuleux sont là pour rendre les exploits des héros encore plus admirables. On s'en rendra aisément compte grâce à ces deux courts exemples: le premier met en scène Richard d'Angleterre luttant contre quatre animaux féroces: "il donne un tel coup à la Panthère qu'il luy fit sortir les yeux de la teste, à mesme instant que le Tigre se jetta dans le lac pour esteindre son feu qui, comme s'il eust receu une nouvelle matière, mist tout le lac en feu et les serpens en cendre"[469]. Le second exemple est le récit de la délivrance d'Anacrine par Amédée[470]: "Amédée voulant jetter le dé, donne un coup d'espée à Mafron < un géant > dans la visière, qu'il luy tira du sang de la teste, qui l'aveugla en sorte qu'il fut contrainct de se retirer pour faire bander sa playe, et Corbelin donne un tel coup de masse à Amédée que luy faisant choir l'escu du bras ( les couroyes se brisant de la force du coup ) et le coup descendant sur la teste du cheval l'escervela. Amédée saute en terre, ramasse son escu et voyant le cheval de Mafron sans maistre, le peux prendre pour s'en servir...". Comme on le voit déjà dans ces deux exemples, Du Souhait se sert du style du roman de chevalerie et utilise également l'esprit et les rêgles de la chevalerie du Moyen Age. A toutes les pages du roman, les attitudes valeureuses des chevaliers sont exaltées, ainsi voit‑on Emmanuel d'Ecosse défendre par trois cent fois les couleurs de sa dame mais, lorsqu'il est défait par Agrimante, "il fit serment de ne porter jamais ny lance ny espée et sur ceste résolution laisse le portrait de sa maistresse avec ceux qu'il avait conquis à Agrimante, et monte à cheval, le laissant aller où la fortune le conduirait, ce fut au bord de la mer en une belle prairie, où il résolut de vivre en solitude"[471]. On notera toutefois que le style galant n'a pas disparu de l'écriture de Du Souhait, on le retrouve par exemple dans la description des personnages ( ainsi Luciane, amoureuse d'Emmanuel d'Ecosse "en devint passionnée en sorte qu'elle en perdait le repos et le repas"[472])et dans certaines scènes amoureuses comme celle‑ci entre Agrimante et Isidore: "il baisa cent fois les mains de sa maistresse qui mesme luy permit de luy baiser aucunes fois la bouche"[473].
Gloriande, suite d'Anacrine paraît en 1613. Dans les feuillets liminaires du roman[474], Du Souhait précise nettement ses intentions: "Les inventions sont miennes (...) je n'ay pris autre subject que mes caprices"[475]. Notre auteur revendique donc la même modernité d'inspiration que dans Anacrine. De même, il maintient son désir de dissimuler une réalité contemporaine sous le voile romanesque car "il faut parler en Romant, et non pas en historien"[476]. Il donne même à la page 380 une sorte d’interprétation "en clair" d'une vision merveilleuse: "il semblait que ce fust la figure de ce brave régiment des gardes de Henry le grand, Roy de France, qui par sa valeur donnera un jour la paix à ses subjects. Et cette vertueuse royne sa femme Marie de Médicis la fera continuer par sa prudence soubs le regne de Louys treisiesme son fils: Prince qui donnera tant d'espoir en son enfance de sa future recommandation que ses prédictions donneront de l'asseurance à ses vassaux et de la terreur à ses ennemis, si un prince bien né en peut avoir"[477].
A la page deux du Roman de Gloriande, Du Souhait opère un bref retour au passé pour assurer la continuité entre ce roman et Anacrine: "Je vous ay dit que Richard d'Angleterre avait espousé la fille du roy de Numidie, après qu'il eust délivré le roy des mains du Can de Tartarie. Vous avez veu comment il fut au tournoy de Moravie et comme il en partit après que la belle Isidore eust retiré du temple d'Iris Filidor de Saxe et Anacrine sa femme. Il print donc la route d'Angleterre, mais ce ne peut estre sans advanture"[478].
Les "aventures" des héros de Gloriande ont, cette fois encore, besoin d'une scène romanesque dilatée aux dimensions du monde imaginaire de l'auteur. Du Souhait fait voyager ses personnages d'Angleterre en Turquie et affectionne de plus en plus les endroits merveilleux comme la forêt des Ombres ou l'Ile Fortunée. Sur cette scène immense se déroulent deux cheminements principaux et deux cheminements annexes. Les deux cheminements principaux sont ceux de Richard d'Angleterre et d'Isidore. Le prince d'Angleterre se trouve égaré loin de sa femme et des gens de sa suite car son bateau s'est détaché . Il retrouve Merlin dans la forêt des fantômes, Emmanuel d'Ecosse, sa femme puis Flavie, devenue "chevalier du cygne"[479]. Tous sont victimes d'un enchantement de Merlin qui les statufie. Alors Merlin, "avec un cousteau ouvrit le costé de la princesse de Galles et en tira une petite fille"[480]: c'est Gloriande qu'il confie à une nourrice dans un endroit enchanté. Le second cheminement est celui d'Isidore, celle‑ci quitte Constantinople au secours de Flavie mais elle apprend de Merlin qu'elle ne sera pas celle qui délivrera du maléfice la famille d'Angleterre, "cela est destiné à un autre qui fera des merveilles pour l'amour de l'unicque héritière de ce royaume"[481]. Munie d'une lance magique, Isidore rencontre dans la forêt des fantômes les chevaliers de la Table Ronde, la reine Guenievre et Lancelot du Lac, puis arrive en l'Ile Fortunée dans un temple dont les colonnes sont en fait les personnes victimes des maléfices de l'enchanteur Merlin. Outre ces deux cheminements, les itinéraires des Esclavons et celui du fils du duc de Moravie ont retenu notre attention. Des Esclavons parcourent le monde entier, l'auteur parle plus spécialement de Lintamar, de Mélidor et d'Amédée qu s'est, dit‑on "consolé d'Anacrine"[482]. Quant au fils du duc de Moravie, Filistion, il part à Constantinople puis en Espagne et fait en quelque sorte son apprentissage du rôle de chevalier en parcourant le monde. Comme Le roman d'Anacrine, Gloriande est rempli d'aventures annexes, narrées par des personnages rencontrés par les principaux protagonistes dans leurs périples respectifs. Citons, par exemple, l'histoire de Corisande l'infortunée, rencontrée par Flavie. Sortes de récits dans le récit, ces histoires annexes relèvent souvent du genre sentimental et comportent en inclusions des bouts rimés ("Absent de vous, sœur d'alliance / Je désiroy l'art d'oubliance"[483]) ou des sonnets ‑déjà maintes fois lus dans d'autres ouvrages de Du Souhait‑ comme: "Bel astre, amy du ciel et le ciel des amants"[484]. Pas plus que dans Anacrine, l'auteur ne se préoccupe des transitions logiques. Il intervient directement dans son récit pour aider le lecteur à ne pas être dérouté lorsqu'on passe trop brutalement d'un lieu ou d'un personnage à un autre. Par exemple, lorsque deux cavaliers défient Amédée, Du Souhait ne prend pas la peine de terminer le récit du combat entrepris, pour ce qui est de l'issue, "nous le dirons après quand nous aurons remis à cheval nos combatans qui se séparèrent avec intention diverse"[485], écrit‑il.
Dans le Roman de Gloriande, le merveilleux et le chevaleresque envahissent tout le roman. Le merveilleux est constamment présent: lieux, personnages (Merlin), objets enchantés fleurissent au gré de la fertile imagination de l'auteur, ainsi cette lance magique, confiée à Isidore en ces termes: "Portez ceste espée flamboyante qui les < ses ennemis > empeschera de vous approcher, redoutant les flammes desquelles elle leur semblera estre environnée..."[486]. Les exploits chevaleresques foisonnent dans le récit. Sans cesse les héros donnent dans des prouesses fantastiques comme Flavie aux prises avec deux géants[487]: "l'un receut un coup d'estoc au défaut de la cuirace qui luy crevast le cueur", l'autre eut "l'espaule abattuë d'un revers". Les codes de la chevalerie sont partout honorés, tout combattant doit obéir aux lois de l'honneur, ne jamais se montrer lâche et garder toujours en mémoire le vrai rôle de la force: "les armes doivent estre employées pour le secours des affligez et non pas de gayeté de cœur"[488].
La fin du roman n'achève pas la fresque entreprise par Du Souhait. Gloriande doit être délivrée mais elle ne pourra l'être que "par un austrasien septentrionnal qui, des bords du Rhin fera voir ces conquestes en ces isles"[489]. François du Souhait laisse ses lecteurs brutalement sur ce message apporté par un géant chargé d'annoncer la suite qui verra: "le vaillant australien <sic> délivrer la belle Gloriande, réveiller le Roy, la Royne d'Angleterre, le Prince Richard et sa femme, ensemble les deux chevaliers du Cygne desquels vous sçaurez les noms et le subject de leur combat. Voila qui empesche les Chevaliers du Roy de Navarre d'espreuver ceste aventure voyant qu'elle estoit réservée à un autre. Nous les laisserons pour la conlusion de nostre oeuvre, où vous verrez le siège de Metz par Charles cinquiesme, le plus grand Empereur, et un des plus grands capitaines qui ait jamais esté au monde depuis Charles le Grand, Empereur et Roy de France, soustenu par François de Lorraine, duc de Guise, assisté des Princes de Condé, de la Roche sur Yon, d'Angien, de Nemours et d'Elbeuf et de force Noblesse française, desquels vous verrez les actions généreuses au vray, ou je mesleray au romant une infinité de combats et d'histoires amoureuses, comme à ceux‑cy, sous noms empruntez"[490]. Comme on peut le constater dans ces lignes sur lesquelles s'achève le roman, Du Souhait en 1613 ne manquait pas de projets littéraires. Le côté quelque peu "batteleur" du ton de cette véritable harangue publicitaire montre combien notre auteur était attaché à ces vastes projets. L'avenir ne lui permit pas de les mettre à exécution. Cette conclusion du Roman de Gloriande, d'autre part, montre clairement que pour notre auteur toutes les aventures chevaleresques contées dans les romans du cycle d'Anacrine n'ont pas leur fin en elles‑mêmes. Elles se veulent des aventures à clé, tout comme celles des Chastes destinées de Cloris.
La recherche des clés possibles de lecture des romans du cycle d'Anacrine, pour être parfois quelque peu périlleuse, ne laisse pas de présenter un intérêt certain. Sans oser des explications trop précises qui courraient, de ce fait, le risque d'être inexactes, on peut tenter, néanmoins, quelques interprétations des aventures rapportées dans ces deux romans. Du Souhait est d'ailleurs fort clair, il a l'intention, tout comme dans Cloris, de brosser un vaste tableau des diverses péripéties de la lutte entre la France et la Maison d'Autriche dans laquelle la Maison de Lorraine joua un rôle important. Charles Quint ne serait‑il pas, dès lors, l'enchanteur Merlin dont la griffe s'étend sur l'Europe? François 1er, vaincu à Pavie en 1525, retenu prisonnier ne serait‑il pas Flavie, alliée à Isidore et à Aladin de Constantinople, comme François 1er le fut à Soliman le Magnifique, alliée également aux princes de Moravie comme François 1er le fut aux princes protestants? Tous ces preux chevaliers rencontrés au fil du récit pourraient bien représenter les grands de la Maison de Lorraine que Du Souhait continue à servir. On sait que François de Guise ( 1519‑1563 ) s'illustra au siège de Metz qui signa la retraite des impériaux et fut le prélude à la paix de Cateau Cambresis de 1559. Gloriande, l'enfant prisonnière n'est‑elle pas la paix elle‑même, l'intégrité du territoire français, âprement défendue, tant par François 1er que par Henri II, soutenu par la Maison de Lorraine "des bords du Rhin", pays d'où l'on attend le sauveur de Gloriande, ne l'oublions pas.
Ainsi peut‑on dire qu'avec des intrigues différentes et des styles d'écriture voisins, le cycle d'Anacrine se propose le même Du Souhait veut peindre une vaste et brillante fresque où seront exaltés les hauts faits des Lorrains collaborant à l'histoire de la France. Le cycle d'Anacrine n'est pas la suite à proprement parler des Chastes destinées de Cloris, mais une reprise du thème avec amplification des effets stylistiques: accentuation du style chevaleresque et merveilleux, élargissement du théâtre des opérations, du nombre des intervenants, agrandissement de l'auréole héroïque des protagonistes et des exploits cités.
Les romans de chevalerie de Du Souhait présentent tout d'abord un certain nombre de caractéristiques communes d'écriture romanesque. Les intrigues sont complexes: l'auteur s'intéresse successivement et parfois conjointement au sort de plusieurs personnages, passant sans réelle logique d'une péripétie à une autre. D'autre part, Du Souhait introduit une multitude de récits dans le récit principal. Ils ne sont pas toujours de première nécessité dans le roman mais se présentent comme des sortes de greffons nés de rencontres faites par les principaux protagonistes du ou des récit(s) centraux. Les romans se terminent par des conclusions brutales qui ne satisfont pas le lecteur et appellent une suite. Ces ouvrages mettent en scène un fourmillement de personnages, au milieu desquels le héros principal ( en particulier celui qui donne son nom au titre du roman )domine mal. Dans ces romans, le merveilleux et l'imaginaire font partie intégrante des décors, des personnages et des situations. Enfin, dans les romans de chevalerie, Du Souhait utilise des registres stylistiques très diversifiés. Il fait appel au style narratif indirect le plus souvent, mais insère également des dialogues, des poésies, des contes et ajoute ses commentaires personnels.
Dans l’œuvre romanesque globale de Du Souhait, les romans de chevalerie occupent assurément une place à part. Ils constituent certes une veine particulière de l'écriture romanesque de notre auteur mais ils ne sont pas en rupture avec l'autre veine , la veine sentimentale, et ce, grâce au rôle charnière joué par Les chastes destinées de Cloris, grâce également aux inclusions dans les romans de chevalerie de récits tirés des romans sentimentaux.
Les romans de chevalerie de Du Souhait plaisent à une époque friande de lecture et de jeux intellectuels car ils multiplient les aventures, cultivent le suspens et entretiennent le goût des énigmes. L'auteur n'y fait pas œuvre d'historien mais les hauts faits des modèles de ses héros assurent le prestige des protagonistes des romans. D'un coup notre auteur réussit trois fois: dans le roman de chevalerie il écrit un roman d'aventures amoureuses, il romance des faits historiques, il travestit l'histoire en faisant de son roman une énigme à clés. Le romancier rejoint ici le serviteur de la Maison de Lorraine: il flatte ses mécènes en les intégrant dans un roman de chevalerie où il leur donne une flatteuse auréole de bravoure et de noblesse de comportement et, par un effet de ricochet, les héros de ses romans bénéficient du prestige et de la notoriété de leurs modèles.
Au fond, les romans de chevalerie permettent à Du Souhait de concevoir des œuvres où il fait la synthèse de son talent et de son savoir‑faire. Dans les romans de chevalerie, Du Souhait n'abandonne pas la veine sentimentale, il ne laisse pas non plus de côté ses dispositions pour la critique et la satire ni son goût pour l'édification morale et politique de la haute société. Ses idées politiques s'expriment à mots, à personnages et à situations couverts. Son souci d'honorer les personnages qu'il sert trouve dans ce type de roman manière à s'exprimer. Son savoir‑faire poétique est utilisé, son talent de conteur également.
Dans cette fresque romanesque, Du Souhait tente une synthèse, mais il semble s'y être essoufflé. A vouloir trop étreindre, ces romans manquent parfois de verve narrative. Retenons toutefois le gain acquis par cette écriture romanesque: les héros des romans sentimentaux sortent grandis de leur identification aux héros chevaleresques; inversement, le roman de chevalerie s'enrichit de la propension manifestée par les personnages à s'introspecter, comme le faisaient les héros des romans sentimentaux. Les récits de chevalerie gagnent en intérêt grâce aux intentions édifiantes et satiriques de Du Souhait. Enfin, le récit de circonstance, subordonné au schéma romanesque dans les romans de chevalerie, y devient de ce fait nettement plus intéressant pour le lecteur. Le propos édifiant et les idées politiques, intimement mêlés à l'intrigue romanesque sont beaucoup mieux acceptés par un lecteur qui se plait à se laisser porter par les aventures des romans de chevalerie et se pique au jeu du décryptage des énigmes[491].
Ainsi, en tâtant d'un genre romanesque de nouveau en vogue, le roman de chevalerie, Du Souhait sert‑il ses intérêts personnels tout en demeurant fidèle à ses idées et à ses thèmes.
Si, apparemment, on peut distinguer plusieurs genres romanesques dans l’œuvre de François du Souhait, l'étude interne des romans prouve combien ces divers genres se rejoignent, au‑delà de leurs différences. La manière d'écrire est semblable: romans qui demandent une suite, fins trop hâtivement menées, interventions personnelles directes de l'auteur, reprises d'épisodes souvent pillés dans des œuvres antérieures. Les thèmes eux‑mêmes sont voisins, ils sont centrés autour de l'amour et de l'honneur.
Les différences entre les diverses écritures romanesques résident essentiellement dans le dosage opéré par Du Souhait des styles utilisés: davantage de style galant, d'analyses psychologiques dans le premier type de romans, davantage d'aventures et de merveilleux dans les romans de chevalerie. Mais, il y a déjà de l'aventure dans le roman sentimental[492] et il reste beaucoup de galanterie dans le roman d'aventures chevaleresques[493]. Quant au roman comique, s'il semble fort différent des autres formes romanesques, il leur reste proche en fait, centré qu'il est sur le thème de l'amour. J. Serroy montre que les diverses veines romanesques sont parallèles: ainsi, "changeant de registre et passant du galant au comique, le romancier ne change‑t'il pas de style. Simplement, là où la politesse des mœurs et la pureté des sentiments réclamaient des métaphores raffinées et des pointes ingénieuses, la rudesse et la grossièreté amènent désormais d'autres métaphores et d'autres pointes. Le langage reste fleuri, le style imagé, la syntaxe compliquée, mais ce qui fait l'essentiel de la forme, à savoir l'ingéniosité, s'applique ici à une autre matière"[494].
Ici conjugué sur le mode poli, là sur le mode grivois et ailleurs sur le mode héroïque, c'est le même verbe que l'on retrouve utilisé dans les romans de Du Souhait: aimer et conquérir l'être aimé. C'est la même ambition qui conduit les héros des romans sentimentaux et les preux chevaliers: obtenir par une conduite digne l'honneur de mériter leurs dames.
Mais, si au fond un même projet sous‑tend les divers ouvrages, ce sont aussi les mêmes faiblesses qu'on peut y déceler, en particulier une certaine difficulté à maîtriser un schéma romanesque complexe, des personnages et des situations dépourvus d'étoffe pittoresque, des facilités d'écriture, pratiquées pour suppléer aux manques de logique des récits.
Du Souhait semble tenir à quelques idées et à quelques thèmes, il les habille de styles différents, jouant ainsi de divers registres pour attirer plusieurs catégories de public. En conclusion, il existe, au delà des différences constatées, une unité dans la création romanesque de François Du Souhait.
En conclusion de l'étude analytique interne de l’œuvre de François du Souhait, on peut retenir l'abondance de la production littéraire et la grande diversité des genres abordés par notre auteur. On sent également se profiler, au‑delà de cette forme d'expression littéraire protéiforme, d'une part un talent d'écriture, d'autre part une pensée d'homme.
I. L'unité dans la diversité des genres
II. Un auteur toujours présent
III. L'humour de François du Souhait
IV. Le mélange de modernité et de tradition
V. Poésie et réalisme ou l'art du portrait chez François du Souhait
VI. L'image dans l’œuvre de François du Souhait
VII. La construction antithétique de la phrase et l'image complexe
Quelques remarques préliminaires
L'étude de synthèse qui suit ne saurait, hélas, se prétendre exhaustive. On pourra regretter en particulier l'absence d'études de fréquence d'utilisation de certains mots‑clés comme : amour, honneur, beauté ou chasteté; on regrettera aussi que seul le procédé syntaxique de l'antithèse ait été étudié, on trouvera néanmoins ici les caractéristiques essentielles du style de notre "gentilhomme champenois".
François du Souhait a touché à des genres très divers, du poème galant à l'épopée, du théâtre au roman, pourtant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit très rapidement que cette classification ne saurait être que grossière.
Certaines œuvres, en effet, ont une structure très hétérogène : ainsi Les neuf muses sont‑elles classées dans l’œuvre poétique mais pourraient être considérées à juste titre comme une petite pièce de théâtre jouée par les muses et les grandes dames. Lorsqu'il écrit un roman comme Poliphile et Mellonimphe, l'auteur campe situations et personnages à la manière d'un dramaturge : ils s'opposent et se correspondent avec une symétrie parfaite. Mellonimphe, par exemple, se confie à Silvie de la même manière que Poliphile le fait à Sainct Amour. Si l'auteur sait être théâtral dans le roman, il peut également insérer du romanesque dans son théâtre : Radegonde, à cet égard, ferait une excellente héroïne de roman sentimental, elle qui a l'âme toute secouée par les tempêtes de la passion amoureuse. Les romans, eux‑mêmes, ne sont pas tous ni toujours narratifs, ils incluent poèmes et chants, quatrains et stances. De même, un ouvrage en vers comme Les neuf muses inclut‑il un récit narratif, l'histoire de madamoiselle de Charamont qui arrive à Paris[495]. Un roman comme Les chastes destinées de Cloris contient, quant à lui, une véritable piécette : "le balet de la captivité d'Amour"[496]. Quant à l’œuvre de traduction de L'Iliade, nous avons vu qu'elle faisait la part belle aux éléments romanesques ( d'ailleurs, dans sa dédicace, Du Souhait place L'Iliade et son roman comique sur un plan d'égalité[497]). Un dernier exemple ne manque pas d'intérêt, il s'agit du Pacifique, pamphlet qui commence son argumentation par un débat littéraire très poétique "au consistoire des Dieux" entre la guerre et la paix, Jupiter tranchant le duel au profit de Minerve[498].
Ainsi, romancier, François du Souhait reste poète et dramaturge ; traducteur, il n'oublie pas d'être conteur ou même moraliste ‑n'écrit‑il pas au comte de Brienne dans L'Iliade : "vous vous servirez des fautes de l'Antiquité pour n'y broncher et prendrez ce que vous en jugerez utile à vostre contentement"[499]. Le mélange des genres est donc l'une des caractéristiques de l'écriture littéraire de Du Souhait, il contribue à unifier une œuvre d'apparence fort diversifiée.
Une autre tendance d'écriture de Du Souhait aide à l'unification de son œuvre, il s'agit de son procédé d'autopillage permanent.
Les différentes œuvres de Du Souhait semblent s'enfanter les unes les autres. Comme nous l'avons vu, l'auteur paraît adopter pour principe d'exploiter ses succès en les prolongeant par des suites (Palémon suit Poliphile, Gloriande suit Anacrine, etc.). En second lieu, l'auteur n'hésite pas à tirer de ses œuvres la matière de nouveaux ouvrages : un poème comme "Je suis semblable à l'aigle..." apparaît dans cinq recueils différents, L'épithalame, Le plaidoyer, Le bonheur de la France, Les marqueteries, Le discours sur l'attentat. Une même poésie peut se retrouver dans un recueil poétique et dans la bouche d'un personnage de roman (c'est le cas par exemple de : "Allez jaloux ce n'est point vous"[500]). Copies et réutilisation d'un épisode ou d'un plus long récit sont foison -n'a-t'on pas vu l'auteur reprendre intégralement Glorian et Ismène dans Anacrine ?‑. Ce procédé, que j'appellerais volontiers de l'auto-pillage, crée chez le lecteur une impression familière de "déjà rencontré" qui gomme quelque peu l'apparente diversité des œuvres.
Du Souhait utilise ce procédé de deux manières, par inclusions et par bourgeonnement. D'une part, il inclut ses reprises sous forme d'illustrations, d'exemples complémentaires, de récits dans le récit. D'autre part il peut faire naître une œuvre d'une autre : L'épithalame remporte-t'il quelque audience ? il lui adjoint quelques pièces et appelle son "nouvel" ouvrage Le plaidoyer et jugement des trois grâces françaises. Les poèmes du Bonheur de la France ont‑ils plu? il leur en ajoute d'autres et obtient Les marqueteries.
Cette manie qu'à Du Souhait de piller sa propre œuvre pour "créer" d'autres ouvrages peut paraître malhabile. D'aucuns y verront à juste titre un manque de créativité et une exploitation lucrative des succès établis. Cependant, ce procédé me semble, tout d'abord, une réponse astucieuse à une nécessité : Du Souhait appartient à la catégorie des écrivains à la solde des grands qui le font vivre. Quand il a l'heur de plaire, d'être soutenu et donc de pouvoir publier, il lui faut rapidement fournir des œuvres. S'auto‑piller lui permet de répondre à cette nécessité en donnant des œuvres qu'il sait devoir plaire à coup sûr à ses mécènes. L'exemple le plus probant est sans doute celui de La vraye noblesse qui devient Le parfaict gentilhomme lorsque Du Souhait change le destinataire de cette œuvre morale. Ce procédé, d'autre part, présente à mes yeux l'avantage d'unifier globalement l’œuvre de notre prolixe auteur. Il rapproche par exemple deux ouvrages aussi différents que Les histoires comiques et La prudence de l'époux advieilly car ils ont en commun le même épisode de la veuve qui coupe les oreilles et le nez d'un homme[501].
Une autre caractéristique de l'écriture de Du Souhait contribue à unifier son œuvre et à définir son style, il s'agit de la présence directe permanente de l'auteur dans ses œuvres.
Du Souhait se plaît à intervenir directement dans le cours de l'expression. Ces interventions servent diverses intentions. D'une part il use de ce procédé pour construire son récit et juger la fiction qu'il crée, d'autre part, Du Souhait procède ainsi pour affirmer avec force ses convictions personnelles.
Du Souhait intervient tout d'abord dans le schéma romanesque pour passer d'un personnage à un autre ("retournons à Lintamar"[502], "venons voir Agrimante"[503]), ou d'un récit à un autre. Il intervient également pour présenter ou introduire une nouvelle histoire, c'est le cas par exemple dans L'académie des vertueux : "voicy une autre <histoire > qui vous fera cognoistre la beauté de la vertu par la laideur du vice"[504]. Il peut également par ce procédé clôre hâtivement un chapître ("C'est assez pour ce coup, on m'appelle ailleurs"[505]) ou terminer rapidement un ouvrage (rappelons par exemple la fin de Poliphile : "Nous la (la princesse de Pologne ) laisserons retourner à elle afin qu'elle ait loysir d'évaporer sa tristesse et boire de l'eau de joye (...) oublier Poliphile (...) ce que nous dirons au second volume de nostre histoire"[506]).
Certaines interventions de l'auteur servent même à pallier, en quelque sorte, une erreur de conception du schéma romanesque. Ainsi, dans Anacrine de très longues pages sont‑elles consacrées à mettre en place le rapprochement d'Aladin et de Flavie, puis, alors que le mariage se décide enfin, Du Souhait l'annule en deux lignes sans aucune justification logique réelle : "Aladin devint si passionné de sa cousine Flavie qu'il la fit demander en mariage. Cela fut longtemps en terme, mais à la fin ce mariage fut rompu pour des causes à eux particulières[507].
Un autre type extrêmement fréquent d'interventions directes de Du Souhait consiste en jugements portés par l'auteur sur ses héros et sur les aventures qu'il a conçues pour eux. Il lui arrive de conseiller ses héros et il suggère par exemple au prince de Pologne une conduite à tenir à l'égard de Mellonimphe : "Ce n'est pas le moyen de se faire aimer d'elle de ne vouloir du mal à celuy qu'elle veut tant de bien"[508]. Il se permet aussi de commenter une situation pour l'un de ses personnages, il dit par exemple au père de Glorian : "Pauvre père (...) voilà comme la fortune se rit de nos jours"[509]. Le chœur de Radegonde prête sa voix à l'auteur pour commenter l'attitude de Floran :
"Jamais un homme vertueux
Ne peut estre voluptueux
Jamais d'une impudique flamme
Il ne peut maculer son âme"[510].
L'auteur arrête le cours de son propos pour juger lui‑même une situation que sa plume vient de faire naître. Ainsi, de Glorian et Ismène il dit : "ils croyent que les épineux commencements produisent des roses à la fin"[511] ou "ils sont esgalement amoureux l'un de l'autre (...). Ils s'aveuglent en sorte qu'ils ne peuvent prévoir les attentats à leur amour et les embusches qu'on y dresse"[512]. On relèvera, dans d'autres passages, le contentement admiratif de l'auteur devant la tournure que prennent les événements qu'il a inventés : ainsi, dans L'académie des vertueux s'écrie‑t'il, comme soulagé, "Ils sont enfin mariez et vivent heureux pour avoir esté sages"[513]. Dans le même ouvrage on notera également cet exemple de l'enthousiasme de l'auteur devant une famille harmonieuse : "Bienheureuse famille qui ne résolvez rien que par la résolution de vos supérieurs et qui n'entreprenez rien qui ne soit communiqué à vos pères"[514].
A côté de ces jugements, plus ou moins émotionnels, de Du Souhait à l'égard de la fiction qu'il crée, on peut également souligner les nombreuses interventions directes qu'il pratique pour affirmer haut et fort ses convictions personnelles.
Il semble que Du Souhait ne puisse s'empêcher d'intervenir dans ses récits pour y donner en clair son avis personnel. Ses interventions sont très fréquentes mais revêtent des formes diverses.
Du Souhait fait un usage fréquent du "je" dans l’œuvre poétique. C'est lui, cet amoureux dont le cœur souffre des rigueurs de l'aimée : "Je ne regrette pas que tien tu ne m'advoçe / J'ai regret seulement de ne le mériter"[515] ou "Bruslé d'un feu divin, j'aime divinement"[516]. L'utilisation du "je" n'est pas le seul procédé utilisé par Du Souhait pour exprimer ses idées, on retrouve sa présence même dans des œuvres qu'on attendrait impersonnelles, comme la traduction de l'Iliade. Il ne sait pas s'effacer derrière le texte qu’il traduit. Il éprouve le besoin par exemple de placer des résumés en marge du texte, sème l'ouvrage de dictons moraux, échos de ses propres convictions comme : "souvent la haine a plus de pouvoir en nous que l'affliction" ou "on a plus de gloire de pardonner que de se venger"[517]. Du Souhait affectionne tout particulièrement ces adages qui fleurissent abondamment sous sa plume : "souvent pour trop se haster on se repent aussi, pour trop tarder on perd"[518] ou "aux ames patientes rien n'est impossible"[519]. Il ponctue ses récits de commentaires moraux, s'agissant par exemple des infortunes qui adviennent aux curieux, il précise : "Voila comme les recherches surnaturelles donnent des fins inusitées"[520] ou "voyla comme le diable paye ses ministres"[521] et encore "ce n'est pas ainsi qu'on doit devenir docte"[522]. Du Souhait intervient même parfois pour donner une sorte de définition des termes qu'il utilise. Dans un récit romanesque centré sur le thème de l'amour, l'auteur profite en quelque sorte de la circonstance pour donner sa définition des "vrais amants" : "Les vrais amants doivent estre semblables au feu qui tant est soufflé des vents et tant plus s'allume, tant plus ils seront battus des infortunes et tant plus ils s'enflamment"[523]. Il lui arrive même de saisir l'opportunité d'une situation romanesque pour laisser chanter son cœur : "Amour, amour, tu es ceste cigüe qui ravit le sens aux hommes et qui les rend sans cognoissance, tu lies nos cœurs de cent nœuds d'amitié, puis une seule opinion les fait rompre"[524].
Dès lors, on ne s'étonnera pas de la fougue mise par l'auteur à formuler ses jugements personnels lorsque la forme littéraire l'y invite nettement. Ainsi, dans une œuvre de circonstance comme Le discours sur l'attentat à la personne du Roi, l'indifférence n'est pas de mise pour Du Souhait. Il laisse véritablement éclater son indignation et prend véhémentement à partie l'auteur de l'attentat : "Où estoit ta foy française qui te faisait monopoler contre ton roy", demande‑t'il[525]. C'est avec la même fougue qu'il interpelle Pierre de l'Hostal, auteur du Soldat français dans son Pacifique, l'accusant même de chercher à troubler l'ordre et l'harmonie au sein du couple royal en poussant le roi à la guerre : "Quoy donc, veux‑tu séparer des bras de la royne, celuy que Dieu y vient tant heureusement arrester?"[526], et encore "Je t'accuse d'indiscrétion, de nous vouloir précipiter en une guerre plus volontaire qu'équitable, plus passionnée que raisonnable et plus dangereuse que proffitable"[527]. Jamais l'auteur n'hésite à s'engager personnellement. S'agissant de promouvoir la paix, "meilleure chose que l'homme puisse cognoistre"[528], il livre aux lecteurs son credo en la matière : "Je croy que c'est une espèce de témérité de vouloir entreprendre une chose où l'asseurance du danger est plus grande que l'espérance de l'exécution"[529]. S'agissant de conseiller le Roi, il le fait avec lucidité et fermeté : "Espargnez le sang de vos subjects espanché par tant de guerres intestines"[530]. S'agissant enfin d'épingler une situation piquante ou de critiquer un abus de société, il le fait ouvertement, n'hésitant pas, pour ce faire, à ouvrir une sorte de parenthèse dans le fil du récit : "Je diray donc, avec Aristote, qu'ez cours des roys il n'y a point d'amis et que l'amitié des courtisans est plus vaine que véritable"[531] peut‑on lire dans Le pacifique, "Les rois ont tant de mauvais conseils qu'ils sont contraints quelquefois de les exécuter"[532] affirme‑t'il dans Palémon.
On a parfois l'impression que ce souci d'affirmer clairement sa pensée devient pour notre auteur une sorte de nécessité, de devoir sacré auquel il ne peut en aucun cas se soustraire : "J'ay pris la plume pour satisfaire au devoir de ma foy"[533] écrit‑il. Ce qui rend ce souci sympathique est le "nous" qui ponctue les conseils ou les remarques que Du Souhait prodigue. Il parle pour les autres, certes, mais engage également sa personne, que ce soit dans sa poésie où l'on relèvera son admiration loyaliste pour "nostre grand Roy"[534], dans les oeuvres de circonstance où l'on notera son zèle patriotique ( "Nous ne serions pas Français si nous n'espousions vostre défence"[535]) ou dans une œuvre morale comme Le parfaict gentilhomme où il se remet lui‑même en cause en ces termes : "Corrigeons‑nous les premiers (...) la bonne voie des prédicateurs donne plus de poix à leur parole que la persuasion de leur parole"[536].
Comme on peut le constater, Du Souhait est constamment et directement présent dans son oeuvre, et ce, de diverses façons. Peut‑être cette manière d'écrire sert‑elle parfois à pallier quelque insuffisance, à mieux maîtriser un schéma littéraire ‑en particulier dans les romans‑. Cependant, cette présence de l'auteur me semble être essentiellement le fait d'un homme qui refuse délibérément de s'effacer derrière le phénomène littéraire. Ses convictions, sa fougue, en un mot sa personnalité, le conduisent à faire de la fiction littéraire non pas un bel ouvrage en soi, mais une œuvre destinée à exprimer quelque chose qui lui tient à cœur. Pour François du Souhait, l'art d'écrire n'a pas sa finalité en lui‑même. Il se permettra même parfois d'interrompre le déroulement logique du récit si la voix de sa conscience lui impose la nécessité de s'exprimer directement. Du Souhait est partout présent dans son œuvre parce qu'il y a en lui une conviction, un homme, une âme qui veut parler. Du Souhait n'est cependant par un prédicateur. La seconde caractéristique du style de Du Souhait est d'ailleurs l'un des éléments qui contribue le plus à rendre ses "messages" très humains et lui permet de les faire mieux entendre : il s'agit de l'humour qu'il emploie de façon presque permanente. En effet, notre auteur sait sourire, rire et même parfois grimacer.
Jouer avec le mot, la phrase et la pensée constitue une règle essentielle d'écriture pour notre gentilhomme champenois. D'une manière générale il ne manque pas d'esprit. Le sourire ou le rire, divertissant ou grinçant, est chez lui une attitude familière. De ce fait, d'une part le comique a une part non négligeable dans son œuvre, d'autre part l'humour se glisse dans de nombreuses pages, alors même que le contexte d'écriture est sérieux.
Il convient d'étudier en premier lieu la place exacte et le rôle de la veine comique dans son œuvre. Certes, Du Souhait ne nous a laissé qu'une seule œuvre comique proprement dite, Les histoires comiques, mais son sens de l'humour ne saurait se limiter au seul contenu plaisant de ces Entretiens facétieux.
Ce roman comique montre tout d'abord que notre auteur connaît et sait utiliser les recettes habituelles du genre : personnages typiques des farces, situations cocasses, plaisanteries sur la femme, dérision du sexe, saupoudrage régulier de plaisanteries grivoises etc.. Ceci nous prouve que Du Souhait avait l'étoffe d'assurer une production littéraire comique traditionnelle. L'importance du comique ne saurait toutefois se limiter à la seule valeur quantitative de ce roman.
En effet, le seul fait que Du Souhait n'hésite pas à associer cette œuvre plutôt légère à des ouvrages aussi sérieux que L'Iliade prouve un esprit non dépourvu d'humour. La dédicace de L'Iliade[537] au comte de Brionne associe sans aucune restriction cette œuvre d'érudition avec les Histoires comiques : "Autrefois vous ay‑je offert quelque discours facétieux (...) mais à présent que vostre aage et vostre jugement désire quelque chose sérieuse et où vous puissiez apprendre, je vous présente la suitte de l'Iliade d'Homère". Donner dans le genre comique lui semble parfaitement compatible avec la pratique de la littérature sérieuse, d'ailleurs il donne la même année ses Entretiens facétieux et Le roman d'Anacrine.
La veine comique n'est certainement pas pour Du Souhait un simple divertissement d'auteur. Elle est l'occasion, pour le moraliste que cherche à être Du Souhait, de peindre le côté noir de l'âme humaine, le côté blanc trouvant plus naturellement sa place dans le roman édifiant ou dans l’œuvre morale. Il écrit d'ailleurs à ce sujet dans l'avis aux lecteurs de Gloriande[538] : "Ce que j'escris est pour loçer la vertu, afin que ceux de nostre aage la suivent et pour blasmer le vice pour le faire éviter". Le comique a donc tout à fait sa place dans l’œuvre de Du Souhait qui d'ailleurs, même s'il ne signe pas son roman comique , ne le désavouera jamais et assumera pleinement sa paternité. Il écrit en effet dans l'avis aux lecteurs : "mes amis ont jugé que cecy <Les histoires comiques> pourrait passer à l'adveu de mes autres enfans, qui ont tous reçeu vie et baptême. Aussi esperay‑je que cestuy‑ci aura la même faveur"[539].
Comme on peut s'en rendre compte aisément, le comique tient une place supérieure au seul rôle quantitatif du roman proprement comique écrit par notre auteur. Il traduit une véritable tournure d'esprit de Du Souhait, les divers usages qu'il fait de l'humour dans l'ensemble de son œuvre vont venir confirmer cette première déduction.
Non seulement notre auteur sait montrer de la drôlerie explicitement mais il utilise son esprit malicieux à titre d'arme d'auto‑défense lorsque le besoin s'en fait sentir.
En effet, c'est avec une pirouette et un clin d’œil que Du Souhait parvient à se défendre des critiques qu'on lui porte. Craint‑il ses censeurs ? D'eux, il se moque le premier en ces termes : "Je sçay quelque caqueteur dira qu'on voit tousjours quelque bouffonnerie (...) m'habilleray possible à vostre mode imitant de si près vos actions que vous me jugerez tout vostre"[540] et il trouve des qualificatifs facétieux pour les désigner, "des faquins, que les disgrâces d'amour ont rendu sourds, et qui vont escumant les marmites et les bourses des libraires à leurs nécessitez. Qui vendent le travail de leur plume en son enfance, et qui ne luy sont pères que de nom, et non pas de naissance (...) ne vous amusez à ouyr ces buses qui se couvrent du manteau des muses"[541]. Lui reproche‑t'on de manquer de sérieux en publiant ses Histoires comiques ? Il déjoue la critique en écrivant : "Il y en aura qui diront que je suis inconstant en mes escrits, pourquoy ne le seroy‑je point puisque je suis fils de femme et que les femmes voudroient au moins changer de mary aussi souvent que de roles"[542]. Doit‑il faire entendre sa voix dans la polémique du Soldat français qu'alimente la publication de son Pacifique ? Il répond avec humour à Pierre de l'Hostal : "Je sçay bien que l'auteur du Soldat français (...) dira que j'apprends de luy et qu'il ne sçaurait rien apprendre de moy. Je luy responds avec Caton que les fols ne peuvent rien apprendre des sages pour ne pouvoir juger de leurs perfections, mais que les sages apprennent bien d'un fol pour en sçavoir marquer les fautes"[543]. Cherche‑t'il à s'excuser d'avoir fait des omissions dans sa galerie de portraits édifiants des Chastes dames? Il rédige avec malice la dédicace humoristique suivante "aux dames"[544] : "Mesdames j'ay jetté ce coup d'essay en l'air ; mais je crains que comme un plomb il ne tombe que sur ma teste". Veut‑il se défendre des critiques qui lui reprochent la présomption avec laquelle il veut faire des ouvrages édifiants comme Le glorieux contentement des ames ou Le parfaict gentilhomme ? par avance, il réplique avec bonhommie à ses détracteurs : "Vous direz que je suis de ces pères mal sains qui ne font naistre que des enfans sans force, et je diray que vous estes de ces impuissans qui n'en font point naistre du tout"[545]. Cherche‑t'il à promouvoir son œuvre poétique ? Il compose cet amusant quatrain :
"Les ignorans de l'univers
pour leur hommage ne vous prendront que pour chenilles
Mais les doctes et plus habilles
Vous prendront tousjours pour des vers"[546].
Mais, l'humour pour Du Souhait est plus qu'un moyen d'esquiver habilement et plaisamment une polémique qui risquerait d'être trop sérieuse, c'est aussi une tendance profonde de son écriture.
L'humour permet à Du Souhait de mettre le lecteur de son côté lorsqu'il a des critiques à formuler sur des points quelque peu épineux. Il fait une sorte de clin d’œil au lecteur pour critiquer "la longueur des estudes où bien souvent on devient plustot vieil que savant"[547]. Il use de la plaisanterie pour s'interroger sur les capacités des nobles, ses contemporains : "Pourquoi est‑ce que les grands sont plus propres à manier un cheval que toute autre science, sinon que le cheval ne les flatte point et les fera aussi tost tomber que le plus petit du monde"[548]. C'est encore à l'humour qu'il recourt lorsqu'il amorce la défense de telle dame que les mauvaises langues égratignent : "Ne sçavez vous pas qu'il vaut mieux estre nu que de prendre des habits qui nous blessent"[549]. S'il veut glisser quelques doutes insidieux sur les motivations réelles de la trop sage conduite d'une dame, il fera encore appel à l'humour : "J'estais dès la fleur de mon aage addonnée à la chasteté ; Mais mon aage estant augmenté m'y addonne encor' davantage"[550].
Parler avec humour permet donc à Du Souhait de parler très librement à ses contemporains et lui évite d'être sentencieux.
L'humour est enfin une manière ludique d'utiliser les mots, c'est un véritable jeu littéraire d'écriture. Du Souhait, en effet, sait jouer avec le vocabulaire et avec la rhétorique. Il s'amuse par exemple à composer des anagrammes : "Par accords en fin ung Dieu lioit leurs ames", anagramme de François Clapisson et Marguerite d'Ulin[551]. Il paraît prendre plaisir à lutiner les homonymes : "Des roses, du jasmin et de l'oeillet aussi / En procède une fleur de pareille nature / Mais de la marguerite en provient le soucy"[552]. Il s'entend fort bien à bâtir des contrepèteries : "faisons‑nous imiter et rendons nous respectueux aux lettres pour rendre les lettres respectées"[553].
Outre ce florilège de jeux de mots, notre auteur a fourni à une société mondaine attirée par les plaisirs des jeux de société, des galeries de portraits, des romans à clés tout à fait propices à divertir cette catégorie de public mondain. Il précise par exemple à la fin d'un "portrait" de "chaste dame" : "Le nom n'est pas en ce pourtraict. Ses mérites vous l'apprendront mieux que ma plume"[554]. Il compose par ailleurs des petites joutes oratoires plaisantes entre grandes dames et "grâces" de la mythologie, s'ingénie à multiplier dans ses récits les situations de surprise engendrées par l'utilisation de déguisements : c'est Filiris habillé en fille, telle soubrette en vêtements masculins, un juge en costume d'"écolier", un sergent en habits féminins[555]. C'est aussi Flavie et Isidore travesties en armures de chevaliers[556]. Les situations nées de l'utilisation fréquente des déguisements sont toujours plaisantes, souvent franchement comiques : "C'estoit un beau change de voir Aladin entretenir sa soeur ( Isidore ) pour Agrimante et Agrimante la sienne ( Flavie ) pour Aladin"[557].
Ainsi, Du Souhait sait‑il jouer avec la rhétorique comme avec les situations et les personnages. Ce fonds d'humour, finalement inattendu chez un écrivain si empressé d'intervenir dans son récit pour moraliser, permet, il me semble, à son discours d'être mieux entendu, à ses critiques d'être mieux acceptées, à ses élans d'être mieux suivis. Ce ton de léger mais constant badinage lui permet également de plaire à un public plus spontanément porté à se divertir qu'à corriger ses mœurs.
Outre l'humour, la "modernité" voulue et affirmée à maintes reprises par Du souhait me semble un des traits caractéristiques de son écriture. Cette modernité ne signifie toutefois nullement que Du Souhait soit un ignorant des choses du passé.
Sans même parler de L'Iliade où la culture de Du souhait ne fait aucun doute, nous noterons que l'écriture de notre auteur fourmille de réminiscences de sa culture, voire de son érudition : Ajax et Hector[558] lui sont aussi familiers qu'Ulysse et Pénélope[559]. Moïse et Daniel[560] côtoient Romulus et Rémus, Alexandre et Scipion l'Africain[561]. Il cite l'exemple de Pygmalion[562] et de la Vierge Marie[563], fait dialoguer ensemble Mars et Jupiter[564], Clion et Terpsichore[565]. Il utilise l'exemple de César[566] aussi bien que celui de Salomon[567] ou de Samson[568]. Ces exemples prouvent la culture de notre auteur d'une part et en même temps les limites de cette culture. Il a surtout retenu de ses lectures classiques les grands noms, ceux qui font partie du patrimoine culturel le plus traditionnel. Du Souhait montre également dans ses ouvrages qu'il pratique et apprécie les lectures de ses contemporains. Il a très certainement lu en effet les Amadis, connaît les récits médiévaux de la tradition française ( comme la Châtelaine de Vergy ). Il a fréquenté très certainement les romans de chevalerie du Moyen Age français et donne par exemple une place de choix dans son œuvre romanesque à Richard d'Angleterre, la reine Guenievre, les chevaliers de la Table Ronde, et Merlin l'Enchanteur[569]. Dans une même caverne peuvent ainsi voisiner l'épée de Roland, les armes de Lancelot, la lance d'Abigail, l'écu d'Achille. On sait également que notre auteur lisait les ouvrages des écrivains français de son époque, qu'il connaissait très certainement L'Heptaméron de Marguerite de Navarre pour ne citer que lui.
De ce rapide tour d'horizon on peut conclure que Du Souhait possède un réel bagage culturel qu'il utilise chaque fois que cet héritage sert de support à ses idées, lui fournit une caution de son sérieux ou élargit la palette de son expression[570]. Jamais l'érudition de notre auteur n'est une fin en elle‑même, jamais il ne sacralise l'héritage du passé. Il se plaît d'ailleurs à dire : "Pour les subjects antiques que je traitte à la moderne et où je mesle quelque invention de l'antiquité, c'est selon mon humeur"[571]. "L'humeur" de Du souhait le pousse à s'affirmer "moderne" pour plusieurs raisons. Il se veut "moderne" d'une part, par un souci permanent d'être intégré à son siècle, d'autre part, par une fierté non feinte à préférer la création originale au pillage des richesses littéraires des Anciens.
Du Souhait donne à l'actualité de son époque une place de choix dans son écriture. Certes, la vie de ses contemporains lui fournit directement la matière des œuvres de circonstance, le prétexte des pamphlets, le sujet de poésies[572], les modèles de nombreux portraits, mais elle lui permet également de situer ses œuvres dans un temps réel. Ainsi, Poliphile et Mellonimphe se déroule "durant que notre France sacrifioit à Mars, la Suède offroit ses victimes à Vénus"[573]. Alors même qu'il nous transporte dans un monde de fiction, l'auteur garde au cœur de son inspiration l'histoire de son temps. C'est bien l'auteur pamphlétaire qui fait parler en ces termes telle "ombre" rencontrée par Clion dans Le plaidoyer : "Quand je vis de sang la machine mouillée / Qu'au sang du fils le père avait sa main souillée / Et que déjà la France en ruine penchait"[574]. C'est le même auteur pamphlétaire qui fait le rapprochement entre un épisode de l'histoire de la France et tel combat d'un roman de chevalerie : "il semblait que ce fust la figure de ce brave régiment des gardes de Henry le Grand, Roy de France, qui par sa valeur donnera un jour la paix à ses subjects"[575]. Qui d'autre qu'Henri IV se cache derrière ces vers de Radegonde : "Ce grand Roy dont la dextre imperière / réfrène des Français l'arrogance guerrière"[576] ? C'est encore l'histoire de France qui constitue, comme nous l'avons vu, la trame de la fresque des romans de chevalerie. Rappelons simplement le sous‑titre de Cloris : "roman des histoires de ce temps" et la déclaration d'intentions de l'auteur : "Maintenant que la paix vient oster les armes de nos mains pour nous donner loisir d'offrir nos cœurs à l'amour, je veux escrire une histoire autant véritable que recogneue de nostre siècle"[577] , déclaration voisine de celle de l'avant‑propos d'Anacrine[578]. De même, Le plaidoyer, œuvre où pourtant le rêve est roi, se veut une "histoire notable".
Comme on le voit Du Souhait fait largement appel à l'actualité de son temps dans ses œuvres, c'est sa première manière de se montrer "moderne", mais notre auteur affirme sa modernité différemment.
Du Souhait, en effet affiche nettement préférer les sources d'inspiration qu'il trouve dans son époque, à l'héritage du passé. C'en est fini de l'admiration sacrée pour les auteurs anciens. Pour Du Souhait, l'imitation des Anciens est à proscrire et non à recommander. Il écrit à ce sujet : "Je me plaints de nos escrivains qui laissent fanir les fleurs de leur temps pour faire fleurir les fueilles des siècles passez. C'est haïr ce qu'ils sçavent et aymer ce qu'ils n'ont pu sçavoir"[579] et encore : "Je ne veux emprunter ni mendier mon histoire ni des Grecs ni des Latins ni des François mesmes, je n'iray aux cerises qu'à mon jardin et ne prendray mes fleurs que chez moi"[580], que l'on peut rapprocher de cette autre exclamation de l'auteur : "Qu'est‑il donc besoin de mendier chez les Anciens les tesmoignages des effects de l'amour puisque notre siècle les fait renaistre"[581]. Dans cet esprit, on ne saurait plus être choqué des libertés prises par l'auteur dans sa traduction romancée de L'Iliade ou dans son adaption de La châtelaine de Vergy. A la société qui l'emploie, Du Souhait ne veut pas donner d’œuvre vraiment érudite, serait‑elle d'ailleurs prête à en lire? Il préfère intéresser son public en donnant la première place à l'histoire de son temps, en utilisant les souvenirs du passé ( et il s'en tient à l'héritage culturel le plus traditionnel ) très librement, comme une sorte de répertoire pour illustrer ses propos et leur donner le cas échéant plus de crédibilité.
En conclusion, Du Souhait nous apparaît comme un homme cultivé et un écrivain soucieux de s'intégrer à la société lettrée de ses contemporains. Il allie la modernité à la tradition sans faire table rase de l'héritage culturel du passé, il se fait le défenseur de la grandeur de toute création originale.
Pour étudier avec plus de précision cet autre trait qui me semble caractériser l'écriture de Du Souhait, à savoir le mélange très intime et permanent de la poésie et du réalisme, je me suis penchée sur l'étude de l'art du portrait dans l'ensemble de l’œuvre de notre auteur.
Une première remarque s'impose : réalisme et pittoresque semblent la plupart du temps être évacués des descriptions. On ne connaît quasiment aucun détail pittoresque qui puisse véritablement caractériser les princes suédois, polonais ou danois de Poliphile et Mellonimphe ou de Palémon, pas plus que l'Angleterre, l'Italie, la France ou la Pologne[582], Mayence, Paris[583], ou l'île fortunée[584] traversée par les chevaliers de Gloriande. Le pittoresque est absent dans les maigres descriptions du cadre dans lequel évoluent les personnages, il l'est également dans la manière dont Du Souhait présente ses héros. L'aspect physique des personnages reste très flou, ainsi Cloris et ses sœurs sont‑elles "des miracle<s> de leur sexe"[585], l'héroïne elle‑même est "telle qu'on ne sçavait presque si elle estoit à la cour ou si la cour estoit à elle". Pour faire un portrait de ces personnages ou du moins pour essayer de se les représenter, c'est donner bien peu d'éléments! Même les fêtes qui sont relativement nombreuses ( bals, mariages, tournois ) ne sont, dans la plupart des cas, qu'évoquées et non décrites : "le Roy fit faire maints festins, dances, courses de bagues où Poliphile fit des merveilles"[586]. De toute évidence, Du Souhait ne cherche pas à introduire d'éléments pittoresques dans son style. Doit‑on affirmer pour autant que le style de Du Souhait ne sait pas être descriptif?
Malgré la quasi absence de pittoresque, le style de Du Souhait nous a semblé pourtant être capable d'évoquer et de suggérer. Si l'on considère la manière dont il "peint" la ville de Liège, on remarque qu'il note : "la principauté de Liège, assez recommandée pour l'excellence de la bière"[587]. Du marché d'Abbeville en Picardie, il précise qu'il s'agit d'un lieu "d'où viennent les bons yvrongnes et les mauvais musiciens"[588]. De la tiédeur de l'air printanier il nous donne ce touchant tableau : "en ce beau mois d'Avril les chaudes colombelles / qui bec à bec se font des caresses nouvelles"[589]. En d'autres termes, si l'auteur n'est pas réaliste, il sait être évocateur. Il convient donc de se demander comment Du Souhait sait décrire sans réalisme.
La puissance suggestive d'évocation n'est pas tant due au choix des détails pittoresques qu'à la judicieuse association des mots et de leurs connotations émotionnelles. Cette association permet de se représenter intellectuellement et affectivement des personnages, des lieux, des scènes que l'absence de détails physiques empêchait de se figurer picturalement. Ainsi, d'un gentilhomme français, l'auteur notera‑t'il : "sa qualité et son mérite lui procuraient des amis qu'il visitait par compliment, s'y comportant avec tant de respect qu'il semble avoir changé sa courtoisie française en une gravité allemande"[590]. Si la beauté physique de la jeune Cloris n'est que pâlement décrite, sa personnalité, toute symbolique de la jeune fille vertueuse, apparaît très nettement dans cette remarque : elle "servoit de miroir à toutes les dames qui faisaient profession d'être vertueuses"[591]. Du Souhait sait donc faire des portraits suggestifs qui font ressortir, non pas le réalisme d'un tableau, mais la capacité à évoquer ce qui lui semble être l'essentiel d'un être ou d'une situation. Veut‑il peindre la générosité d'une de ses chastes dames, qu'il sait trouver le détail suggestif : "ses mains plus fréquentes à donner aux pauvres qu'exiger des riches, à payer à ses créanciers qu'à prendre de ses débiteurs"[592]. Cherche‑t'il à louer la chasteté d'une autre dame, qu'il donne ce tableau : "Les irondelles prennent plaisir à cimenter leur logette avant que faire esclorre leurs petits et ont souvent des soliveaux, quelques fois des chevrons pour fondement de leur édifice. Madame de Migène a fortifié ses vertus avant que nous en montrer les effects, sa chasteté est la poultre qui soustient ses actions et son bel esprit, le ciment qui embellit ses entreprises"[593]. Ce dernier exemple prouve bien que Du Souhait est fort capable de descriptions physiques originales, donc, s'il s'en abstient d'une manière générale lorsqu'il veut présenter un personnage, un lieu ou une situation c'est, il me semble, parce qu'il préfère, par le jeu des associations de mots et d'idées, nous faire ressentir intuitivement l'objet qu'il cherche à évoquer. Même ses descriptions réalistes demandent à être approfondies. Ainsi en va‑t‑il de ce portrait particulièrement parlant d'un laboureur, longuement décrit dans Les neuf Muses... et dont je ne citerai qu'un court extrait :
"Il boit tantost du vin, le plus souvent de l'eau
Et met sur son trenchoir a chacun son morceau
Il n'a si tost mangé pour dessert une pomme
Qu'on le voit sur un banc tout abattu du somme (...)"[594]
On pourrait en effet taxer le style de l'auteur dans ce passage de réaliste, si ce portrait n'était mis dans la bouche de la déesse Euterpe d'une part et s'il ne figurait dans l'ouvrage qu'en contrepoint symbolique d'un débat savant et presque philosophique entre Terpsichore et madame de Marmoutier[595]. Autrement dit, l'auteur ne se fixe pas pour intention de peindre un tableau champêtre réaliste, mais se propose avant tout d'évoquer une existence paisible, en harmonie avec les rythmes naturels. Dans un même esprit, quoique dans un genre bien différent, on reconsidérera l'apparent réalisme qui préside à cette description de la tenue d'Isidore : elle "se faict apporter des habits de femme, avec le hausse col et les demy brassars de parades tout couverts de pierreries, ses cheveux frisez, enrichis de brillants, et d'autre parade à l'usage de leur sexe. Des boutons de diaments sur les manches de sa robbe (...) Deux grandes escarboucles au devant et au derrière de sa robe. Un miroir d'or, esmaillé de gris violent, une monstre d'or, couverte de diamants. Bref, parée de tout ce qui donne lustre à la beauté des dames"[596]. Ces derniers mots nous donnent la clé pour comprendre le choix d'écriture de Du Souhait. Au fond, peu lui importe le sens précis des détails qu'il a choisi de nous donner. Du Souhait s'offre le luxe d'une abondance de détails, non pour peindre fidèlement la parure d'Isidore, mais pour souligner la féminité et la richesse de sa toilette par opposition à la rudesse virile de l'armure de chevalier qu'elle portait jusque là. De même faut‑il comprendre au delà du réalisme des détails, ce charmant portrait d'une vieille courtisane brossé par Du Souhait dans ses Histoires comiques : "Elle lavait ses dents d'eau de naffe pour corriger leur puanteur, elle empruntait des cheveux blonds d'une perruquière (...) elle polissait son frond avec un linge chault, trempé dans une lessive faicte de cendres d'orties et de guimauves. Elle nettoyait sa face avec de l'urine de petites filles et de l'eau de fleurs de fèves et de rosmarin. Elle agençait le blanc sur son sein et souvent cachait sa maigreur sous une gorge de cire"[597]. Cette fois encore l'auteur ne donne pas gratuitement dans le pittoresque du détail. Il accentue la précision du portrait pour provoquer l'effet comique nécessaire au ton général de l'ouvrage. L'abondance de détails est là pour mieux ridiculiser le personnage et faire rire le lecteur à ses dépens.
On peut conclure de cette étude que l'absence quasi générale de réalisme dans l'écriture de Du Souhait ne vient pas d'une sorte d'inaptitude de l'auteur à décrire avec précision un objet ou un personnage. Le but de l'auteur n'est pas de peindre une réalité mais d'évoquer une vérité. Il ne cherche nullement à brosser un tableau physiquement ressemblant, mais à suggérer intuitivement une vérité profonde. N'est‑ce pas là, au fond, le but de tout artiste authentique ? En ce sens, rêve et réalité se confondent et on ne s'étonnera pas de trouver le qualificatif de "véritable" pour une histoire qui laisse tant de place au merveilleux comme le fait Les chastes destinées de Cloris. Pour notre auteur, déesses et chevaliers de légendes, grottes enchantées et îles imaginaires ont autant de consistance littéraire que les personnages traditionnels des romans, tel grand homme de son époque ou le Roi et que les lieux et les décors fournis par la réalité que nous connaissons. Réalisme et poésie se mêlent pour évoquer une même vérité, celle de l'auteur, sa vision d'artiste et d'homme qu'il porte sur le monde et les êtres.
On ne s'étonnera donc pas non plus si l'écriture de Du Souhait privilégie un autre procédé stylistique où le pouvoir d'expression est l'effet recherché en priorité : l'image.
La fréquence des images dans l'ensemble des œuvres de Du Souhait permet de dire que cette figure de rhétorique est une constante stylistique de notre auteur.
L'image nous est apparue comme une véritable habitude stylistique de Du Souhait. On la rencontre constamment dans la prose romanesque où les regards, par exemple, sont "ambassadeurs"[598] des désirs des personnages, dans les œuvres de circonstance où l'on prie le Roi d'édifier la paix comme on bâtirait "une arche"[599], dans les œuvres morales où la vertu est un "rocher qui ne submerge en la tourmente et le vice un plomb qui ne se peut garentir de naufrage"[600], où la Trinité est suggérée dans ce tableau : "aux cieux, on remarque trois propriétés en un seul soleil, la rondeur, la lumière et les rayons, en l'Eglise on croit trois personnes en un seul Dieu (...) le Père comprend le Fils et le Sainct Esprit, comme la rondeur contient la lumière et les rayons"[601], où le Prince devient un "paon" qui "abrite de ses aisles les petits de sa compagnie, il les appelle à la victaille et les dèffend des ongles du milan"[602]. De la même manière, l'image jalonne l’œuvre dramatique : on y voit Radegonde parler du "fleuve"[603] de ses larmes et Constance expliquer comment pour elle "le jour est un ciel et la nuict un jour"[604]. Comme on peut s'y attendre, l’œuvre poétique en est émaillée, le sein de l'aimée devient un "nid d'amour"[605], le vice "une boçe où volupté se veautre"[606] et le monde "un esgout de sensualité"[607].
Omniprésente, l'image me semble obéir à des lois précises de composition. Le hasard ne préside pas au choix des termes des comparaisons. L'essentiel du vocabulaire utilisé par notre auteur pour constituer son recueil d'images appartient à la nature : la campagne, ses bois, ses champs, ses fleurs, ses rivières, les astres et les saisons, et à certaines activités comme la chasse et la guerre.
Sans avoir la prétention d'analyser de manière exhaustive ce vocabulaire, on étudiera plus précisément les éléments qui, par la fréquence de leur utilisation, caractérisent assez bien l'image de Du Souhait.
‑le vocabulaire de la chaleur et de la lumière
‑le vocabulaire du froid et de la nuit
‑le vocabulaire de la chasse et de la guerre
‑le vocabulaire de l'eau
‑le vocabulaire du lien, concret et abstrait
‑le vocabulaire des saisons et du cycle de la nature.
L'amour est constamment désigné par des termes évoquant la chaleur : "chaste feu"[608] de Radegonde, il est "la flamme" qui embrase le cœur de tous les amants : "leurs discours furent les allumettes de leur amour (...), leur honneste contention les boutefeux de leur passion"[609]. "Bruslé d'un feu divin, j'aime divinement"[610] dit l'amoureux qui avoue n'avoir "jamais senti les doux feux de tes flammes"[611] et déclare "il faudra que comme un papillon je me brusle à son flambeau"[612]. Les yeux sont les "feux divins"[613] ou autres "divins flambeaux"[614] responsables de ces incendies émotionnels ( "yeux, qui bruslez des rois les puissans diadèmes"[615]). Ce thème peut également être utilisé dans des images grivoises comme c'est le cas dans les Histoires comiques, en vers ( "un borgne cherchait un brandon / Pour faire enflamer une dame"[616]) comme en prose ("Ils ne purent pas si longtemps joçer des soufflets que la mesche ne print feu"[617] ou encore il "esteignit la chandelle pour bailler la sienne à sa cousine"[618]).
Au thème de la chaleur, et à titre de complément, s'ajoute celui de la lumière. Les yeux sont les éléments sur lesquels se focalise cette comparaison. Ils sont des "nouveaux soleils"[619], précieux guides de l'amoureux qui déclare : "Beaux yeux (...) lumière de ma vie / Qui ne voulez pourtant esclairer que ma mort"[620], ou encore, comme Ilis à Lucinie : "Bergère, dont les yeux, lumière de mes yeux / aveuglent le soleil, la lumière des cieux"[621]. D'autres fois, c'est la femme qui est tout entière identifiée à un corps céleste lumineux : "Vous brillez sur la terre ainsi que le soleil"[622], lit‑on, ou encore : "Estoille de ma vie, astre de mon amour / Qui fais briller par terre une clarté si saincte"[623]. La vertu peut, elle aussi, être une "lumière qui esclaire vos entendemens"[624]. Comme Jésus Christ lui‑même, "Les cieux ont leur soleil et leur lune, l'Eglise a Jésus Christ pour soleil et pour lune"[625].
A l'opposé du thème précédent, l'auteur utilise pour peindre le non‑amour ou la mort, tout naturellement le thème du froid et son complément celui de l'obscurité et de la nuit. S'il cherche à se préserver de l'amour, le jeune homme fait montre d'une "froide patience"[626], s'il parvient à lui résister, il est qualifié de "froidureux"[627]. S'il doute de la réciprocité de ses sentiments, il a "la glace en la bouche"[628], s'il éprouve du chagrin, on parlera des "ténèbres de ses afflictions"[629]. La mort s'identifie à la nuit. On lit par exemple ces quelques vers destinés à consoler une mère qui a perdu son enfant : "Qui pourrait soulager les ennuis de la mère / qui de son plus beau jour en voit naistre la nuict"[630].
Le thème de l'eau apparaît très fréquemment sous la plume de Du Souhait. L'eau sert à évoquer les chagrins éprouvés par les amants. Son débit varie, en quelque sorte, proportionnellement à l'intensité de la peine éprouvée. L'eau est simple humidité lorsque l'amoureux doute des sentiments du partenaire : "Voslez donc mes souspirs dans le sein de ma belle / Humectant de vos airs la blancheur de son sein"[631]. Si la peine de l'amant croît, l'intensité de l'humidité augmente conjointement : "mon lit (...) est la nuit humecté / Du fleuve de mes larmes" dit Radegonde[632]. Ce fleuve peut devenir un véritable "torrent"[633] dans certains cas douloureux dont il est difficile de consoler un amant éconduit. Lorsque la suivante Sylvie tente par exemple de consoler Mellonimphe, Du Souhait a cette expression : "elle essora les premières plaintes de ses amours"[634]. L'héroïne sera, à la fin du roman occupée à "évaporer sa tristesse"[635].
Mais, "les orages"[636] qui menacent les amants "soufflez des vents"[637];ou "battus des infortunes"[638] les anéantissent parfois totalement : "tous mes contentemens sont noyez de mes larmes"[639] pleure celui qui a perdu l'être aimé.
Dans ce contexte, l'aventure amoureuse est souvent comparée à un périlleux voyage en mer que peint à merveille ce poème :
"Je flotte encore sur l'amoureuse mer
(...) Belle voicy Leantre amoureux
Qui va flottant sur les flots amoureux
Esclairez luy qu'il ne face naufrage
Il entrevoit les flambeaux de la tour
Mais il ne peut passer l'onde d'amour
Si tu ne veux l'esclairer d'avantage"[640].
Le thème de l'eau, du voyage dangereux sur une mer hostile sert également à l'auteur pour évoquer une existence humaine qui s'efforce au bien. A celui qui s'applique au bien, Du Souhait prodigue ces conseils : "Vous devez avant que vous amarer en la tourmente de la vertu prendre mes enseignemens pour ancre et mes advertissemens pour voile, à fin que vostre nef puisse treuver un port, ou du moins quelque asseurance parmy l'orage des vents et les ondes de ce monde"[641]. Au roi qui s'efforce de faire rêgner la paix dans le royaume de France, il dit : "Vous pouvez calmer cet orage qui nous menace d'une telle subversion et bâtir une arche qui nous garantira de ce déluge"[642]. Il reprend ce même thème dans Le Pacifique : "Considérons les escueils, les dangereuses noçes d'eaux que nous avons passé par tout le cours de ceste guerre, à fin qu'impudemment nous ne retournions en ceste tempeste : car les seconds naufrages sont plus malheureux et s'esvitent moins que les premiers"[643].
La beauté de la femme, ses yeux en particulier, sont autant de flèches qui atteignent celui qui l'aime : "Ce ne sont pas des yeux mais des flesches des cieux qui tousjours s'aiguisans, sont prestes de m'occire"[644]. Le personnage mythologique de l'amour est maintes fois évoqué. Muni de son arc, il se montre très habile à décocher ses flèches dans le coeur des amants. Du Souhait parle de ses "flèches d'or"[645] qui, "de traicts divers" peuvent darder "double flamme"[646]. Aimer, cest chercher à "captiver les coeurs"[647], poursuivre l'être aimé comme on traquerait un animal, "comme un berger capture une biche sauvage"[648]. Celui qu'atteint l'amour est comparé à une bête piégée, comme Glorian, "tombé à l'amour comme au piège que je pensais éviter le plus"[649]. La "chanson de la chasse"[650] développe tout particulièrement ce thème :
"Esprits quittez l'amour
Venez suyvre la chasse
Car au lieu qu'on vous chasse
Vous pourchassez tousjours"
Cette partie réserve bien des pièges et des épreuves, surtout si l'être aimé est convoité par d'autres "chasseurs". Ainsi en va‑t'il de Polimante, amoureux de Filine l'inconstante ; il éprouve une réelle angoisse lorsqu'il constate l'existence des preuves de l'inconduite de celle qu'il aime : "Ceste nouvelle preuve le fit entrer en opinion qu'il allait sur les terres d'autruy et que, mauvais chasseur, il courait celle qui se laissait prendre par un autre "[651].
La guerre sert de thème complémentaire à celui de la chasse. Tout cœur doit être conquis. "Faire une conqueste", "combattre" sont des expressions qui reviennent sans cesse [652] sous la plume de Du Souhait. Lorsque Rivolan, éconduit par Cloris s'efforce malgré tout de se faire aimer, il "veut par d'autres preuves la combattre comme si celle qui parlemente était preste de se rendre"[653]. Entre ceux qui s'aiment tout se passe comme s'il s'agissait d'une joute comme l'illustre cet échange en forme de passe d'armes entre Glorian et Ismène[654] : <Ismène> "Vous me voulez vaincre et de courtoisie et de mérite, si est‑ce que le trophée ne sera point trop glorieux, que de triompher d'une ame qui ne peut résister à vos forces et qui se fut rendue avant que de combattre", <Glorian> "Ce ne sont pas les vaincus qui triomphent des vainqueurs. La gloire retourne tousjours aux glorieux, c'est pour exalter le vostre que vous faictes cas de la mienne. Il est vray c'est comme ces grands chefs qui louent leurs ennemis vaincus, pour ainsi se louer eux‑mesmes(...)". L'acte amoureux lui‑même est comparé à une "escarmouche" : "Hymen sonne l'alarme, appelle à l'escarmouche / Ces deux nouveaux guerriers jusques au poinct du jour / Qu'ils commencent l'assaut par les armes de bouche / Et l'achèvent après par les armes d'amour (...)/ C'est là que le vaincu a le plus d'avantage / C'est là que le vaincueur assouvit ses désirs (...)"[655].
Pour en terminer avec le thème de la guerre utilisé dans la constitution des images par Du Souhait, on notera avec intérêt que, s'agissant de décrire la guerre elle‑même, Du Souhait utilise comme comparaison l'histoire amoureuse d'un homme et d'une femme ! "Voilà pourquoy ‑écrit'il dans Le pacifique[656]‑ le Roy ayant espousé la Paix, femme légitime de son repos, ne la doit répudier pour recevoir la guerre qui, concubine indigne de la société d'un si grand Prince, le priveroit des bénédicitions d'un mariage si tranquille".
Le lien est utilisé dans la construction des images par Du Souhait à la fois avec le sens propre de lien qui retient ensemble deux objets et avec le sens figuré de relation d'interdépendance entre deux personnes.
Ce sont les cheveux qui sont le plus souvent désignés en termes de liens. On rapprochera : "Beaux cheveux qui servez de chaisnons aux amours / Qui pouvez dans vos retz captiver l'amour mesmes (...)/ Cheveux (...) vous retenez les amans dans vos chaisnes"[657], de "ces annelets cheveux dont la tresse se noçe / En autant de chaisnons qui enchaisnent de coeurs / Non cheveux, mais prisons où un Prince se joue / En sa captivité de ces douces rigueurs"[658] et de cette mise en garde contre les femmes à propos des "chaisnes de leurs crespeleures que vous nommez les deux chaisnons de vos ames"[659].Parfois, c'est l'ensemble des attributs féminins que les "lacs" représentent : "Va perfide, tendre tes lacs ailleurs"[660]; Du Souhait parle aussi des "filets de prévoyance"[661], des "noeuds"[662] de l'amitié, des "chaisnes"[663] du destin et, bien sûr, des chaînes du mariage comme on peut le lire dans ce passage de Glorian et Ismène[664] : "Nos parents ont préparez les chaisnes de nostre alliance, et nous ont donnez des liens (...), ils n'y veulent mettre autre serrure que la remise (...)".
Une autre série d'images utilise le vocabulaire des liens abstraits qui unissent deux groupes humains interdépendants. Ainsi, l'amoureux supplie la femme qu'il aime en ces termes : (je voudrais) "m'offrir à vostre service" ou "estre retenu pour vostre chevalier"[665], ou "vostre serviteur" ou même "vostre esclave"[666]. Lorsqu'il sent l'emprise de l'amour sur lui, le héros amoureux s'interroge ainsi : "Combien souvent avoy‑je résolu de m'affranchir et de femme et d'amour et toutesfois je me soumets à l'amour et à la femme"[667].
Comme on le voit, les liens matériels comme les liens qui président aux relations sociales servent à Du Souhait à exprimer les sentiments qui se tissent entre les êtres.
Du Souhait utilise volontiers le rythme des saisons pour évoquer les différents âges de la vie. Parle‑t'il de la jeunesse ? elle devient sous sa plume "l'âge verdissant"[668], le "printemps de mon age"[669], "ton tendre printemps"[670], ou "l'avril de mon age"[671], ou encore l'"avril de sa jeunesse"[672]. A l'opposé, la vieillesse est évoquée par "l'hyver blanchissant"[673].
Le fruit sert à Du Souhait pour imager le résultat d'un travail ou d'une évolution. Ainsi notre auteur utilise‑t'il par exemple le thème du fruit pour parler de l’œuvre littéraire née du travail de l'imagination d'un écrivain : "Je n'iray aux cerises qu'à mon jardin et ne prendray mes fleurs que chez moy" affirme‑t'il dans le préambule de Glorian et Ismène[674]. Il désigne l’œuvre moderne par l'expression "fleurs de leur temps"[675], par opposition aux ouvrages anciens désignés par l'image des "fueilles des siècles passez"[676]. Les divers fruits du rosier symbolisent pour notre auteur les diverses phases de l'aventure amoureuse : "Les espineux commencements produisent des roses à la fin"[677], "le froment" et "l'yvraie" représentent les vertus et les défauts[678] qui coexistent dans les cœurs. L'enfant né du mariage[679], ou plus simplement l'hymen lui‑même ou la consommation de l'acte sexuel, peuvent être désignés également par l'image du fruit. Palémon, par exemple, s'exprime en ces termes : "Voicy le temps que je pensois moissonner le fruit de nos amours"[680], tout comme Constance qui parle de "cueillir la moisson d'un céleste hyménée"[681] et refuse qu'on lui ravisse "cest honneur qui demeure en fueillage / Jusqu'aux sainctes saisons d'un parfaict mariage"[682]. L'époque des "moissons" sert maintes fois à Du Souhait pour désigner l'acte sexuel en particulier dans Les Histoires comiques. On ne citera pour mémoire que ce passage[683] : "Voulant ensemencer le champ de son voisin, il emmanche son fléau pour escoure ceste gerbe, en sorte qu'il fit fructifier ces champs jusques à la sixiesme moisson".
La métaphore apparaît donc clairement dans cette brève étude comme une constante de l'écriture de Du Souhait qui s'applique à la filer le plus longuement possible. Nous ne donnerons ici que deux exemples particulièrement probants de ces très longues métaphores dont l'auteur émaille ses récits. Le premier exemple est un poème qui s'applique à peindre le Roi "comme père à ses subjects"[684]. Du Souhait choisit de comparer le monarque à un aigle attentif à sa couvée. Dans ce sonnet, le mot "aigle" revient huit fois :
"Je suis semblable à l'aigle et à l'aigle contraire
Je cherche comme l'aigle aux miens la seureté (...)
L'aigle comme je fais veut aux petits complaire (...)
Je suis semblable à l'aigle en assurant les miens,
Je suis contraire à l'aigle en détruisant les siens".
Le second exemple de très longue métaphore est une longue comparaison qu'établit notre auteur entre l'esprit humain et la vigne : " L'esprit de l'homme est semblable à la vigne qui embrasse et serre le premier arbre qu'elle rencontre près de soy, il doit embrasser la science la plus voisine de son inclination. Afin qu'il la treuve durable et parfaicte. Si la vigne s'embrasse à plus d'un arbre, elle ne les estreint pas, aussi si l'esprit s'adonne à plus d'un art, il n'en retiendra que la superficie, qui comme la cime de l'arbre est subjecte au moindre vent qui l'esbranle"[685].
L'image apparaît donc comme une des principales caractéristiques du style de Du Souhait, elle ne naît pas vraiment du hasard semble‑t'il, elle est bâtie à l'aide d'un choix précis de vocabulaire qui appartient à des thèmes particuliers. Elle est visiblement le fruit d'un travail stylistique complexe et paraît en outre obéir à des règles de conception strictes. La construction syntaxique que Du Souhait privilégie, tant dans l'élaboration de sa phrase que dans l'édification de ses images, est l'antithèse.
La construction des phrases de notre auteur mérite toute notre attention. En effet, elle semble avoir fait l'objet d'une intention stylistique particulière. Ainsi l'antithèse est‑elle l'une des pratiques d'écriture les plus facilement remarquables de Du Souhait. Il se plaît en effet visiblement à rapprocher deux termes de sens contraire. Il peut par exemple réunir deux noms de sens opposé et trouver que les yeux d'une belle cachent "de la douceur aussi bien que de l'ire"[686]. Il peut aussi rapprocher deux verbes apparemment éloignés l'un de l'autre : "Les colères se passent et souvent aimons‑nous avec violence ce que nous avons haï mortellement"[687], ou "J'aime trop pour hayr et hay trop peu pour n'aimer plus"[688], ou encore "tant plus elle s'approchait de luy, plus il s'eslongnait d'elle"[689]. L'auteur peut également réunir deux adjectifs très différents (Monsieur de la Ferté est "craint des hommes, chéry des dames"[690]) ou deux compléments antinomiques ("sa bouche avait été ministre de leur dissension, elle fut ministre de leur accord"[691] ou elle "le reçoit d'un œil favorable et le void d'un œil de despit"[692]). Du Souhait peut aussi juxtaposer deux propositions comme le prouvent ces deux exemples : " Tu n'as point de seconde en beauté / Je n'ay point de second en ma persévérance"[693], ou "toutes il les mesprisa, tu les mesprise tous"[694].
Lorsque Du Souhait conjugue l'antithèse et l'image, il donne alors des images complexes où les rapprochements de thèmes opposés enrichissent les métaphores comme le prouvent ces quelques vers :
"Je charme les esprits et les plus froides dames
Trouvent en mes glaçons des amoureuses flames
Sous l'ardeur de mes feux les esprits enflammez
Trouvent le plus souvent des glaçons r'enfermez"[695].
L'auteur peut se plaire à compliquer les règles de ce jeu stylistique et, par exemple, faire suivre un passage où il combine les deux thèmes contraires de la chaleur et du froid par une autre association de deux thèmes opposés ceux de la capture et de la liberté puis par le rapprochement de la lumière et de la nuit. On aboutit ainsi à des métaphores en cascades comme celles‑ci[696] :
( c'est l'amour qui parle )
"(...) Les enflammez je glace et les glacez j'enflamme (...)
J'affranchy les captifs, les libres je captive
Aux uns ma flesche est lente, aux autres elle est hastive
J'aveugle les voyans, l'aveugle je fay voir (...)"
On voit par ce seul exemple à quels entassements et enchevêtrements de métaphores Du Souhait peut parvenir lorsqu'il se plaît à combiner les divers effets stylistiques évoqués dans cette étude.
De cette étude stylistique de synthèse de l’œuvre de François du Souhait, on peut retenir la personnalité omniprésente d'un écrivain qui jamais ne s'efface derrière sa création, qui semble particulièrement conscient de la grandeur de sa tâche d'écrivain, sans toutefois se prendre trop au sérieux et sombrer dans le dogmatisme ennuyeux. En lui semblent cohabiter des tendances extrêmes et contraires que la structure même de la phrase et la composition interne des images reflètent. Rien ne lui est étranger, il joue de tous les genres, sait se montrer comique ou grave, moralisateur ou humoriste, érudit et moderne, onirique et réaliste. Du Souhait semble vouloir se refuser à décrire un personnage, une situation, un sentiment, il préfère le cerner. Pour décrire ce qui est, il stigmatise ce qui n'est pas, et choisit l'auréole évocatrice de l'image de préférence à la froideur et à la sécheresse d'un exposé descriptif.
L'écriture de Du Souhait me paraît ressembler à un parcours "sinueux mais cohérent", pour reprendre une expression de J. Rousset, "les points extrêmes de l'itinéraire se répondent de loin, vivent et vibrent l'un par l'autre"[697]. En un mot, je définirais l'écriture de François du Souhait comme un jeu permanent d'entrechats entre deux abîmes.
I. Étude des principaux thèmes de l'œuvre de François du Souhait
A. L'écrivain : une condition supportable
B. Le grand personnage : vers l'aristocratie des honnêtes gens
C. L'amour et la vie affective : toute une vie pour un baiser
D. La femme, reine des cours et des cœurs
II. Existe t’il une éthique de François du Souhait ?
A. La vie, la mort, l'homme et Dieu
B. L'ordre : une question de foi
C. Le pacifisme
L'étude des thèmes les plus fréquemment abordés par François du Souhait dans l'ensemble de ses œuvres permet une approche de la pensée de notre "gentilhomme champenois".
Dans ses ouvrages, Du souhait aborde volontiers la question du rôle et de la place de l'écrivain dans la société. La condition de l'homme de lettres au service d'un grand qui lui donne sa protection est un état que Du Souhait connaît bien, lui‑même n'a pu écrire et subsister que grâce au mécénat pratiqué en particulier par la Maison de Lorraine.
Le mécénat procure à l'écrivain qui en bénéficie plus qu'une simple garantie alimentaire. Il donne à l'auteur par une sorte d'effet de "contagion" la possibilité de profiter de la bienveillance et de la notoriété dont le protecteur jouit dans la société mondaine. Du Souhait s'en explique dans Le pacifique[698] : "Si les plus charitables regardent cest ouvrage de pitié, j'estimeray tenir ceste faveur des charmes de vostre bel esprit, qui peut attirer tous les autres à son jugement, ou du moins que je suis devenu capable par la contagion de ceste qualité dont vous avez honoré vostre Mercure"[699]. Aux yeux de Du Souhait, le mécène sert de rempart protecteur à l'ensemble de la vie de l'écrivain : "Sire, ( écrit‑il à Henri IV ) ceux qui sont en la protection d'un bon génie comme vous ne peuvent etre traversez en leurs prospéritez"[700].
En échange de cette protection, Du Souhait accepte et assume loyalement les servitudes attachées à la condition d'écrivain à gages. Il consent à consacrer tel poème à la maladie du Cardinal de Lorraine[701], il prête sa plume à tel grand qui ne sait pas par lui‑même exprimer son chagrin à la mort d'un être qui lui était cher ("Je vous escoute et ma main appreste veut escrire ce que vostre filiale piété vous fera dire"[702]). Il accepte de publier maintes œuvres de circonstance parce qu'à ses yeux, ces productions littéraires sont la légitime contrepartie à l'appui matériel et moral qu'il reçoit de ses protecteurs. Il dédicace dans cet esprit La vérité de l'Eglise au prélat Louis de Lorraine en ces termes : "Il me semble que je sois obligé de donner ceste Vérité de l'Eglise à la vérité de vostre mérite et de vostre piété et à l'origine de vostre illustre Maison, qui a tousjours eu le cœur à ses autels et porté ses bras à sa juste défence..."[703].
Cependant, si Du Souhait accepte d'être soumis à sa fonction, de servir les intérêts de la Maison qui le protège, il refuse la servilité. Il conserve un regard lucide et un esprit critique à l'égard de ceux qui lui apportent leur aide, ‑du moins, l'affirme‑t'il‑. On peut lire par exemple dans Le parfait gentilhomme[704] : "Nos poètes louent plus par récompense que par vérité (...), ils suyvent plustost leur passion que le mérite" et dans Anacrine[705] : "de flatter ceux que j'ayme ce n'est pas mon mestier" (mais la suite de la phrase : "...puisque leur vertu les peut mieux recommander que ma plume" ne constitue‑t'elle pas une flatterie ?). Il reprend l'exemple dans Gloriande[706] où il méprise "ceux qui ont plus envie de se faire courtiser" que d'exercer sobrement leur talent.
Au regard de Du Souhait le mécénat apparaît comme une institution vitale pour l'écrivain dont la condition immanquablement servile est parfaitement supportable dès lors qu'elle lui procure le bonheur d'être publié. Notre auteur n'hésite pas à dire bien nettement la joie qu'il éprouve à être édité, comme le prouve par exemple cet Adieu au livre[707] :
"Vous estes mes souhaits, vous vivez dans les cieux
Vous n'estes mes souhaits, vous restez au nuage
Estant, vous aspirez de vivre glorieux
N'estant, vous souspirez une mort en servage".
Quoi de pire pour un écrivain que de rester méconnu ? Pour un modeste "gentilhomme champenois", il y a fort à parier que c'était là le sort qui lui aurait été dévolu s'il n'avait pas accepté de jouer loyalement le rôle d'écrivain de service dans la Maison de Lorraine. "Estant", il peut servir de guide, voire de directeur des consciences, et prodiguer ses recommandations aux grands qu'il sert, c'est un fait, mais qui seront aussi ses premiers lecteurs.
Ecrivain au service des grands de son époque, observateur privilégié de leurs mœurs et de leurs fonctions, flatteur sans servilité, François du Souhait possède du grand personnage une idée très haute, née sans doute de la conjugaison de sa Foi chrétienne, de son aspiration à un redressement économique et moral de la France, de son amour pour son pays, de son attachement à la paix et d'une réflexion critique sur la société encore mal dégrossie qui l'entourait, alimentée par la connaissance de Castiglione et de Guazzo. Le thème du grand personnage revient constamment dans l'ensemble de l'œuvre de notre auteur. Ses héros de romans ne sont‑ils pas tous de haut lignage ? L’œuvre de traduction n'est‑elle pas conçue en fonction de cette "morale aristocratique" dont parle N. Hepp[708] ? N'est‑il pas la cible du Vray Prince , de La vraye noblesse et, à bien des égards du Pacifique ? Il convient donc d'analyser plus précisément les divers aspects de ce thème tels qu'ils apparaissent dans l'ensemble de l'œuvre de notre gentilhomme champenois.
L'auteur a une vision très structurée et critique de l'ordre social. Il considère que la société de son temps doit être clairement hiérarchisée. Chacun a sa place et, de ce fait, un rôle lui est dévolu par la suite des hasards de sa naissance ("Je n'ordonne rien aux grands, c'est leur grandeur qui leur ordonne. Je ne les astraints pas à des loix, leur origine porte leur loy"[709]). On ne trouve jamais sous la plume de notre auteur une contestation du fait que certains occupent le bas, et d'autres le haut, de l'échelle sociale. Par contre, il croit fermement que, quelle que soit la place où l'individu se trouve dans cette hiérarchie, il se doit d'y rester et d'assumer au mieux la tâche qui y correspond. Le paysan devra donc "pouvoir gouverner sa maison sagement (...), prévoir de longue main à sa nécessité (...), estre bon ménager"[710].
Entre les gens du peuple et les gens bien nés existe, selon l'auteur, une différence de nature qui doit inspirer une différence de comportement radicale : "les gentilshommes combattent pour l'honneur et le peuple pour la solde"